Les animaux du jardin d’essais meurent et se reproduisent comme les autres

Les animaux du jardin d’essais meurent et se reproduisent comme les autres

La réouverture du jardin d’essais d’El Hamma a été largement et diversement commentée par les citoyens et les médias. Dès les premiers jours de son ouverture au public, rumeurs et commentaires alimentent les discussions des Algérois. Incivisme des visiteurs, tarification, sécurité des lieux et prise en charge des êtres vivants (animaux et végétaux) figurent dans le top des inquiétudes. Les premières alertes datent d’avant même le 2 mai dernier (jour de la réouverture officielle du jardin). La mort successive de plusieurs animaux figurait déjà dans les colonnes de certains quotidiens nationaux. En moins de six mois, trois kangourous, un ours, une autruche, un cob et un crocodile ont perdu la vie. Les raisons invoquées à ces décès, à cette époque, étaient le laisser-aller et les carences dans la prise en charge de ces animaux. Accusations qui seront confirmées une semaine après la réouverture de ce grand espace de recherche, d’expérimentation et, accessoirement, de promenade. Le décès de Farid, l’un des derniers, sinon le dernier lion né et élevé en Algérie, va exacerber les reproches. Le jardin d’Essais serait-il devenu un mouroir à bestiaux ? Y a-t-il réellement une mauvaise prise en charge des animaux ? Toutes ces rumeurs colportées sont-elles fondées ?

Quand les enseignements sont tirés

Mardi 20 mai. 10 h 30. L’un des trois guichets faisant face au grand portail du jardin, du côté d’El Hamma, vient à peine d’ouvrir. «Donnez-moi l’appoint, s’il vous plaît. C’est 60 DA par adulte, je n’ai pas de monnaie», demande le guichetier courtoisement.

A l’entrée du jardin, trois agents surveillent l’accès délimité par des barrières métalliques installées au lendemain de l’ouverture au public, pour juguler la foule. Trois mètres plus loin, derrière un détecteur de métaux, une jeune femme procède à la fouille des sacs à main et autres besaces.

Un tour rapide au jardin indique que la direction du site semble avoir tiré les enseignements des mésaventures subies les premiers jours de sa réouverture. Après son inauguration par le président de la République le 2 mai dernier la médiatisation importante de l’événement, a fait qu’un nombre impressionnant de visiteurs a littéralement envahi les lieux.

Jugez-en : une moyenne de 10 000 visiteurs/jour ! La soif d’espaces verts et de lieux de détente a attiré une foule importante vers ce lieu. Faits inattendus : l’incivisme ou l’inconscience, c’est selon, conjugués au nombre réduit d’agents de sécurité ont failli porter un coup fatal à certaines espèces végétales et animales.

Pique-niques improvisés sur des espaces interdits, escalade des arbres parfois centenaires, emballages laissés à même le sol, perturbation de la quiétude des animaux… la pagaille s’est érigée en règle, n’épargnant ni végétal ni animal. «Le parc zoologique est plus délicat à gérer. Après ce rush de visiteurs, nous avons dû traiter certains animaux. Comme les lions, qui étaient en état de stress, ou les faisans Argus, qui ne descendaient s’alimenter qu’une fois le public parti», témoigne, stupéfaite, l’une des deux vétérinaires affectées à la ménagerie, le Dr Samia Assous.

Accès au zoo : tout plaisir se paye

Mais, le jour de notre visite, la pression semble avoir baissé de plusieurs crans. Aussi bien le long des allées des jardins français ou anglais que près de la mare aux poissons ou devant les bassins, il y a plus d’agents de sécurité que de visiteurs. Les agents d’entretien travaillent dans le calme, paisiblement. Rares sont les coups de sifflet des préposés à la sécurité pour attirer l’attention des enfants qui empiètent, parfois inconsciemment, sur les espaces verts. Attablé à la terrasse d’un café-restaurant, le plaisir de siroter quelques boissons désaltérantes est intense. Un jeune serveur, affable et infatigable, ne rechigne pas à effectuer plusieurs fois le va-et-vient entre le comptoir et la terrasse. Les tarifs des consommations y sont abordables : un café, un thé et une boîte de jus coûtent 120 DA. Pas très cher, au vu du cadre naturel propice à l’évasion spirituelle. Le bol d’air filtré grâce à la photosynthèse vaut bien son pesant d’or dans une capitale qui étouffe sous les effets de la chaleur et de la pollution.

Pour accéder au zoo, des familles attendent patiemment leur tour devant les deux guichets se faisant face. «Les tarifs sont un peu élevés», juge un père de famille, accompagné de son épouse et de ses enfants. Six en tout. A raison de 60 DA le billet d’entrée, avec 50% de réduction par enfant, il se retrouve allégé de 270 DA. Si l’on ajoute cette somme le prix de l’entrée du jardin, le tout lui revient donc à 540 DA, sans compter les 50 DA du parking. «Tout plaisir se paye», rétorque une dame âgée, venue s’offrir quelques moments de détente. Pour comprendre l’avis de cette dame, il suffit d’observer l’étincelle de joie et de bonheur qui scintille dans le regard des enfants face à des créatures qu’ils n’ont l’habitude de voir qu’à l’écran. Magique est et demeurera l’instant où ce regard puéril se fixe sur celui d’un tigre allongé. Emerveillement. Cela vaut bien plus que quelques centaines de dinars.

Sensibilisation et surveillance, seuls remèdes contre l’incivisme

Dans les cages et enclos, les animaux commencent à s’habituer au comportement des visiteurs, à leur curiosité et à leur manie de sonder la patience des bêtes. Ces dernières ont bien résisté aux différentes phases qu’a connues la planète ; elles réussiront certainement (du moins pour certaines espèces) à s’acclimater aux agissements de certains Algériens. Théorie de l’évolution et sélection naturelle, ils en connaissent un bout.

«Il y a de moins en moins d’accidents et de comportements incorrects de la part des visiteurs. Même s’il reste quelques citoyens inconscients, le parc zoologique compte actuellement 14 agents de sécurité et un enregistrement vocal passe à des tranches horaires régulières, dans les haut-parleurs pour inciter les gens au civisme», s’en félicite le Dr Assous.

En termes d’incivisme, justement, des comportements, plus surprenants les uns que les autres, sont rapportés. Du jet de chewing-gum, de pierres, de chique et de cigarettes allumées, en passant par l’introduction de la main derrière les barrières et d’autres agressions verbales, rien n’est épargné aux animaux. «Un père de famille a carrément installé son fils sur le dos d’une oie. Quand je l’ai interpellé, il m’a rétorqué : ‘‘Je ne vais quand même pas faire pleurer mon fils. »», raconte un agent de sécurité. Drôle de manière d’éduquer sa progéniture !

«Avec le temps et grâce au travail de sensibilisation et de surveillance que font les agents, les visiteurs prennent conscience que les animaux sont des êtres sensibles à respecter», s’enthousiasme la vétérinaire, qui indique que des grillages et autres barrières de séparation ont été installés récemment.

La reproduction, signe de bonne santé

A propos de la mort de quelques animaux, particulièrement le lion Farid, le Dr Assous, arborant un sourire courtois, dira : «Les animaux sont des êtres vivants. Ils ont une certaine longévité et puis ils meurent pour différentes raisons. Pour ce qui est de Farid le lion, il avait 20 ans. C’est déjà vieux. Il est mort d’un arrêt cardiaque. Ici, les animaux sont bien entretenus et sont bien alimentés. La preuve de leur bonne santé, c’est la reproduction. On parle souvent des animaux décédés, mais presque jamais de ceux qui naissent dans le jardin.» En quelques semaines, plusieurs petits de perruches calopsittes, d’Espada, de Java, de mandarin sont venus au monde au jardin d’essais. Des écureuils, des canetons et un faon (petit de la gazelle) également. «Ceylan la panthère a mis bas le petit Sunday. Agée de 12 ans et son mâle de 14 ans, c’est un véritable miracle. Autre bonne nouvelle, il y a une suspicion de gestation chez Farida la lionne, partenaire de Farid. Mais ce n’est pas encore confirmé. Elle a 19 ans et cela peut être simplement une grossesse nerveuse», affirme la vétérinaire.

Pour les sceptiques qui craignent pour le devenir de Natacha, la femelle ours brun, qui vit naturellement dans les régions froides, le Dr Assous rassure : «Elle est née en Algérie. Le climat lui va très bien. Les ours ont une période non pas d’hibernation comme on pourrait le croire mais d’hivernation. Durant les saisons froides, ils réduisent leur rythme d’activité. Or, au regard du climat en Algérie, Natacha n’a pas besoin d’hiverner vu que la température ambiante n’est pas très froide. Puis, il faut savoir qu’elle est la chouchoute du parc. Tout le monde est aux petits soins pour elle.»

Quelques petits soins…

Afin de prouver que les animaux bénéficient de tous les égards, la vétérinaire ouvre toutes les portes des coulisses où se font d’une manière quotidienne les «prestations pour les hôtes du parc zoologique».

D’abord, la clinique vétérinaire, qui ferait rougir d’envie beaucoup de praticiens installés dans des centres de soins pour humains. Un électrocardiogramme, un générateur d’oxygène, un écho graphe, une lampe à lumière froide… le matériel de la salle d’auscultation et d’intervention est au top. Une salle d’observation où repose, à l’abri des regards, une lapine en gestation, est également prévue.

Plus loin, fait remarquable, malgré notre visite inopinée, même les portes des cuisines et des dépôts de stocks de nourriture nous sont ouverts.

Dans la première salle de stock, Bouarbache Abdelwahab s’occupe de préparer les rations pour nourrir tous les animaux du zoo. «Tout est pesé et préparé à l’avance. Le mélange des aliments se fait ensuite en cuisine», explique l’animalier titulaire d’un diplôme de zootechnicien. «Avant, j’ai même pratiqué de l’insémination artificielle», lance-t-il fièrement. Pour alimenter toute la faune du jardin d’essais, «il faut compter en moyenne

60 kg de viande par jour. De 20 à 30 kg de concentré pour le bassin et idem pour les granulés», explique M. Bouabahe, qui rappelle que ces quantités peuvent varier d’un jour à l’autre et selon les saisons.

A la cuisine, un agent se charge de préparer les «plats du jour» pour les animaux. Les quantités indispensables

d’aliments pour kangourous sont disposées dans de petits sacs en plastique. Il reste juste à ajouter des carottes et quelques fruits.

Etape suivante, les chambres froides. Celle réservée aux fruits et légumes est pleine. Des caisses entières sont posées à même le sol. «On attend l’arrivage des pommes», informe M. Bouabache.

L’autre chambre froide est consacrée à la viande. Une carcasse de mulet est posée sur un plastique recouvrant le sol. «Il nous reste juste à installer les esses pour suspendre la viande», explique le Dr Assous. Passionnée par le monde animal, une douceur dans le regard, la gestuelle et la parole, la jeune Samia Assous nous informe qu’elles sont deux vétérinaires, un consultant externe, des agents chargés de l’alimentation et ceux de la sécurité à se consacrer quotidiennement au bien-être des animaux.

Une équipe dévouée

En regardant cette jeune femme, on a du mal à croire que les bêtes du zoo manquent de quoi que ce soit. Volontaire, ferme et douce, elle semble être née pour ce travail.

Revenus au jardin d’Essais, pour certains qui ont passé un long séjour dans le parc zoologique de Ben Aknoun ou celui d’Oran comme feu le lion Farid, Hector le condor, l’autruche, l’émeu, les lionceaux, l’ours Natacha, le mouflon à manchette ; importé du zoo de Londres tel le couple de panthères ou bien provenant de l’élevage d’autruchons de Aïn Defla, les animaux du jardin d’essais semblent être choyés et chouchoutés par une équipe dévouée à leur service. Et lorsqu’un animal meurt, il faut se dire, parfois, que c’est naturel.