Ratissage urbain, quadrillage du territoire, (…) recours massif au renseignement pour identifier les composantes et motivations de la rébellion.
La guerre d’Algérie, ou plus exactement La Bataille d’Alger, fait encore parler d’elle. Cet épisode de la révolution algérienne trouve enfin sa place dans l’histoire, loin des désinformations post-coloniales. Il n’est plus question de parler de «terrorisme» comme le voulaient les défenseurs de l’Algérie dite «française», mais de «guerre de libération nationale». Coups, étranglements, ongles arrachés, yeux crevés, brûlures, gégène, baignoire. Dans cette «violence extrême» faite à des Algériens, Claude Juin inclut «brimades, humiliations, les viols de femmes, exécutions sommaires». Cette torture en ville ou dans le djebel a touché, selon l’historien Pierre Vidal-Naquet, des centaines de milliers d’Algériens. Elle «n’a pas été seulement, assure Benjamin Stora, le fait de quelques militaires isolés». «La torture a, selon Raphaëlle Branche, atteint une dimension inégalée». Auteure de «La torture et l’armée pendant la Guerre d’Algérie» (2001, Gallimard), elle la qualifie d’ «arme-clé» de cette guerre, longtemps qualifiée «d’opérations de maintien de l’ordre». Mais cette reconnaissance n’est pas tout à fait conquise. Effectivement, à l’aube du XXIe siècle, on parle toujours de «terrorisme» en faisant allusion aux opérations menées par les Algériens à la quête de leur libération nationale. Désolant est de constater que «la puissance mondiale», à savoir les Etats-Unis d’Amérique, utilisent toujours ce vocabulaire. Un pays qui se veut gardien de la démocratie et des droits de l’homme, à cheval (théoriquement) sur l’application des principes du droit international, et plus précisément du droit international humanitaire. «Comment gagner une bataille contre le terrorisme et perdre la guerre des idées. Des enfants tirent sur des soldats à bout portant, des femmes posent des bombes dans des cafés. Rapidement l’ensemble de la population arabe s’enflamme. Ca vous rappelle quelque chose?» proclamait l’affiche placardée dans les couloirs du Pentagone, en août 2003, pour annoncer la projection de «La Bataille d’Alger». C’est dire que les Américains n’ont rien compris à la Guerre d’Algérie et encore moins à la lutte contre le terrorisme. Preuve en est: ils ont perdu la guerre en Irak. Le film de Gillo Pontecorvo réalisé en 1966 retrace les opérations menées en 1957 dans la Casbah d’Alger et dénonce le recours à la torture par les Français. Du djebel algérien aux sables d’Irak et montagnes d’Afghanistan, l’expérience de l’armée française, il y a un demi-siècle, face aux maquisards algériens a profondément influencé la pensée stratégique et les officiers américains dans le combat insurrectionnel. Encore une fois, les Américains interprètent et instrumentalisent les faits selon leurs intérêts. Est-il nécessaire de rappeler l’apologie du film de Gillo Pontecorvo? Le but de l’oeuvre était de glorifier la bataille d’Alger, et non de servir à enrichir les manuels de guerre des Américains. Terrible mais de mise, le Pentagone lui, utilise le scénario du film pour développer et mettre en place une stratégie pour réprimer et éliminer, à titre d’exemple, l’émergence d’une insurrection irakienne, tandis qu’en Afghanistan, les infiltrations de combattants taliban reprenaient, à l’époque de sa projection, peu à peu. Un film historique qui met en avant la cruauté de la violence ainsi que son impact sur toute une société, sorti de son contexte par les dompteurs de la démocratie.
Au lieu de prendre en considération la morale de ce chef-d’oeuvre, les Etats-Unis l’ont réduit en une maquette pernicieuse. La redécouverte de la doctrine anti-insurrectionnelle française s’est faite pas à pas, encouragée par des officiers supérieurs comme le général David Petraeus, qui a dirigé la coalition militaire en Irak puis en Afghanistan. Admirateur du général Marcel Bigeard, avec qui il a correspondu pendant trente ans, le général Petraeus a dirigé la rédaction du Field Manuel 3-24 publié fin 2006 qui expose la doctrine américaine en matière de lutte antiguérilla. Voilà la leçon retenue par les Américains: comment vaincre une guérilla en milieu urbain? Comment briser une résistance? Ratissage urbain, quadrillage du territoire, population isolée des insurgés, formation de forces locales et recours massif au renseignement pour identifier les composantes et motivations de la rébellion. Les enseignements de Galula ont été largement mis en oeuvre en Irak comme en Afghanistan où le général Stanley McChrystal, éphémère commandant des forces internationales, en appelait à «revenir aux leçons» du théoricien français. Une initiative fièrement médiatisée, mais qui n’a rien de glorieux.