Anti ou pro-Kadhafi, opposants ou partisans du régime algérien, la plupart des citoyens interrogés dans les rues d’Alger pensent qu’accueillir la famille du président libyen déchu est avant tout un acte humanitaire loin de toute considération politique et des conséquences qui peuvent en résulter. L’on peut jaser, interpréter, accuser, mais il fallait agir et le gouvernement a bougé. L’Algérie a secouru des citoyens qui fuyaient la guerre dans leur pays.
Surpris, la plupart des personnes interrogées ignoraient que l’Algérie a accueilli la femme et les trois enfants de Kadhafi. Accaparés par la fin du Ramadan et la fête de l’Aïd, ils n’ont pas suivi l’actualité. D’autres ont été brefs et directs, leurs préoccupations actuelles ce n’est pas ce qui se passe ailleurs, mais leur vie avec ses soucis. «Nous sommes préoccupés par notre gagne-pain et nos besoins interminables. C’est cela notre souci actuel.» Une confidence qui est revenue dans plusieurs bouches.
Faïza, retraitée, professeur de français :
«Je ne suis pas du tout politisée car ici, on fait toujours sans le peuple, sans nous consulter ! Je n’aime pas Kadhafi, un corrompu qui s’entourait de femmes, un homme pourri et corrompu qui a méprisé son peuple en le traitant de rat ! Ces jeunes Libyens sont ses enfants ! Rien que pour ça, moi je ne l’aurais jamais hébergé ! Par contre, sa famille n’a rien à voir. Certes, c’est une arme à double tranchant, ça met l’Algérie dans une situation inconfortable, mais la vie est faite ainsi. On ne peut pas fermer la porte à une personne qui vous demande de l’aide même si c’est la famille de Kadhafi. C’est une décision courageuse.»
Youcef, 44 ans, ingénieur :
«L’Algérie a accueilli les Kadhafi au nom de la sauvegarde de la vie humaine, même si l’on méprise Kadhafi. C’est purement humanitaire. Mais je ne comprends pas cet acharnement contre l’Algérie. Il n’y a pas eu autant de commentaires haineux quand l’Arabie saoudite a offert refuge aux Ben Ali. L’Algérie est souveraine, personne n’a le droit de s’ingérer dans nos affaires.»
Azzedine, représentant commercial :
«L’Algérie est toujours intervenue dans les crises africaines. Accueillir la famille de Kadhafi n’est pas exceptionnel. Ce ne sont ni les premiers, ni les derniers réfugiés, des milliers de Libyens, de Sahraouis et autres vivent ici. L’Algérie a toujours soutenu la Libye durant les années de l’embargo, personne n’en parlait et maintenant qu’elle accueille des réfugiés, tout le monde sort de sa réserve. Je pense que la décision de l’Algérie est souveraine.»
Islem, cadre dans une société nationale :
«Ce n’est pas au peuple de décider, mais en tant qu’humain il faut aider l’être humain. Il fallait bien qu’ils quittent la Libye, si les Libyens les avaient capturés, ils les auraient lynchés. Et puis on est chez nous, on fait ce qui nous plaît. L’Algérie est souveraine. Ce qu’a fait Kadhafi se passe dans le monde entier. Pourquoi quand Kadhafi tue, le monde se manifeste, et quand il s’agit des sionistes qui tuent en Palestine personne ne réagit, c’est tabou ? C’est la loi du plus fort. Nous sommes dans une jungle. Les puissances internationales n’ont pas à intervenir dans les affaires internes de la Libye. Pourquoi en Egypte et en Tunisie il n’y a pas eu d’intervention armée ? La Libye est convoitée pour son pétrole. Il y a des intérêts derrière, c’est pour cela que tout le monde en parle.» Karim, 30 ans, chômeur : «L’Algérie a commis une grave erreur en tendant la main aux Kadhafi. On devrait s’attendre, à très court terme, à une recrudescence des attentats terroristes, à des manifestations sociales à grande échelle. Ce qu’ont fait Kadhafi et sa famille est ignoble et impardonnable. L’Algérie doit s’attendre à une riposte de la part du CNT.»
Propos recueillis par Irane Belkhedim et Wassila Zegtitouche
