Les algériens « orphelins » de leurs paraboles

Les algériens « orphelins » de leurs paraboles

Saliha A. se sent désespérée. Mère au foyer, elle avait l’habitude d’asseoir sa fille de 15 mois devant la télévision pour regarder les programmes pour enfants sur les chaînes satellitaires pendant qu’elle vaquait à ses occupations.

Elle n’est pas seule dans son cas. Il semble que des villes aux zones rurales les plus reculées, chacun possède sa parabole.

Les Algériens sont habitués depuis longtemps à contourner les règlements pour ne pas avoir à s’acquitter de la redevance pour leurs chaînes de télévision favorites. Mais depuis janvier, lorsque les chaînes satellitaires ont été cryptées et que les Algériens ont dû commencer à payer pour leurs bouquets numériques, Saliha s’est vue contrainte de passer plus de temps à surveiller sa fille.

« Il n’y a rien à la télévision algérienne », explique Saliha, assise dans son salon désormais silencieux. « Il n’y a aucun bon programme, en particulier pour les enfants. »

Pour bénéficier à nouveau du service, elle n’a aujourd’hui d’autre choix que d’acheter des cartes d’accès spéciales. Mais elles sont chères et son mari s’y refuse.

La frustration de Saliha est partagée par de nombreux Algériens. C’est dans les années 1980 que les Algériens, lassés de l’unique chaîne de télévision nationale, se sont mis à « traquer » les satellites pour capter les programmes des chaînes françaises d’abord, puis arabes. Cette ouverture médiatique, qui se présentait comme un symbole de la volonté de libéralisation affichée par le régime politique de l’époque, a connu un succès fulgurant, en dépit de la cherté des équipements.

Les efforts des militants islamistes intégristes visant à dissuader les Algériens d’installer ces antennes « paradiaboliques », ou des apparatchiks qui refusaient « l’invasion culturelle » se sont avérés vains et n’ont pas réussi à aller contre l’envie des gens de disposer de leurs chaînes.

Les paraboles ont fleuri sur tous les toits d’Algérie et toute une industrie s’est développée autour de cette activité : importation puis fabrication industrielle de paraboles, têtes de réception, démodulateurs, câbles, réseaux d’installateurs.

Puis, avec l’ère de la télévision numérique, une nouvelle spécialité a vu le jour : le piratage des codes d’accès aux chaînes cryptées.

Mais les beaux jours sont désormais révolus.

Les bouquets numériques préférés des Algériens, où ils pouvaient « faire le plein » d’informations, de films, de matchs de football et de documentaires, sont désormais verrouillés par des codes d’accès qui se sont révélés jusqu’ici inviolables.

Pire encore pour les inconditionnels de la télévision peu disposés à payer une redevance pour ces bouquets, le gouvernement a annoncé le lancement d’un programme pilote destiné à débarrasser l’Algérie de ce que les autorités considèrent comme une prolifération d’antennes paraboliques couvrant les toits et les façades des immeubles. Ce projet débutera dans le quartier du 1er-Novembre du district Oued Koriche d’Alger. Les responsables feront du porte-à-porte pour tenter de convaincre les habitants de renoncer aux paraboles et aux climatiseurs qui encombrent leurs fenêtres.

Face à ces codes d’accès et au cryptage de leurs programmes, et las de ne pouvoir regarder leurs émissions favorites, certains ont décidé de payer le prix du service proposé.

Le bouquet ART (Arab Radio and Television), propriété d’un richissime homme d’affaires saoudien, avait déjà ouvert la voie avec suffisamment de succès, après avoir mis la main sur l’exclusivité des droits de retransmission au Proche Orient et au Maghreb des grandes manifestations sportives. Depuis la dernière Coupe du Monde, les abonnements sont proposés à près de 7 500 dinars.

Le 21 janvier 2009, l’Algérie est devenu le premier pays d’Afrique du Nord a commercialiser le bouquet CANAL+ composé de 25 chaînes par l’intermédiaire d’une carte prépayée. Un mois plus tard, un nouveau service proposait les matchs du dimanche du championnat français de ligue une et les meilleurs matchs de la Ligue des Champions.

Dans un communiqué de presse, la société déclarait que grâce à « la première offre télévisuelle satellitaire en français en Afrique du Nord, les abonnés ne seront pas gênés par des perturbations telles que des interruptions de programme ». Ce service coûte environ 2 000 dinars (près de 20 euros) par mois.

De son côté, l’opérateur algérien EEPAD offre également un pack internet (Assilabox II) qui, outre une connexion ADSL et la téléphonie, rend possible l’accès à différentes chaînes de télévision payantes pour 2 500 à 3 600 dinars par mois, selon la formule choisie.

Ces offres légales trouvent un intérêt auprès des citoyens les plus nantis, indisposés par le recours régulier au « flashage » des récepteurs et par les cartes pirates qui n’offrent aucune garantie.

La diffusion de cette offre reste toutefois restreinte en raison d’un réseau encore peu performant.

« J’étais intéressé par la formule, mais on m’a dit que je ne pouvais bénéficier de ce service parce que j’habite le quartier de Bab Ezzouar », a expliqué M. Abderrahmane à Magharebia. Cette banlieue est de la capitale n’est pas encore desservie par le réseau.

Dans cette course à la débrouille, chacun trouve la solution qui l’arrange.

Les « désespérés » ont remis en service leur ancien démodulateur qui permet de capter les rares chaînes qui émettent encore en analogique. D’autres, à l’instar de H. Rédha, un commerçant, achètent leurs cartes directement en France ou réorientent leur paraboles vers des satellites comme Nilesat, qui diffuse des programmes non cryptés.

« Nilesat, c’est surtout pour les femmes parce qu’elles peuvent suivre tous les feuilletons arabes qu’elles préfèrent », explique B. Amar, un chauffeur de taxi. « Mais je capte aussi les chaînes du satellite Thor. »

« Je ne comprends pas grand-chose à l’anglais, mais au moins je peux trouver les documentaires animaliers que j’adore », ajoute-t-il.

[Ouali] Ceux qui ne peuvent se permettre de payer des bouquets chers pointent leurs paraboles vers des satellites qui diffusent des programmes non cryptés.

Grand amateur de films, Mohamed a opté pour une autre solution : « Si j’achète un abonnement, je débourse quelque 24 000 dinars par an. J’ai fait un petit calcul et j’ai trouvé qu’il était plus avantageux d’acheter un lecteur DVD. Cela m’a coûté 5 000 dinars. »

« Les DVD pirates ne manquent pas sur le marché », explique cet étudiant à Magharebia. « Il y a six films, et des plus récents, sur chaque DVD que j’achète pour seulement 100 dinars. Non seulement je peux voir tous les films que je veux, mais en plus, je me retrouve avec une très belle collection qui me sert pour faire des échanges ! »

Mohamed n’est pas seul à s’adonner à sa passion avec des films piratés. La contrefaçon industrielle et les atteintes à la propriété intellectuelle ont pris une ampleur considérable en Algérie. Le phénomène est tel que l’Office national des droits d’auteurs et droits associés (ONDA) a suggéré le 14 avril de créer une unité spéciale de la police chargée de contrôler ces atteintes à la législation.

« Plus de 600 000 supports contrefaits et illicitement commercialisés ont été recensés en 2008 en Algérie », a souligné le directeur de l’ONDA Hakim Taousar. Il demande un plus fort engagement des Douanes algériennes et du ministère du Commerce.

Pour leur part, les spécialistes de l’ONDA forment des unités de police à la lutte contre cette véritable épidémie de piratage. Une nouvelle loi sur la protection du consommateur, plus sévère en matière de répression des fraudes, a été adoptée en janvier dernier.

Les programmes des télévisions étrangères ont encore de beaux jours devant eux face à la pauvreté de l’offre nationale. Outre les trois chaînes existantes, deux chaînes thématiques ont récemment été lancées, l’une en langue amazighe, l’autre consacrée à la religion. Toutes sont publiques. Ce bouquet sera renforcé par d’autres chaînes thématiques dans le cadre de la mise en place de la télévision numérique terrestre (TNT).

L’avenir est peut être dans l’ouverture du champ télévisuel national à l’initiative privé, mais pour l’heure, le gouvernement ne semble pas pressé d’adopter une telle option.