Le réseau social est très utilisé en Algérie. C’est un outil d’information et de communication incomparable, même s’il est aussi beaucoup utilisé pour draguer.
Parlons de Facebook mais pas pour aborder la question de son entrée (plutôt ratée) en Bourse. Il paraît qu’un Algérien sur dix est inscrit à ce réseau social lequel devrait bientôt fêter son milliardième membre (ce qui, dit autrement, signifie qu’un terrien sur six serait connecté à «Fb»).
Voilà une statistique intéressante car, en faisant l’hypothèse de sa véracité, elle nous dit que les Algériens sont finalement comme leurs voisins qu’ils soient sud ou nord-méditerranéens. Ils sont partie prenante, fut-elle virtuelle, d’un mouvement global et globalisant et ce lien avec l’extérieur est une réalité qu’il ne faut pas négliger y compris par les propagandistes.
Cette inclusion signifie qu’il est déjà difficile d’empêcher les esprits de vagabonder au-delà des frontières nationales et de s’inspirer de ce qui se dit et se fait ailleurs. Terminé donc le temps où les Algériens étaient en dehors du coup et où seuls quelques privilégiés pouvaient accéder aux innovations externes (il faudra par exemple raconter un jour l’histoire du magnétoscope et des cassettes vidéos en Algérie…).
Études sociologiques sur les pages d’adolescents
Ce qui frappe quand on navigue sur Facebook, c’est la richesse de la matière qui y circule. Pour ses détracteurs, ce réseau n’est qu’un prétexte à des manifestations égotiques où des gens mettraient en scène leur vie et leurs fantasmes. Ce n’est pas faux et la principale activité de ce réseau concerne d’ailleurs la mise en ligne de photographies.
Les pages d’adolescents mériteraient à ce sujet de véritables études sociologiques car, sous toutes les latitudes, elles sont le reflet des modes, des espérances, des vanités, des vulgarités du moment et, souvent aussi, de ses désespoirs.
À ce sujet, j’ai une pensée émue et solidaire avec tous les parents qui tentent, par de multiples moyens mais souvent en vain, d’être acceptés comme «ami» sur Fb par leurs rejetons afin de surveiller ce qu’ils font et qui ils fréquentent…
Du télex à Facebook
Pour autant, ce serait faire fausse route que de croire que Facebook se limite à cela. Prenez le présent chroniqueur. Pour lui, le réseau est une source illimitée d’informations à commencer par une revue de presse gratuite dont le principe repose sur le partage.
On voit passer un article, bon ou mauvais, neutre ou faisant scandale, et, hop, on le fait passer aux autres. Impossible, par exemple, de rater le voyage pied-nickelesque du plus que pitoyable Ferhat Mhenni en Israël ou les dernières péripéties de la répression –le mot n’est pas trop fort– subie par les étudiants québécois qui protestent dans la rue contre l’augmentation de leurs frais de scolarité. Mais il n’y a pas que les informations de presse.
Blogs, pages collectives, groupes informels, militants, ONG, artistes, activistes en tous genre, tout cela est disponible d’un seul clic sur le mulot. Hier, interviewer d’Alger ou de Paris une féministe saoudienne ou un économiste indonésien relevait de l’exploit (et de l’investissement matériel conséquent). Aujourd’hui, cela se boucle en moins d’une heure et pour le coût d’une connexion. Pour qui a connu l’usage antédiluvien du télex et des premières télécopies voire du téléphone interurbain avec opératrice, il est impossible de ne pas saluer cette avancée.
«On drague, si ça accroche tant mieux, sinon tant pis»
Mais tout le monde ne va pas sur Facebook pour y trouver matière à article ou à réflexion. Commentant la statistique évoquée au début de cette chronique, un confrère a estimé, un brin ironique, que neuf facebookers algériens sur dix sont connectés à ce réseau pour conter fleurette. C’est certainement vrai même si on peut penser que le taux avancé est un peu exagéré (ceci étant dit, Facebook a d’abord été créé pour faciliter la drague sur les campus américains…)
«On drague, ida hakmet, rahi hakmet, sinon tompi» (On drague, si ça accroche tant mieux, sinon tant pis) a même confessé un facebooker en commentant le commentaire du journaliste.
C’est d’ailleurs aussi cela Facebook: des chaînes de commentaires qui peuvent aller à l’infini mais qui restent tout de même plus intéressantes et un peu plus censées et courtoises que ce qu’on peut trouver sur d’autres forums où, au final, on retombe toujours –et quel que soit le sujet– sur la question du Sahara, le sort des Palestiniens ou le complot du Qatar et d’Al-Jazeera…
«L’amicale des lecteurs de Pif»
Reste que Facebook, ce sont aussi des intrusions intempestives d’inconnus qui semblent avoir quelques problèmes avec la grammaire et l’orthographe.
La faute aux fameux messages personnels (les «mp»). Exemple : «Slt. T-ki? T’m kel zik? T’m M Pokora?». Ya ouled, dégage, j’ai presque l’âge de ton grand-père…! Outre les «mp», il y a les fanas de jeux qui vous sollicitent pour jouer à je ne sais quelle cityville, smallville, angry birds ou tetris battle.
Là aussi, il faut un certain tact, un peu de patience, pour décliner les invitations des uns, les rappels des autres. Mais, le pire, à mon sens, c’est de se retrouver inscrit d’autorité à un groupe de discussion, qu’il soit fermé (non accessible aux non-inscrits) ou ouvert.
Je n’en citerai aucun pour ne faire de mal à personne mais, pour en avoir une idée, imaginez des titres tels que «l’amicale des lecteurs de Pif», «mettons fin à l’élevage de poulets en batterie» ou encore «les partisans d’un décalage du ramadan au mois de décembre».
Un coup de souris d’un «ami» bien intentionné et vous voilà embringué dans des échanges qui vous dépassent ou, c’est selon, vous sidèrent. Il faut alors quitter la bande sur la pointe des pieds pour ne fâcher personne. Ceci étant précisé, je vous conseille tout de même la découverte du groupe «Sonazmen, sonapoz, tchaqlala & co», dédié à la nost-Algérie des années 1970 (ah, les logos de l’époque…)
Voilà donc pour Facebook. Informations, compilations d’articles, messages personnels, retours dans le passé, photographies, débats plus ou moins virulents: une immense agora du XXIème siècle, avec beaucoup de bruit, d’agitation et d’échanges.
Et une question existentielle qui demeure: comment ce réseau, désormais dépendant des critères de rentabilité boursière, va-t-il évoluer? Et que fera-t-on s’il venait à ne plus exister?
Akram Belkaïd