La liste des prétendants au suicide s’allonge avec la tentative, hier, d’un autre jeune de s’immoler par le feu. Ce phénomène, nouveau en Algérie, a pris de court beaucoup de monde, y compris les directions des partis politiques qui avouent ne pas comprendre ce qui pousse les jeunes en particulier à mettre fin à leurs jours d’une si horrible manière.
Problèmes économiques et sociaux insolubles, fragilité psychologique ou effet de contagion ? Les réponses, en tout cas, convergent vers une seule et même conclusion : tous les acteurs sociaux doivent s’impliquer pour imaginer des solutions à un phénomène dont on ne sait les tournures qu’il va prendre désormais.
Le porte-parole du FLN, Aïssi Kassa, considère que le phénomène du suicide n’est pas nouveau en Algérie. Quelles que soient les formes qu’il peut prendre, il traduit, selon lui, la fragilité de certains individus quant à affronter des situations de désespoir extrême.
«Certainement, le phénomène de l’immolation par le feu pose problème non seulement au pouvoir, mais à l’ensemble de la société», indique-t-il, souhaitant que «tous ceux qui ont des solutions doivent les présenter». M. Kassa ne nie pas que les conditions sont difficiles pour des franges importantes de la population algérienne, les jeunes en particulier.
«Mais est-ce une raison suffisante pour mettre fin à ses jours ?», s’interroge-t-il, considérant que les personnes qui optent pour cette solution extrême sont celles dont l’état psychique est très fragile. «Enormément de gens vivent des situations de précarité, d’autres la marginalisation et l’exclusion, de même que la hogra, mais très rares sont celles qui recourent à cette forme violente de riposte», ajoute M. Kassa, estimant que toute la société est interpellée pour trouver des solutions à ce phénomène.
Le porte-parole du FLN s’interroge aussi s’il ne s’agit pas aussi de «mimétisme» ou de «geste inconsidéré» pour attirer l’attention sur soi. «Je ne peux pas répondre à ces questions, je pense que les psychologues, les sociologues, les médecins et tous les acteurs de la vie sociale et politique sont interpellés par ce problème.» Pour M. Kassa, «il est important que les gens soient écoutés,
car l’écoute est importante. Mais devant certaines situations complexes, que même les responsables attentifs aux problèmes de la population ne peuvent résoudre quelle que soit leur bonne volonté, il arrive que des individus flanchent, et dans le
cas présent, ils vont jusqu’à attenter à leur vie», explique-t-il. Il ajoute que «le phénomène est d’une complexité telle qu’il appelle tous les acteurs de la vie sociale et politique à s’impliquer dans un débat de fond sur la question (le suicide des jeunes, ndlr)».
«L’exécution ou le suicide»
Contacté pour s’exprimer sur le même sujet, le chargé de la communication du RCD, Mohsine Belabès, nous a renvoyé au site officiel de son parti lequel a publié, avant-hier, un communiqué dans ce sens.
Intitulé «Jeune : l’exécution ou le suicide», le parti se dit solidaire des familles des 4 jeunes qui viennent de s’immoler, ajoutant qu’à l’instar de nombreuses voix patriotiques, le RCD a alerté depuis longtemps sur les risques d’une gestion politique et économique assise sur l’injustice et la corruption.
«Vingt-quatre heures après le dernier jour des émeutes, les dirigeants réapparaissent pour s’adonner à leur sport favori : mépris, répression et désinformation», écrit le parti sur son site Internet, estimant que ces réactions sont «indignes» et «irresponsables».
«Elles ont contribué à exaspérer davantage nos jeunes et les précipiter dans un désespoir fatal», note le RCD, précisant qu’après avoir aspiré la ressource nationale, «le système en place ne laisse aux jeunes que le choix de mourir par l’exécution ou le suicide.
Ces morts ne doivent pas et ne peuvent pas être oubliés». «Aucun patriote, aucun être humain ne peut accepter cette descente aux enfers», souligne le RCD qui rappelle qu’entre le système et l’Algérie, le choix est vite fait.
«La question n’est plus de savoir si le système doit changer, mais de trouver les voies et les moyens les plus adaptés pour épargner à la patrie d’autres malheurs et le chaos», conclut le parti de Saïd Sadi, invitant, une fois de plus, les citoyennes et les citoyens à fédérer leurs énergies pour sauver la nation.
«C’est un phénomène qui nous désole»
Miloud Chorfi, porte-parole du RND, avoue que le phénomène est «désolant» et estime qu’on ne peut que regretter le geste inconsidéré des personnes qui ont attenté à leur vie de façon aussi horrible. «Je ne sais quoi penser de ce phénomène, mais le moins que je puisse dire est qu’il est désolant, car cette façon de protester, de faire entendre sa voix, n’est pas pour honorer l’Algérie, ni sa jeunesse», relève M. Chorfi.
«Je ne pense pas que les problèmes des citoyens en général et des jeunes en particulier puissent être résolus de cette manière», ajoute notre interlocuteur qui considère que «tous les problèmes ont en principe des solutions». «Ces solutions, nous pouvons les obtenir au moyen du dialogue et en adoptant des attitudes dignes et civilisées, et non par l’usage de ces pratiques brutales»,
souligne-t-il, ajoutant qu’ «il faut s’écouter mutuellement et essayer de trouver ensemble les solutions idoines qui puissent contenter toutes les parties». «Le suicide ne peut en aucun cas être le moyen de revendiquer quelque droit que ce soit, aussi vital soit-il», rappelle le porte-parole du RND qui pense, lui aussi, qu’il est grand temps que tout le monde s’implique pour imaginer des solutions au phénomène du suicide. «Je pense
qu’il y a nécessité pour la société civile et les partis politiques de conjuguer les efforts pour mettre fin à ce phénomène», conclut M. Chorfi.
«On ne se donne pas la mort pour faire plaisir aux gens»
Pour Me F. Benbraham, l’immolation par le feu est «un acte de désespoir suprême». L’avocate lie ce phénomène à la situation pénible qui est faite à des franges importantes de la jeunesse.
«Maintenant, ils se mettent à brûler leur corps, et cette nouvelle forme de protestation indique que la situation de la jeunesse algérienne a atteint une gravité sans pareille», dit-elle. «On ne leur donne pas de travail, on les empêche d’aller s’exiler par la harga, alors, quand il ne leur reste plus de solutions, ils se tuent», ajoute-t-elle. Pour l’avocate, «le suicide est le comble du désespoir ;
on ne se donne pas la mort pour faire plaisir aux gens, ou pour se donner en exemple». «Ces jeunes se donnent la mort parce qu’il n’y a pas d’autre solution de vie, parce que la mort est la négation de la vie», souligne-t-elle. Selon notre interlocutrice,
le désespoir est si grand chez les jeunes que certains n’hésitent pas à franchir le Rubicon : «Si on n’a plus aucune solution pour vivre, il ne reste plus que la mort comme solution finale pour mettre fin au calvaire … C’est le ras-le-bol et l’impossibilité de sortir du marasme dans lequel vivent ces jeunes qui les poussent au suicide».
Me Benbraham avoue qu’elle ne sait pas quelles pourraient être les solutions à mettre en œuvre pour mettre fin au phénomène. «Mais je pense qu’il est grand temps que le pouvoir réfléchisse à une véritable politique de la jeunesse. C’est une urgence et une nécessité», conclut-elle.
Par Ali Laïb