Les créances impayées de certaines entreprises cachent une véritable crise du secteur du BTP qui est en train de se reconfigurer selon les lois sélectives du marché.
La crise dans laquelle se débat le secteur du BTP ne semble pas près d’être résolue. Bien au contraire, elle s’aggrave. En effet, après avoir tiré la sonnette d’alarme à bien des reprises, réclamant notamment au ministère de l’Habitat de leur payer leurs factures, les opérateurs du secteur sortent dans la rue et battent le pavé pour avoir leur dû. Cette action intervient après que le tout frais ministre des Finances, sur instruction de Tebboune, a débloqué de l’argent pour y remédier. Mais, cette démarche gouvernementale ne semble pas suffire pour calmer la grogne des opérateurs concernés.
C’est ainsi que, dimanche dernier, une cinquantaine d’entrepreneurs BTP ont organisé un sit-in dans la cour du siège de l’Algérienne de réalisation et construction du centre relevant du ministère de l’Habitat pour exprimer leur colère contre «les promesses non tenues des autorités» et dénoncer la mise à mort programmée de leurs entreprises. Ces entreprises, qui ont travaillé notamment dans le cadre de la réalisation des programmes de logement LSP, LPP et sociaux, ainsi que d’édifices publics, notamment au profit de l’Armée nationale populaire et des collectivités locales, ont, selon leurs propres dires, contracté des dettes pour financer leurs projets, ce qui les expose à un double problème: l’incapacité à rembourser leurs dettes qui peut leur valoir un emprisonnement et la faillite de leurs entreprises.
«La moitié des entreprises privées du secteur du BTP risque de mettre la clé sous le paillasson, d’ici à la fin de l’année», s’est alarmé à la radio Brahim Hasnaoui, président-directeur général du Groupe des sociétés Hasnaoui, plus grand acteur du secteur en Algérie, il y a quelques semaines, en précisant que «l’Etat n’a pas payé ses dettes envers ces entreprises depuis huit mois» et que «cette situation peut être supportée par les grandes entreprises, mais pas par les petites qui en souffrent.» Cette crainte de Brahim Hasnaoui, à laquelle viennent de donner corps les acteurs du secteur à travers leur sit-in au sein de l’Alrecc n’est pas une vue de l’esprit et ce, d’autant plus fondée que les entreprises privées concernées sont au nombre de 320 et leurs factures impayées s’élèvent à 3,8 milliards de dinars.
Mais, depuis, rien ne semble avoir changé. Promesse poussant l’autre derrière, les acteurs du BTP se trouvent constamment renvoyés aux calendes grecques. Pourtant, il n’y a pas très longtemps, Abdelmadjid Tebboune a annoncé que le problème des factures impayées des opérateurs du BTP ne devrait plus se poser et qu’il allait promptement être réglé. «Les créances sont payées progressivement», a-t-il déclaré, en imputant les retard enregistrés au Crédit populaire algérien qui prend en charge le dossier LPP et Aadl et au ministère des Finances. «185.000 unités ont atteint un taux de réalisation de 60%, mais ces projets sont affectés par le manque de financement du ministère des Finances et du CPA», explique dans ce sillage le ministère de l’Habitat dans un communiqué récent, publié à l’issue d’une réunion entre le ministre et ses cadres.
Depuis, aucune réponse concrète n’ayant été donnée, les impatiences se sont aiguisées. Car, en plus des entreprises concernées qui risquent d’étouffer et dont certaines, notamment les plus petites, ont déjà rendu l’âme, bien des postes d’emplois évalués à plus de 3000 peuvent être perdus. De plus, les acquéreurs des logements affectés à ces entreprises seront considérablement pénalisés par les retards générés par le non-payement des entreprises réalisatrices.
La nomination de Abdemadjid Tebboune comme Premier ministre a redonné espoir aux entreprises du secteur, notamment après que son ministre des Finances eut fait un pas pour débloquer la situation. Mais le problème reste toujours posé et, dans tous les cas, quelle que soit l’issue à y réserver, le secteur du BTP est en train de perdre de la vitesse et risque carrément de stagner dans les mois et les années à venir.
Pour rappel, le secteur du BTP a, selon Abdelmadjid Tebboune, consommé près de 69 milliards de dollars US durant les deux derniers plans quinquennaux, jusqu’en 2016, ce qui représente un grand chiffre reflétant les réalisations dans ce domaine, notamment la construction de logements, toutes formules confondues. Mais cette période de choux blancs fait désormais partie du passé et, le moins que l’on puisse dire est qu’elle emportera sans doute certains acteurs du secteur avec elle. Parce que, même si les créances de toutes les entreprises venaient à être payées, il sera extrêmement difficile pour les plus petites et les moins capitalisées d’entre elles de survivre à l’affaissement de la commande publique. Seules resteront les grosses machines de construction qui sont suffisamment nanties pour financer leurs propres projets. Or, celles-ci sont très peu nombreuses et les demandeurs de logements de ce type le sont également. Le marché a déjà entamé un processus de sélection.