Lenteurs administratives et manque d’assistances sociales pour des enquêtes sur le terrain La kafala en Algérie, trop de paperasse et d’angoisse

Lenteurs administratives et manque d’assistances sociales pour des enquêtes sur le terrain La kafala en Algérie, trop de paperasse et d’angoisse
Chaque année, le département de la Solidarité nationale et de la famille affiche une moyenne de 3 000 enfants nés hors mariage. Une prise en charge médicale et un placement dans une pouponnière, étatique ou privée, sont ordonnés à l’annonce même de l’arrivée du nouveau-né. S’ensuivent des démarches pour trouver à l’enfant une famille d’accueil devant s’occuper de lui comme s’il s’agit de leur propre rejeton.
Un concept à vulgariser
Une mission bien difficile qui incombe aux services de chaque direction de l’action sociale (DAS) relevant justement du ministère de la Solidarité nationale et de la famille et qui est présente dans chacune des 48 wilayas du pays. L’accueil de l’enfant se fait dans le cadre de ce qui est appelé «la kafala».
Un concept qui reste encore vague dans l’esprit de beaucoup d’Algériens qui ne se renseignent sur les procédures administratives, nécessaires qu’une fois l’idée de l’adoption est mûrement réfléchie par le couple demandeur et acceptée par la grande famille. Paradoxalement, les demandes de kafala ne s’arrêtent pas nonobstant les centaines d’enfants nés sous X et qui  se trouvent encore pendant plusieurs mois, parfois plusieurs années après avoir été abandonnés par leurs mères biologiques, dans une petite salle d’hôpital sinon en pouponnières qui ne répondent nullement aux besoins d’une enfance en quête d’affection et d’épanouissement.
Cela à cause de lenteurs administratives, de textes juridiques qui imposent toute une paperasse, des enquêtes sur le couple demandeur de kafala et un certain délai pouvant aller jusqu’à plusieurs mois pour permettre à l’enfant de se familiariser avec ses nouveaux parents et vice-versa. C’est surtout pour s’assurer qu’il n’y a pas de rejet de la part de l’enfant adopté. Chose qui arrive rarement mais qui n’est pas exclue dans les années suivant l’adoption, particulièrement à l’adolescence. Tout cela, c’est le travail des assistantes sociales qui se doivent de suivre l’enfant du premier jour de sa déclaration comme nouveau-né sous X (à l’hôpital ou ailleurs) jusqu’à l’âge de 18 ans. En Algérie, c’est trop demandé que de charger les assistantes sociales de cette mission. Raison invoquée : le manque d’effectifs et de moyens de déplacement et d’investigation. A ce problème, rien n’est fait pour y remédier.
Résultat : arrivés à l’âge de 12 ou 13 ans, de nombreux enfants abandonnent leurs familles d’accueil et leur préfèrent la rue où ils trouvent «meilleure» place dans la mendicité, le travail informel… voire la prostitution et autres fléaux. Pour les récupérer, la chose est loin d’être aisée du fait que ni ces enfants ni leurs parents adoptifs ni leurs parents biologiques ne sont préparés, psychologiquement parlant, à cette situation. Un cercle vicieux contre lequel les pouvoirs publics ne manifestent aucune volonté politique pour sauver ce qui peut l’être.
Au siège national du Réseau Nada pour la défense des droits de l’enfant, sis à la rue Didouche Mourad, à Alger, les appels pour une prise en charge urgente d’un enfant abandonné, maltraité, sont rapportés tous les jours aux responsables du réseau. Des mères célibataires se présentent aussi au siège de l’association pour une éventuelle aide. Demande d’une prise en charge de l’enfant qui n’est pas encore né et un soutien psychologique et social pour la mère biologique qui cherche à revenir dans sa famille mais sans l’enfant.
Selon le président du réseau Nada, Arar Abderrahmane, environ 10 mères célibataires se présentent chaque semaine au siège de l’association pour un accompagnement juridique et psychologique. Les femmes parlent de leurs problèmes, racontent leur histoire… C’est qu’elles trouvent l’écoute et un minimum de soutien après des mois d’errance et de culpabilité.
Une question de chance
La mère célibataire réclame de l’aide pour son enfant que le père refuse de reconnaître. Un enfant sans nom. Un drame social qui se perpétue au mépris de la loi et de la morale. Elle demande des renseignements sur les procédures judiciaires pouvant l’aider à maintenir une certaine relation avec l’enfant, même de loin, sans que ce dernier sache forcément que c’est sa mère biologique. Une situation de grande détresse qui n’est pas sans conséquences sur l’avenir de l’enfant, de la mère biologique et de famille adoptive. Un enchaînement auquel assistent, impuissants, les pouvoirs publics qui, malheureusement, ne font rien pour changer les choses, à commencer par la nécessité d’interpeller le père sur son acte et l’amener à donner son nom à l’enfant.La solution inespérée est au siège de l’association.
Celle-ci étant en contact permanent avec les Directions de l’action sociale (DAS) à travers le pays, les avocats et les assistances sociales. Des discussions sont engagées avec une famille d’accueil et des démarches administratives sont entamées pour la kafala. Sur le terrain, la procédure est lente et l’accueil de l’enfant dans sa nouvelle famille ne se fait pas avant plusieurs mois de va-et-vient entre la DAS, l’hôpital, l’endroit où se trouve la mère biologique si celle-ci se manifeste, le ministère de la Justice… et autres. Des familles d’accueil parlent d’un parcours du combattant et regrettent presque de s’engager dans une telle démarche. Le nombre réduit des assistances sociales n’est pas pour arranger les choses, surtout au niveau des wilayas de l’intérieur du pays.
Une situation bien connue des services du département de la Solidarité nationale et de la famille qui, eux aussi, n’agissent pas de manière à changer les choses. Dans les hôpitaux et les pouponnières, des assistances sociales affirment leur impuissance de ne pas pouvoir aider des enfants de plusieurs mois à trouver refuge chez une quelconque famille. «Généralement, les couples préfèrent les filles aux garçons. C’est triste de voir les garçons rester aussi longtemps dans ces espaces peu recommandables» explique une ancienne employée d’une pouponnière à Alger.
Dans d’autres cas, et c’est ce qui se passe souvent, le choix de la famille d’accueil est porté sur l’enfant le mieux constitué et qui ne souffre d’aucun handicap. «C’est légitime, c’est une situation tout à fait compréhensible» dira une autre. Les enfants handicapés restent alors dans les pouponnières durant des mois et des années, en attendant de leur trouver une place dans un établissement
spécialisé. Ce qui est aussi à déplorer, c’est qu’une fois l’enfant remis à sa nouvelle famille, très peu d’enquêtes sont faites après pour s’assurer de sa bonne prise en charge. Ceci, comme susmentionné, à cause du manque d’effectif des assistantes sociales et des moyens d’investigation. Leur travail s’arrête le jour de la régularisation de la situation de l’enfant et son installation dans son nouveau foyer. La loi exige pourtant que ce travail d’enquête se poursuive jusqu’à l’âge de 18 ans.
L’attachement affectif
Pour donner son nom à l’enfant adoptif, la chose n’est pas aisée, non plus. Toute une paperasse, tout une procédure administrative et d’autres enquêtes. Le passage par les services du ministère de la Justice est obligatoire. Une contrainte de plus pour certaines familles vivant dans des wilayas de l’intérieur du pays. Une fois la procédure finalisée, l’enfant verra ce nom figurer sans difficulté sur son extrait de naissance et tous les autres papiers mais jamais dans le livret de famille des parents adoptifs. C’est à cause de l’héritage, expliquent des juristes.
Un vrai problème pour certains parents qui vivent avec la hantise d’être rejeté par l’enfant une fois ce dernier découvre qu’il a été ramené d’une pouponnière ou d’une mosquée, abandonné par sa mère biologique et renié par son vrai père. L’autre problème auquel sont confrontés certains parents, c’est l’absence d’une date de naissance précise. «C’est toujours mentionné présumée dans son extrait de naissance… Je dois trouver un bon avocat pour lui donner la date de naissance que nous jugeons être juste» confie le père adoptif d’un joli poupon, une fille de quelque cinq mois, appelée Dalia.
Très attachée à l’enfant, les deux parents pressent leurs proches de leur faciliter les démarches administratives pour en finir avec cette histoire d’adoption. Tout pour les jolies fossettes de Dalia, surnommée Nour, du mot lumière.
K. M.