L’enrôlement des jeunes via la toile mis à l’index, Tentation jihadiste : nos enfants sont-ils à l’abri ?

L’enrôlement des jeunes via la toile mis à l’index, Tentation jihadiste : nos enfants sont-ils à l’abri ?

L’embrigadement dans le jihad est en train de faire des ravages au sein du tissu social d’une dizaine de pays arabes et africains. Dans ce contexte, notre jeunesse, écoliers et lycéens, est-elle prémunie pour résister aux chants des sirènes jihadistes ? Tout laisse croire que même si le feu n’est pas encore en la demeure, l’Algérie n’est pas à l’abri d’un tel phénomène pour au moins quatre raisons.

L’hydre est à nos frontières, le recrutement pour les filières jihadistes ne s’est jamais interrompu depuis les années 1990, les ingrédients de la même crise sont toujours là et, enfin, l’Internationale islamiste armée utilise des moyens puissants pour le recrutement. Ainsi, si l’heure n’est peut-être pas à l’alarmisme, elle est à la veille stratégique et aux actions préventives.

De l’autre côté de nos frontières Est et Sud-Est activent des katibate jugées des plus sanguinaires et qui sont prêtes à mettre le prix humain le plus fort pour mener des actions spectaculaires comme ce fut le cas lors de l’attaque contre le site gazier d’In Amenas. Pour ces brigades de la mort, la jeune recrue est un soldat de troupe, une chair à canon, mais aussi une arme redoutable à travers les actions kamikazes. Un ado “dogmé” est un produit 2 en 1 comme dit la pub ! Aujourd’hui, même si certains pensent que la crise des années 1990 est derrière nous, même si le phénomène est réduit à son stade le plus résiduel, de jeunes Algériens continuent de quitter les bancs de l’école et de l’université pour rejoindre les maquis terroristes.

Rien que pour le mois de mars dernier, à Médéa, trois lycéens originaires du village Sebt-Aziz ont rejoint les maquis de la région où les groupes terroristes essaient de relancer leurs activités sur l’axe Boghar – Ksar El- Boukhari. La défection de ces jeunes n’aurait pas eu lieu sans la présence de réseaux de recrutement. Ces derniers sont périodiquement démantelés par les services de sécurité comme ce fut le cas, il y a quelques années à El-Oued.

Le réseau de cinq personnes, dont au moins un enseignant universitaire et le gérant d’un cybercafé, selon les récits de la presse de l’époque, a réussi à envoyer mourir en Irak sept jeunes âgés entre 20 et 35 ans. Les chasseurs de chair à canon sont très actifs dans la région et l’Algérie a toujours été l’une de leurs premières cibles. Selon des données récoltées auprès de l’administration US, les recrues issues de la région de l’Afrique du Nord alimentaient, jusqu’à la moitié des années 2000, le quart des effectifs de “la légion étrangère” qui faisait le jihad en Irak.

À un moment donné, plus de la moitié de ces jihadistes furent des Algériens. Depuis, Libyens et Tunisiens talonnent les Saoudiens pour prendre la relève mais le phénomène, bien qu’amoindri, existe toujours. À l’origine, un projet de société et un défi : la Toile Le recrutement des jihadistes algériens remonte à la période de la guerre froide avec ces Algériens partis combattre en Afghanistan auprès des talibans contre les Russes.

De retour en Algérie, beaucoup d’entre eux formeront les premiers maquis terroristes pour mener, à partir du 29 novembre 1991, sous la houlette du sinistre Tayeb El-Afghani, leur première attaque à Guemar dans la région d’El- Oued. Sous le charme des récits de ces vétérans afghans, du harcèlement d’enseignants formés par les missions venues du “Machrek” dans le cadre de l’arabisation de l’école algérienne et mis en condition par un appareil idéologique de l’État (AIE) dévoué aux Ghazali and co ; des centaines de lycéens et d’étudiants laisseront tomber leurs études pour aller rejoindre les différents groupes islamiques armés dès 1993.

Certains d’entre eux n’hésiteront pas à passer leurs propres parents au fil du couteau avant de devenir des chairs à canon. La population de tout un douar du massif de Collo a fini par prendre les armes et chasser les sanguinaires des GIA après avoir découvert que ses enfants, avec l’installation du premier maquis terroriste, avaient quitté l’école, non pas pour faire le jihad tant miroité, mais pour agrémenter les nuits esseulées des “émirs”. Pour la seule ville de Collo, à l’est du pays, 20 ex-élèves issus d’un même lycée, Ibn-Badis, à la scolarité régulière, trouveront la mort sous les ordres de leurs “émirs” et dont certains furent par le passé leurs enseignants au sein d’une école censée être républicaine.

Ce massacre ne date pas de cette époque-là. Selon le Dr Boudarene (voir entretien), il a commencé au milieu des années 1970 lors de l’arabisation de l’enseignement. L’école algérienne et la formation du citoyen de demain ont été cédées aux “frères” venus de l’Orient. Début 1990, on s’est rendu compte que notre école formait des “fakihs” qui passaient des heures à palabrer sur le nombre des Houris au Paradis et non des adultes capables de faire des arbitrages dans la lucidité.

Aujourd’hui, ces frères d’Orient n’officient pas chez nous mais le Net est devenu une vitrine pour leur commerce de la haine, de la mort et de la désolation. Aujourd’hui, nous sommes loin des anciens réseaux de recrutement des jeunes jihadistes de l’époque de la guerre froide quand la CIA pensait, Djedda finançait, Islamabad recrutait et Peshawar formait. Avec le Printemps arabe, de nouveaux États se sont initiés à l’instrumentalisation de la religion et des seigneurs de la contrebande se sont reconvertis dans le recrutement et le passage des jeunes jihadistes. Les mises en scène sur les sites Web ont remplacé les prêches sur cassettes audio et Doha fait de la rude concurrence à Djedda quand il s’agit de passer à la caisse.

En marge de cette restructuration, le marché des jihadistes, si l’on ose dire, s’est, lui aussi, mondialisé. Aujourd’hui, dans une véritable logique de réseaux, Boko Haram recrute pour Al- Qaïda et celle-ci pour l’IEI, et ainsi de suite. Reste que l’ensemble des conclusions des enquêtes menées par les différents services de sécurité engagés dans la lutte antiterroriste, convergent vers la piste de la Toile. L’essentiel de la propagande jihadiste et des activités des réseaux de recrutement se déroulent sur la Toile.

Et, à ce niveau, tous les spécialistes s’accordent à dire que la solution n’est pas dans la censure du Net, mais dans la préparation des utilisateurs de ce produit de modernité à développer une pensée cartésienne, à faire le libre arbitre, à séparer le bon grain de l’ivraie. Tout cela passe par une école réformée non pas dans ses structures, mais dans ses programmes.

Mourad Kezzar