Les membres de la famille régnante au Qatar ont été conviés hier à une réunion inhabituelle par l’émir du pays, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, avec à l’ordre du jour des changements à la tête de l’État, dont son abdication au profit du prince héritier, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani.
Que se passe-t-il au Qatar ? La question mérite d’être posée en raison des informations faisant état d’un changement à la tête du pouvoir, acquis par un coup de force de l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani, qui a pris en 1995 les commandes du pays en renversant son père Khalifa ben Hamad al-Thani, alors que celui-ci était en vacances en Suisse. Qu’est-ce qui peut bien justifier cette abdication surprise, car l’émir richissime de ce pays gazier à la diplomatie internationale très active est relativement jeune (né en 1952), comparé aux autres rois et chefs d’État de la région, en majorité septuagénaires, voire octogénaires ? Une chose est sûre, la chaîne de télévision qatarie d’informations Al-Jazeera a annoncé hier que l’émir du Qatar, cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani a informé la famille régnante de sa décision de remettre le pouvoir à son fils.
Pourtant, ni l’agence officielle du Qatar ni les autres médias de l’émirat n’ont rapporté l’information, qui intervient alors que les rumeurs sur un prochain départ du Premier ministre et d’importants changements à la tête du pays se faisaient persistantes à Doha. Le souverain “s’est réuni avec la famille régnante et les notables et les a informés de sa décision de remettre le pouvoir au prince héritier, cheikh Tamim ben Hamad al-Khalifa”, a précisé la même source. “L’émir devrait s’adresser à la famille régnante et annoncer d’importants changements à la tête du pouvoir”, avait indiqué la veille une source proche des milieux dirigeants du Qatar. Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani devrait en faire l’annonce officielle lui-même ce matin. “L’émir s’adressera à la nation à 8h mardi (5h GMT)”, a indiqué à l’AFP un responsable qui a requis l’anonymat. Cette abdication est une première dans ce pays et dans l’histoire récente du monde arabe, où aucun souverain n’a jamais renoncé au pouvoir de son plein gré.
Avant qu’elle ne soit connue, cette volonté de l’émir du Qatar de céder le pouvoir à son fils a été à l’origine d’une tentative de putsch au cours de ce mois de juin. En effet, à en croire une information rapportée par le site de la chaîne de télévision saoudienne basée à Dubaï, Al-Arabiya, et d’autres médias arabes, un groupe d’officiers agissant sur ordre du Premier ministre, Jassem ben Hamad, aurait tenté un coup d’État contre l’émir du Qatar Hamad ben Khalifa al-Thani. Al-Manar, Al-Arabiya et Ennahar ont indiqué que de violents échanges de tirs ont opposé la garde royale et le groupe de putschistes. Ce coup d’État fomenté par, en tout, 27 responsables militaires et sécuritaires aurait été avorté, grâce en partie à l’intervention de militaires américains. Aucune information officielle sur cette tentative de coup d’État n’a été fournie par Doha.
Un transfert de pouvoir graduel ?
Si la décision de céder le pouvoir est prise, il reste à savoir s’il s’agit d’une abdication pure et simple, ou d’un transfert de pouvoir graduel à travers une nomination au poste de Premier ministre à la place du puissant cheikh Hamad ben Jassem ben Jaber al-Thani, qui occupe ce poste depuis 2007. Né en 1980, cheikh Tamim, deuxième fils de l’émir et de cheikha Moza, sa deuxième épouse, est le commandant en chef adjoint des forces armées. Il préside le Comité olympique et contrôle l’important dossier du Mondial-2022 de football que ce pays doit accueillir. Au cours des trois dernières années, l’émir lui a progressivement confié les dossiers de l’armée et de la sécurité, selon une source diplomatique. Il n’est pas exclu que ce transfert de pouvoir ne soit que de pure forme, comme le laisse penser Neil Partrick, un analyste spécialisé dans les pays du Golfe.
Selon lui, le prince héritier, qui “a déjà la responsabilité de plusieurs dossiers sensibles de politique étrangère”, “ne devrait pas décider de changements importants sans consulter son père”. Ceci étant, un responsable qatari avait confié à l’AFP sous le couvert de l’anonymat que “l’émir est convaincu qu’il doit encourager la nouvelle génération. Il compte transférer le pouvoir au prince héritier, cheikh Tamim, et effectuer un remaniement ministériel pour nommer un grand nombre de jeunes au Conseil des ministres”. “L’émir pourrait prendre du champ, c’est-à-dire pas forcément se retirer complètement mais jouer un rôle plus honoraire, de telle manière que son fils puisse assumer davantage de responsabilités et donc devenir l’homme en charge” du pays, a indiqué de son côté une source diplomatique française. “En organisant lui-même sa succession et dans de bonnes conditions, cheikh Hamad veut aussi répondre à certaines critiques visant le Qatar sur le thème ‘vous êtes une autocratie et vous ne voulez du Printemps arabe que chez les autres’. Tel qu’on le comprend, il veut montrer un exemple de transition réussie et en douceur chez lui”, a affirmé une autre source diplomatique française.
Un remaniement ministériel important attendu
Quant au Premier ministre, cheikh Hamad ben Jassem ben Jaber al-Thani, qui a joué un rôle important dans la politique étrangère volontariste du Qatar, marquée par une participation à l’intervention armée en Libye, et un soutien actif aux rebelles syriens contre le régime du président Bachar al-Assad, son avenir est incertain. Un responsable qatari, qui a requis l’anonymat, a exclu que son rôle soit terminé, estimant qu’“il demeurera influant, du moins en coulisses et dans le dossier des investissements du Qatar à l’étranger”.
Ainsi, un remaniement ministériel important est également attendu au Qatar, dans le cadre duquel le puissant Premier ministre, cheikh Hamad ben Jassem ben Jaber al-Thani, pourrait perdre son poste, qu’il occupe depuis 2007, ou du moins le portefeuille des Affaires étrangères qu’il détient depuis 1992, selon des sources concordantes.
Ces évènements interviennent alors que le richissime État gazier du Golfe a pris, depuis les soulèvements arabes qu’il a encouragés, une importance primordiale sur la scène politique arabe. L’émir qatari, soupçonné d’être le principal sponsor des Frères musulmans et financier du djihad dans de nombreux pays arabes et musulmans, s’est fait remarquer ces dernières années par son ingérence poussée dans les affaires de nombreux pays arabes et musulmans.
Il a notamment encouragé ce qu’on appelle communément le Printemps arabe en menant, par le biais de la chaîne de télévision Al-Jazeera, une campagne de déstabilisation dans des États ciblés par cette monarchie.
M T