Les méthodes de cette machine de guerre ont suffi à lui faire occuper le devant de la scène
Très vite, Daesh a réussi l’extraordinaire pari de s’imposer à la face du monde comme un Etat islamique connu, à défaut dêtre reconnu, par les puissances étrangères.
Bon nombre d’observateurs s’interrogent sur la genèse véritable de Daesh – l’Etat Islamique (E.I) – sans parvenir à découvrir, peu ou prou, une organisation qui s’apparente à une nébuleuse, bien plus que ne l’était, en son temps, Al Qaîda. Il se trouve que l’EI n’est pas une entité du genre génération spontanée. Elle a, lentement mais sûrement, mûri dans les méandres d’Al Qaïda en Irak, exploitant les moyens et les objectifs de celle-ci et attendant patiemment son heure qui a résonné avec le Printemps arabe.
Sa progression exponentielle a également bénéficié, après la sombre tragédie qui a affecté l’Irak, de la crise syrienne déclenchée à dessein par les pays occidentaux sous prétexte d’en finir avec le régime de Bachar El Assad. Très vite, Daesh a réussi l’extraordinaire pari de s’imposer à la face du monde non pas comme une organisation terroriste, aussi puissante soit-elle, à l’instar de ce que fut Al Qaîda, mais comme un Etat islamique connu, à défaut dêtre reconnu, par les puissances étrangères. D’Etat, il n’en a en réalité que le titre mais les méthodes de cette machine de guerre, instrumentalisée par ceux-là même qui prétendent aujourd’hui la combattre, ont suffi à lui faire occuper le devant de la scène au Moyen-Orient, notamment dans un Irak ensanglanté et une Syrie dévastée, et partiellement en Libye où ses partisans ont pavoisé récemment.
Son chef, digne successeur de Abou Mossaâb Al Zarqaoui et de Ayman Adhawahiri, qui succéda à Ben Laden, a fait mieux que ses mentors puisqu’il a conféré à son organisation un territoire, sis quelque part entre la Syrie et l’Irak, et proclamé un Califat dont le poids grandissant va jusqu’à menacer les Etats limitrophes qui ont longtemps pourvu à ses besoins avant qu’il ne brandisse le cimeterre de la révolte contre leurs propres intérêts. Il s’agit, on l’aura compris, des monarchies du Golfe qui n’ont eu de cesse de jouer aux apprentis sorciers, prônant une guerre sans merci contre les régimes arabes «laïcs» mais refusant toute mise en cause de leur propre féodalité. Le calife Al Baghdadi, symbole oblige, a de quoi s’enorgueillir par rapport à ses prédécesseurs d’Al Qaîda Si leur action a duré quelques mois, voire deux ou trois ans, la sienne remonte à plus de dix ans au cours desquels il a tout éprouvé.
Ce djihadiste est pour ainsi dire accro à la ligne de front et les épreuves l’ont suffisamment aguerri qui l’ont conduit de la prison à l’assaut en première ligne, en passant par des purges (au sein d’Al Qaîda) dont il est sorti indemne miraculeusement. Avec la proclamation du Califat, il offre aux adeptes musulmans de l’apocalypse, à travers le monde, un terrain salvateur où se décidera la véritable «Mère des batailles». C’est du moins ce dont il est convaincu et dont se convainquent les partisans d’Europe, d’Australie, des Etats-Unis et d’ailleurs qui viennent gonfler les rangs de Daesh pour y dissoudre leur rejet de la globalisation mondiale et leur surplus de violence haineuse à l’égard de leur pays d’origine coupable de graves injustices. Leur parcours sanctifié, leurs erreurs passées absoutes, ils s’engagent dans un djihad élitiste avec le sentiment d’une rédemption assurée. En plus de leur salaire de candidats au martyre, ils reçoivent quelques dividendes d’une manne que le Califat a obtenue après la conquête de Mossoul où les banques prospéraient, ainsi que ses champs de pétrole. Plus besoin des subsides, pourtant généreusement accordés par l’Arabie saoudite et le Qatar, notamment, leur trésor de guerre aujourd’hui dépasse allègrement les 2 milliards de dollars.
Le chemin de Damas est un gage de triomphe pour l’EI qui a fait d’Alep son champ de bataille ultime, non seulement parce que la ville occupe une position stratégique entre la Syrie et la Turquie, mais aussi parce qu’elle est édictée dans une prophétie populaire de la région comme le champ sacré de la confrontation entre l’Islam et l’Occident. Aux sirènes d’une extermination de l’hydre islamiste, il faut pourtant fixer un bémol. Le coup d’arrêt aux visées de l’EI ne viendra ni des Kurdes ni des «révolutionnaires» syriens, télécommandés par certains officines. Ou le peuple syrien parviendra à arracher son libre arbitre, démocratiquement, loin du syndrome «chiites et alaouites contre sunnites», ou les tentacules de l’EI s’étendront à travers les montagnes du Kurdistan pour ravager les pays voisins et peut-être même rééditer un «11 septembre» chez les mentors européens du «Printemps arabe»…