L’Egypte soulagée mais reste en attente : L’islamiste Mohamed Morsi président, l’armée garde la main

L’Egypte soulagée mais reste en attente : L’islamiste Mohamed Morsi président, l’armée garde la main

Mohamed Morsi, candidat des Frères Musulmans, est devenu, hier, le premier président civil d’Egypte élu après une élection ouverte tenue dans un contexte particulièrement tendu. Une élection qui suscite un soulagement général en Egypte où l’on craignait un coup d’Etat contre la volonté populaire pouvant déraper dans les désordres et la violence.

L’Egypte n’a résolu aucun des grands problèmes politiques et institutionnels après la remise du compteur à zéro par les militaires, mais un sentiment de soulagement s’est installé, hier, après l’annonce des résultats. Le risque de «coup d’Etat électoral» qui agitait un grand nombre d’esprits, entraînant un repeuplement de la Place Tahrir, n’a pas eu lieu.

Le président de la Haute Commission électorale, Farouk Soltan, a néanmoins ajouté au supplice des Egyptiens en mettant 48 longues minutes à lire, dans le détail, son rapport avant d’annoncer le résultat de l’élection. Il a suscité une clameur de joie et de soulagement sur la Place Tahrir qui était déterminée à « camper », au cas où le candidat du système, le général Ahmed Chafiq était « imposé ». La clameur de la Place Tahrir, diffusée en direct par les chaînes de télévision, en disait long sur l’ampleur des appréhensions. Au siège de la Commission électorale, Farouk Soltan a été brièvement interrompu par un début de protestation, vite étouffé, de quelques partisans du général Ahmed Chafiq.

Le président de la Haute Commission électorale a pu continuer l’annonce d’un résultat relativement serré qui témoigne d’une forte polarisation, au sein de l’opinion égyptienne. Mohamed Morsi a été déclaré vainqueur de la présidentielle égyptienne, avec plus de 13 millions de voix (51,7%). Son rival, Ahmed Chafiq, incarnation parfaite de l’ancien régime et candidat préféré des militaires même s’ils protestaient régulièrement de leur neutralité, a obtenu plus de 12 millions de voix (48,3%). Le taux de participation au second tour de cette présidentielle, organisée les 16 et 17 juin, s’est élevé à 51%, contre 46% au premier tour, qui s’est tenu les 23 et 24 mai derniers.

DELAI DE «REFLEXION»

Les résultats, qui devaient initialement être donnés le 21 juin dernier, avaient été retardés sous prétexte d’un temps supplémentaire nécessaire pour examiner les recours des deux candidats. Ce délai supplémentaire a créé une situation de tension, les deux candidats ayant annoncé leur victoire. Alors que les partisans de Morsi fêtaient sa victoire, on faisait état d’incidents voire d’émeutes orchestrés dans certains quartiers du Caire par les partisans d’Ahmed Chafiq. On ne connaissait pas encore l’ampleur de ces mouvements mais la victoire de Mohamed Morsi n’est pas contestable. Le résultat devrait permettre de maintenir, pour l’instant du moins, sur un terrain politique, l’âpre bataille pour le pouvoir qui se déroule en Egypte.

Mohamed Morsi devrait prendre ses fonctions à la fin du mois. Et c’est auprès des militaires du Conseil des forces armées qu’il les prendra. Tout un symbole, les militaires et les Frères Musulmans ayant une longue histoire de confrontation alternée par des périodes de relatifs accommodements. Mohamed Morsi sera également le premier civil à accéder à la présidence en Egypte où le poste a été constamment occupé par un militaire depuis la Révolution du 23 juillet 1952.

Les militaires qui ont exercé le pouvoir de manière continue se retrouvent face à une nouvelle élite qui aspire à gouverner et à diriger le pays. Certains doutent qu’il puisse exister un terrain d’entente possible entre ces deux forces dominantes et qu’un bras de fer décisif finira par avoir lieu. Techniquement, après le coup de force juridique qui a abouti à la dissolution du parlement élu et à la prise du pouvoir législatif par l’armée, les Egyptiens ont élu un président qui… ne préside pas grand-chose.

DEUX ECHEANCES MAJEURES

L’élection de Mohamed Morsi peut constituer un répit qui devrait faire baisser la tension dans l’immédiat en attendant les deux futures échéances majeures: la confection d’une nouvelle Constitution et les nouvelles élections parlementaires. L’élection de Mohamed Morsi ne règle rien mais préserve l’avenir et la possibilité d’une négociation de la transition. Les militaires ont sagement reculé devant la tentation d’aller jusqu’au bout du coup de force en imposant Ahmed Chafiq.

Le retard mis dans l’annonce des résultats semble avoir été, pour l’armée, un délai de réflexion et d’appréciation des risques. La remobilisation de la Place Tahrir , consécutive au coup de force juridique, a constitué un indicateur du risque d’aller jusqu’au bout dans l’opération. Des informations ont confirmé, par ailleurs, que durant ce long intermède d’attente des résultats des contacts ont eu lieu régulièrement entre les militaires et les Frères Musulmans. Les militaires ont apparemment estimé qu’ils pouvaient accepter le résultat des urnes dès lors qu’ils ont dépouillé, par avance, le président élu de l’essentiel de ses pouvoirs.

L’Egypte a un président civil sans pouvoir, elle a une armée qui détient tous les pouvoirs. Elle n’a pas de parlement, ni de constitution. Elle est au point zéro de la transition.