Le poids des Frères musulmans au sein du comité chargé de rédiger la loi fondamentale suscite l’inquiétude des libéraux.
Samedi dernier, les deux Chambres du Parlement, à majorité islamiste, ont élu les 100 membres censés plancher sur l’écriture du texte. Cinquante sont parlementaires, 25 hauts fonctionnaires, et le quart restant est composé de représentants de la société civile. Trois jours plus tard, ils étaient une vingtaine à avoir démissionné. Libéraux pour la plupart, ils redoutent l’hégémonie des Frères musulmans, via leur parti, Liberté et Justice, et des salafistes d’al-Nour au sein de la Constituante, composée au total de plus de soixante islamistes. «Le manque de représentation des femmes, des populations du Sinaï et de Nubie et d’autres mouvements religieux et politiques est inapproprié pour une commission chargée d’écrire une Constitution», s’est insurgée Mona Makram Ebeid, députée du parti de droite al-Wafd et démissionnaire. Seuls six femmes et six chrétiens ont obtenu leur fauteuil. Beaucoup redoutent une mainmise des islamistes sur la rédaction de la future Constitution. La référence à la charia est évidemment au cœur des débats. L’article 2 de la Constitution de 1971 présentait la loi islamique comme «source principale » de la législation égyptienne. Les salafistes ont déjà annoncé leur souhait de renforcer cette disposition.
Divorce consommé
Pour l’heure, aucune proposition concrète n’a cependant été mise sur la table et le contenu de la future Constitution reste très flou. Les Frères musulmans, première force politique du pays, semblent défendre le modèle parlementaire avec un pouvoir législatif fort et un président faible. Le sort réservé à l’armée demeure également inconnu. Le Conseil suprême des forces armées (CSFA), qui dirige le pays depuis la chute de Moubarak, entend préserver ses intérêts, notamment économiques, et voudrait, avant de retourner dans ses casernes, obtenir la garantie de n’être poursuivi ni pour corruption ni pour les morts de manifestants lors des derniers affrontements avec la rue.
Il n’est pas certain que la confrérie et le CSFA trouvent un terrain d’entente. Ces deux forces conservatrices, qui entretiennent depuis la révolution des relations ambiguës, sont désormais ouvertement en crise. Depuis quelques jours, Frères et militaires s’affrontent à coups de communiqués assassins. La confrérie, avec l’appui des salafistes d’al-Nour, exige la démission du premier ministre, Kamal al-Ganzouri, soutenu par l’armée. Face au refus du CSFA, les Frères ont haussé le ton, mettant en doute la volonté des militaires de rendre le pouvoir aux civils et menaçant de mobiliser leurs sympathisants pour une deuxième révolution. Des accusations rejetées par le maréchal Tantawi, à la tête du CSFA, qui a rappelé la nécessité d’une Constitution représentant les Égyptiens dans leur ensemble. Le divorce est consommé.