Le discours, tant attendu, de Morsi n’aura finalement rien apporté à une Egypte en quête du moindre signe salvateur. Au contraire, et à bien réfléchir, dans ce discours, le successeur de Moubarak a fait preuve d’une surdité incroyable aux appels de la rue, d’un aveuglement certain quant au danger imminent qui guette son pays, et d’une ferme volonté de mener le pays du Nil droit dans le mur.
Certes, le nouveau raïs a appelé les opposants à un dialogue pour ce samedi 8 décembre et s’est dit prêt à revenir sur l’article 6 du décret constitutionnel mais il a, en même temps, insisté sur le fait que le référendum aura lieu à la date prévue, oubliant que la revendication de la rue ne se limite plus au seul décret mais qu’elle s’étend aussi au référendum et au projet de Constitution lui-même. D’ailleurs, maintenant que les choses sont plus lisibles, Morsi n’avait eu recours à la fameuse déclaration constitutionnelle que pour pouvoir mener à terme son chantier relatif à la Constitution. Et, depuis qu’ils l’ont compris, les opposants au président ne se focalisent plus sur la déclaration constitutionnelle, ils exigent l’annulation pure et simple de la déclaration, le retrait du projet de Constitution et la reconstitution d’une commission constituante qui devrait travailler à un nouveau projet. En fin de compte, de cette manière, le président égyptien n’aura cédé sur rien et se serait joué de l’opposition et de tous ceux qui rejettent l’approche présidentielle. Le piège semble fonctionner.
Depuis le début, Morsi a cherché à gagner du temps. L’essence même de la déclaration constitutionnelle était de se prémunir contre toute résistance et de se donner les moyens d’aller vite dans la besogne. Le silence dans lequel il s’est muré depuis le début était, lui aussi, destiné à lui faire gagner du temps. Même l’empêchement, par les partisans du président, des membres de la Cour constitutionnelle de statuer sur la constitutionalité du projet, faisait partie de cette stratégie. A cela, vient s’ajouter cet appel au dialogue par lequel le président égyptien veut gagner une ou deux journées supplémentaires.
Depuis le 22 novembre jusqu’à aujourd’hui, beaucoup de temps est passé et c’est ce à quoi travaillait le successeur de Moubarak. Il reste maintenant à organiser le référendum ce 15 décembre et le président n’a besoin que d’une semaine… une semaine durant laquelle ses partisans continueront à empêcher le fonctionnement de la Cour constitutionnelle et à banaliser les revendications d’une grande partie de la population.
Le décret constitutionnel lui ayant permis de faire le gros du chemin sans problème, il peut – pour trois ou quatre jours – s’en passer et c’est ce qu’il présente, dans son dernier discours, comme étant une concession, un geste à l’adresse de l’opposition, un esprit d’ouverture, une preuve de démocratie! Mais entre-temps, encore une fois, le sang a coulé et les choses se sont mal passées. Les policiers sont accusés par l’opposition de laisser les mains libres aux partisans de Morsi, ces derniers sont accusés de s’en prendre à des manifestants pacifiques et il y eut même utilisation d’armes à feu. De quoi inquiéter sérieusement les Egyptiens.
Durant la période écoulée, celle depuis que le président a décidé de s’octroyer les pouvoirs exceptionnels que l’on connaît, plusieurs erreurs ont été commises par Morsi.
La première est celle de s’être emparé de ces pouvoirs car, dans une République, la place de chaque acteur est déterminée et il n’appartient à aucune partie de mettre les pieds dans le plat de l’autre. Ce manquement aux principes mêmes de la République a été l’élément déclencheur de la situation dont nul ne peut encore prévoir l’issue. La deuxième erreur de Morsi a été d’ignorer les appels, de ses compatriotes et de la communauté internationale, à la raison. Convaincu de détenir la vérité, il engagea, seul contre tous, son pays dans un tournant difficile à négocier et Dieu seul sait de quoi seront faits les lendemains de l’Egypte. La troisième erreur du raïs est d’avoir trop mêlé son parti à la gestion du pays au point où il est devenu difficile de dire qui des deux dirige le pays: le président ou son parti. Et cette situation ne peut être que génératrice de confusion, d’amalgames et de problèmes. La preuve! La quatrième erreur est d’avoir laissé ses partisans investir la rue pour le défendre et parler en son nom. Ceci signifie deux choses: d’abord que le raïs se sent plus président de son parti que des Egyptiens, ensuite, cela signifie aussi que son parti est trop impliqué dans la gestion du pays. La cinquième erreur est d’avoir observé le silence lorsque ses partisans avaient empêché les juges de la Cour constitutionnelle de statuer sur la constitutionalité du projet de loi qui sera soumis à référendum dans une semaine.
Cette action, à elle seule, ôte à la démarche du président toute légitimité et condamne son parti pour entrave à la justice. Mais comme si de rien n’était, Morsi n’a soufflé mot sur cet épisode… Morsi a fait sortir les militaires de la caserne, encore une fois, pour maîtriser la rue… ce qu’il rejetait lui-même, ainsi que son parti, lorsque Moubarak le fit pour les mêmes raisons. Comme quoi, tout dépend de l’endroit d’où l’on regarde les choses.
Au point où en sont les choses, la visibilité de la scène politique égyptienne n’est pas aisée. Y aura-t-il un référendum? Y aura-t-il un boycott de ce référendum? A vrai dire, les choses sont minées. Elles sont biaisées. Il suffit que les partisans de Morsi aillent voter pour que toute idée de boycott tombe à l’eau, or il est hors de pensée qu’ils n’aillent pas aux urnes. Il faut plutôt s’attendre à ce qu’ils se mobilisent pour faire voter un maximum de citoyens, ceux trop peu conscients des enjeux ou qui, carrément, ignorent de quoi il retourne et leur nombre n’est pas insignifiant. Mais, pour voter une loi, encore faut-il l’avoir lue et avoir pris connaissance de son contenu. Or, dans l’Egypte de Morsi tel ne semble pas la règle. Il semble que le président demande qu’on lui fasse confiance sans trop chercher à savoir sur quoi ni pourquoi… sinon, il aurait fait publier cette nouvelle Constitution, les médias auraient engagé des débats, les citoyens auraient participé et la commission constitutionnelle (à supposer qu’elle bénéficie de l’approbation de l’ensemble des parties prenantes) aurait dû revoir les points les plus controversés. Ainsi, lorsque le référendum sera proposé, il le sera à propos d’une loi que tous connaissent. Mais en agissant comme il l’a fait, le président, taxé désormais de nouveau pharaon d’Egypte, a piégé son pays. Organiser un référendum et compter sur le nombre de ses partisans pour empêcher tout boycott ou toute invalidation d’une Constitution malformée, rejetée par une grande partie de la population et non validée par la Cour constitutionnelle. Un projet obtenu par césarienne douteuse et que l’opposition, soutenue par une bonne partie des Egyptiens, rejette purement et simplement au vu des conditions dans lesquelles a eu lieu son accouchement. Il ne reste plus beaucoup de temps. Les opposants aux manoeuvres présidentielles laisseront-ils faire? C’est ce qu’on verra d’ici là. En attendant, prions pour que la sagesse l’emporte d’un côté comme de l’autre