Une quinzaine de personnes ont été tuées, samedi soir, à la suite d’une émeute survenue dans une prison de l’est du Caire.
Le bilan des morts et blessés s’alourdit, la protestation s’est accentuée, les étrangers rapatriés, les prisonniers évadés, la police retirée et voilà l’Égypte au bord du chaos. Au sixième jour du soulèvement populaire contre le régime de Hosni Moubarak, la tension monte de plus belle et se propage telle une traîne de poudre à travers le pays. Du jour au lendemain, les événements se précipitent et l’Égypte plonge dans un climat de guerre.
Selon les informations qui parviennent du Caire, le bilan des victimes, depuis le déclenchement des événements, s’est alourdi, notamment lors des journées de vendredi et samedi. Les derniers chiffres, non confirmés par les officiels égyptiens, parlent d’environ 120 morts et près de 2500 blessés. Pour la soirée du samedi, une quinzaine de personnes ont été tuées à la suite d’une émeute survenue dans une prison de l’est du Caire.
Des témoins ont affirmé aux chaînes satellitaires que des coups de feu ont été tirés après l’évasion des prisonniers dans la foulée des manifestations. Citant une source sécuritaire, l’AFP a fait état de «coups de feu tirés de l’intérieur et de l’extérieur de la prison d’Abou Zaabal».
L’arrivée, samedi, de deux autres militaires au pouvoir, le général Omar Souleimane, au poste de vice-président, et le général Ahmad Chafic, au poste de Premier ministre, n’a pas contribué au retour au calme comme le prétendait le Raïs, mais elle a plutôt embrasé la rue surexcitée par une telle décision. Dans la journée d’hier, les manifestants n’ont pas désarmé. Plusieurs dizaines de personnes convergeaient tôt vers la place emblématique de Tahrir (place de Libération).
La révolte qui, en de nombreux endroits, a tourné à l’émeute et dégénéré en de violents affrontements entre police et manifestants, s’est propagée à d’autres villes. Suez, Alexandrie, El-Ismailya ainsi que dans les villes enclavées. Les citoyens sont sortis, encore une fois, pour demander à Moubarak de comprendre son peuple comme l’a bien fait l’ex-président tunisien, Zine El Abidine Ben Ali qui a abdiqué face à la volonté du peuple en quittant le pouvoir. Les manifestations ont paralysé, selon les agences de presse, partiellement le pays. Les distributeurs de billets de banque étaient vides, les banques et la Bourse étant toujours fermées après leur congé hebdomadaire, les examens dans les universités et les écoles ont été reportés et les commerces dans les grandes artères et les villes principales du pays fermés.
Devant une telle montée de la contestation, la police n’a pas trouvé mieux que de se retirer. La même source a rapporté que des avions de chasse ont survolé, à plusieurs reprises, la capitale égyptienne à très basse altitude. Les images de télévision montraient les citoyens organiser la circulation et défendre leur quartier, les policiers ayant totalement déserté les rues du Caire. Des comités de citoyens aux allures de milices d’auto-défense armés de fusils, de gourdins ou de barres de fer patrouillent la nuit les quartiers de la capitale égyptienne. Ce retrait des services de l’ordre a suscité la polémique dans le rang des citoyens et même chez les dirigeants du pays.
C’est «un complot de la sécurité pour appuyer le scénario du chaos», titrait en Une dimanche le quotidien indépendant Al-Masri Al-Yom. Le journal rapporte qu’«un haut responsable de la sécurité a ordonné à tous les secteurs du ministère de l’Intérieur d’évacuer leurs positions et de se retirer des rues, des points de contrôle et de la circulation et de quitter les postes de police».
Face à l’ampleur des manifestations, les Américains, les Européens et les organisations mondiales ont intensifié la pression sur Hosni Moubarak, leur plus proche allié dans le Monde arabe. Les dirigeants occidentaux ont appelé le Raïs à «engager un processus de changement» face aux «revendications légitimes» du peuple égyptien. Lors de sa réunion samedi avec ses conseillers de la Sécurité nationale consacrée à la situation en Egypte, le président américain, Barack Obama, a appelé au respect des droits universels, et «soutient des mesures concrètes qui font avancer la réforme politique en Egypte». De son côté, Hillary Clinton, la chef de la diplomatie américaine, a estimé dimanche que le président égyptien n’avait pas encore fait assez de pas vers la démocratisation, se prononçant pour «une transition en bon ordre». Dans une déclaration commune samedi, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne s’étaient alignées sur les Etats-Unis pour réclamer du lest à l’Egypte où la population réclame la chute du raïs, au pouvoir depuis près de 30 ans.
«Nous appelons le président Moubarak à éviter à tout prix l’usage de la violence contre des civils sans armes et les manifestants à exercer leur droit pacifiquement», ont affirmé Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et David Cameron, en appelant leur homologue à «engager un processus de changement». Préoccupée par les événements, l’Union européenne (UE) a, de son côté, appelé à «l’arrêt de la violence pour stopper les effusions de sang». Dans un autre registre, plusieurs pays ont procédé au rapatriement de leurs ressortissants en Egypte par mesure de sécurité. De leur côté, les touristes étrangers ont quitté le Caire.
Tahar FATTANI