« On mangera des haricots secs ou des lentilles ». Une phrase qui revenait dans la bouche des pères de famille qui ne travaillaient pas ou qui touchaient un salaire trop bas pour prétendre à autre chose.
C’était quand les haricots secs, les lentilles et autres fèves sèches étaient considérés comme l’aliment du pauvre et qu’ils ne coûtaient jamais plus de 50 dinars le kilogramme. Mais depuis plus de deux années maintenant, ces légumes secs ont vu leurs prix augmenter tellement que beaucoup affirment qu’ils préfèrent acheter un peu de viande que ces aliments. En effet, le haricot sec atteint des cimes ces derniers jours avec un prix qui a frôlé les 180 dinars il y a une semaine pour « retomber » hier à 140 dinars le kilogramme ; c’est le même prix pour les lentilles et les pois chiche.
Mais les commerçants grossistes déclarent que ce n’est qu’une accalmie avant la reprise de l’ascension et que ces légumes secs pourraient atteindre facilement les 200 dinars, voire plus, pour peu qu’une rupture de stocks soit annoncée, réelle ou pas.
Mais il ne faut pas croire que ce sont uniquement ces produits qui connaissent cette hausse inconsidérée de leurs prix, car il en va de même pour le sucre, qui ne veut plus redescendre audessous de la barre des 100 dinars le kilo, la farine à 1.100 dinars le sac de 50 kg, la semoule à 45 dinars le kilo et, bien sûr, l’huile qui affiche entre 610 et 650 dinars le bidon de 5 litres.
Mais comme tous ces produits sont utilisés pour la confection d’autres sous-produits, comme la limonade, les gâteaux, pour ne citer que ces deuxlà, nous assistons à ce qu’on pourrait appeler la théorie des dominos, mais en sens inverse, c’est-à-dire que lorsqu’un produit voit son prix relevé, ce sont beaucoup d’autres qui suivent le mouvement. Et c’est toujours le consommateur qui paie la facture.
Mais, fait insolite, ces augmentations de prix, pourtant très importantes, n’ont pas suscité les remous induits par la pomme de terre ou d’autres légumes frais. En effet, ce sont des augmentations qui vont crescendo, en silence, de manière insidieuse, et personne ne semble en mesurer les effets réels ; même les ménagères et les pères de famille donnent le sentiment d’abdiquer devant ce phénomène et affirment que « l’essentiel est de trouver ces produits ».
Quand nous nous rapprochons des commerçants, nous avons droit à des réponses diverses, selon leur catégorie.
Pour les détaillants « ce n’est pas moi, c’est le grossiste ». Alors que les grossistes affirment : « Qu’est-ce que vous croyez ? Je ne rentre même pas dans mes frais, surtout que les importateurs font la loi et personne ne peut prévoir une augmentation sur tel ou tel produit ».
Le mot est lâché et tous les regards se portent vers cet importateur que personne ne connaît ou que personne ne peut atteindre. Les grossistes vous parlent des importateurs, mais aucun d’eux ne donne un nom, comme si c’était une personne invisible, insaisissable, au-dessus des lois et des lots.
En effet, c’est un sentiment prenant qui est ressenti quand on discute avec les grossistes, qui sont pourtant la chaîne de transmission entre ce fameux importateur et les détaillants, et vous laisse sur votre… faim, car c’est toujours à demi-mot ou avec des intonations indéfinissables qu’ils citent leurs fournisseurs.
Quant aux citoyens qui subissent cette inflation, c’est plutôt un sentiment de lassitude, de faiblesse, de « que pouvons-nous faire » qui se dégage de leurs réponses, et toujours avec l’air de vous dire : « Et vous, qu’allez- vous changer avec vos écrits ? ».
Quoi qu’il en soit, nous assistons depuis de longs mois à une inflation implacable qui ne ronge plus le pouvoir d’achat mais le dévore à belles dents, une inflation en cachette et qui ne semble pas vouloir s’arrêter.
Et le meilleur de l’histoire, comme l’a affirmé un citoyen, c’est que « lorsqu’un produit quelconque voit son prix augmenter, on ne le voit jamais revenir en arrière, même si les conditions qui ont causé cette augmentation ne sont plus de mise, comme la prétendue augmentation sur le marché international ».
Tahar Mansour