Des évènements pour nous évocateurs se déroulent en Tunisie. Plus de cent blessés et déjà un mort en vingt-quatre heures de violence, un état d’urgence dix-sept mois déjà et, depuis avant-hier, un couvre-feu.
Pour la seconde fois, c’est l’art qui donne prétexte à la violence salafiste : un film déclaré blasphématoire retransmis par la chaîne Nessma TV début octobre 2011 et une exposition d’œuvres d’art, cette fois-ci. Au début des années 1990, nos islamistes avaient commencé par assaillir des salles de spectacles (Harcha et l’Atlas), interdire un concert de Linda de Souza et fermer la cinémathèque de Bordj Bou-Arréridj. Le bannissement de l’art et de la femme, par “nature” désarmé devant sa violence, est la porte d’entrée de l’intolérance islamiste. Puisque cela ne menace pas encore leur pain et leur pouvoir, “les hommes” de l’État et de la société sacrifient aisément ces deux catégories sur l’autel de leur “paix civile”. Première phase de cet “arrangement” en Tunisie : en même temps qu’ils attaquaient le siège de Nessma, les salafistes tunisiens exigeaient “le niqab à l’université”.
Le chef d’Ennahda peut se donner de la contenance ou conjurer son dépassement annoncé en proclamant que “Ayman al-Zawahiri n’a pas d’influence en Tunisie”. N’empêche qu’une vague de violences a secoué plusieurs régions du pays deux jours après l’appel du chef d’Al-Qaïda qui a appelé les Tunisiens à se soulever pour imposer l’application de la charia. En fait, là où Ghannouchi est possible, Al-Zawahiri est possible. Islamisme modéré, islamisme radical et islamisme armé sont des versions, des étapes, d’un même projet.
Le processus d’infiltration et d’expansion de la terreur islamiste n’a pas de mystère : il marche sur les pas de l’islamisme dit “modéré”, profite de la conversion populiste et des reculades des pouvoirs en place, recrute dans tous les opportunismes, offre l’instrument et l’occasion de revanche à tous les frustrés et les laissés-pour-compte, et soumet les lâchetés de la société et de l’État à son projet.
Et la lâcheté du pouvoir de transition tunisien s’est déjà exprimée ; une première fois en organisant un procès contre Nessma TV et une seconde fois, aujourd’hui, en renvoyant dos à dos “les terroristes”, auteurs de violences de mardi, et les “provocations artistiques” des organisateurs de l’exposition de La Marsa. Il ne veut plus s’arrêter, d’ailleurs, dans sa surenchère de concessions aux salafistes : après avoir fermé le palais Abdellia, le ministre de la Culture (!) annonce qu’il portera plainte contre les animateurs de l’exposition. Les artistes tunisiens ne s’y sont pas trompés en dénonçant “la lâcheté” des autorités et “un conservatisme absolument incompatible avec la liberté de création et d’expression”. Tous ces bons principes ne seront bientôt que slogans nostalgiques de démocrates marginaux. Quand la classe politique, devançant la société, se ralliera, par pans successifs, au discours islamiste, quand dans la société, hommes et femmes ne verront plus leur salut quand dans la conversion à ce qui “constitue, somme toute, les valeurs de cette société”, les démocrates invétérés ne se compteront plus que par petites poches de résistance. Le meilleur allié de l’obscurantisme dans nos sociétés, c’est la faiblesse morale que les dictatures ont su y cultiver.
M. H