Sur les 3 milliards de personnes dans le monde ayant un emploi; 1,8 milliard sont dans le secteur informel. C’est ce qu’a publié l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) dans ses statistiques (1) et lui reconnait un dynamisme plus important que celui du secteur formel.
Dans une étude de 2002, l’Organisation Internationale du Travail (OIT), a relevé que 60 à 90% de la population active en Afrique est employée dans l’économie informelle. Quel que soit le niveau hypothétique de réduction 10 ans après; prise par l’extrémité de la légalité ou de l’utilité, en évitant d’attaquer le milieu car c’est la place du poumon, l’économie informelle n’est pas le propre de l’Algérie. Ni son mal.
L’économie parallèle en Algérie : entre la systémique et la structurelle.
Il est utile de préciser que l’Algérie – et obligatoirement – avec d’autres pays agit dans le plus grand marché INFORMEL du monde : le marché des changes (devises); celui de Londres étant le premier. Passons à d’autres chiffres.
a) Au niveau africain
L’estimation des volumes financiers de l’économie informelle en Afrique est illustrée dans le graphique ci-dessous :
Source: Global Financial Integrity. Illicit financial flows from Africa. Hidden resource for development.//www.gfintegrity.org/storage/gfip/documents/reports/gfi_africareport_web.pdf
Si dans cette estimation, notre pays occupe la 3ème place, et pour satisfaire à l’objectivité de l’information et à la neutralité de l’écrit, il n’apparait pas dans le modèle dit de Ndikumana et Boyce.
Dans une lecture rapide des données utilisées par le 1er modèle (CED + GER), des périodes de variations sensibles des volumes monétaires apparaissent clairement : avant 1979 où les chiffres annuels sont nuls mais ne disent rien sur son (in)existence; la période 1980-1990 et la période postérieure à 1991.
Ce regard sur l’économie informelle en Algérie montre qu’elle est devenue systémique depuis le changement du régime politique et de l’abandon de l’économie dirigée en optant pour la libérale à partir 1980 et qui évolue vers l’ultralibérale depuis le début des années 1990.
Depuis le début des années 1980, l’augmentation de l’économie informelle est concomitante avec la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel du Fmi et les changements fréquents dans les orientations des politiques publiques. La crise de la dette vécue par les pays en voie de développement et même la solution, le Consensus de Washington (4) y sont dans ses causes.
Pour des informations plus récentes et explications sur les différents modèles, lire le rapport sur les flux financiers illicites en provenance des pays en développement 2002-2006 publié par le GFI.
b) Les indicateurs internationaux de l’Algérie comparée à d’autres pays : Inde, Italie et Bolivie
C) Les indicateurs sur la force de travail et le chômage en Algérie
http :// www.weforum.org . Pour l’indicateur de force de travail
http :// databank.worldbank.org/ddp/home.do?Step=3&id=4 . Pour l’indicateur de chômage.
Le nombre de chômeurs est un calcul que nous avons fait.
Définition et délimitation de l’économie informelle en comparaison de celle qui est médiatisée
Avant de développer quelques aspects de l’économie informelle en Algérie, sa définition et délimitation sont des éléments préalables. Pour le premier élément, Mozère la définit comme « (tout ce que) la machine étatique n’enregistre pas quelque soit l’activité considérée». Pour le second, procédons par élimination. Les acteurs dans les échanges informels criminalisés tels que le trafic des stupéfiants, armes et des humains tant à l’intérieur qu’à travers les frontières ne sont pas inclus dans la cible désignée dans l’action des pouvoirs publics par la voix du ministre du commerce, Mr Mustapha Benbada. Les marchandises distribuées au noir dans des commerces légaux comme les pharmacies ne sont pas aussi énumérées tout comme les échanges informels dans les marchés hebdomadaires populaires d’apparence réglementés que ce soit à Akbou, Alger où à Tatatouine. Le commerce informel de nuit avant l’ouverture des marchés de gros à El Eulma, Tebessa et ailleurs auquel il faut ajouter celui des matériaux de construction qui portent atteinte aux terres, rivières, forêts sont un « gros morceau » qui nécessitent des moyens plus importants ne sont cités qu’à demi-mots.
Après ce filtrage, les agents et activités restants sont plutôt dérisoires : le vendeur ambulant de thé dans les rues d’Alger-centre de par sa mobilité et sa non-nuisance peut échapper au contrôle à la différence du vendeur de cigarettes ou cacahouètes qui installe son commerce à proximité des habitations ou sur les trottoirs qui est plus vulnérable. Donc, le gros des vendeurs visés agissent dans l’écoulement de bibelots, accessoires et ustensiles de cuisine pour certains et dans la revente des fruits et légumes pour d’autres. Ces derniers, avant dernier maillon de la chaine de distribution, sont une soupape pour les petits agriculteurs qui seront renvoyés entre les mains des gros bonnets de la spéculation.
Une considération importante : l’économie informelle exercée par des paysans qui revendent leur production vivrière sur les places publiques, à proximité des cafés maures ou sur commande est un élément culturel en Algérie et ailleurs.
Quand le créateur de l’économie informelle devient le plaignant : l’État
Si nous acceptons le postulat qu’une partie de l’économie informelle visée par les pouvoirs publics est alimentée par les marchandises importées; affirmer que le plaignant en est la source devient une évidence. Les premiers bénéficiaires sont, pour l’exemple, les importateurs de pétards et de batteries pour téléphones portables et caméscopes et les industriels/transformateurs SKD (semi knocked down) ou CKD (completly knocked down) syndiqués chez les patrons ou non. Ce sont eux qui bazardent leur production/importation dans les marchés comme celui dans la banlieue d’El Harrach, le célébrissime D15.
La presse a rapporté les propos de Mr Réda Hamiani, un connaisseur averti du secteur en tant qu’homme d’affaires, ancien ministre de la pme/pmi et chef d’une organisation de patrons. Il a estimé l’impact de l’économie informelle sur la formelle entre 30 à 60-70 % tout en précisant les secteurs les plus touchés : textiles, cosmétiques et logiciels. Des chiffres plus précis auraient été possibles si toutes les administrations et organisations qu’il connait très bien produisent des synthèses périodiques et élaborent un tableau de bord sur la situation au lieu de lire des réactions comme celle rendue publique après l’intervention d’Omar Aktouf qui fait suite à celle de Taieb Hafsi. Pour compléter ses déclarations, l’économie informelle transnationale touche aussi la prestation de services off-shore chez les informaticiens algériens et ceux qui en savent tirer bénéfice qui domicilient leurs revenus aux Iles Seychelles, un paradis fiscal ou se font rétribuer par des produits : vêtements, livres et logiciels.
Dans ces propos qui lui sont imputés, il indique deux secteurs : celui des textiles et cosmétiques frappés de plein fouet par un dumping prédateur dans son sens économique et celui du commerce des produits numériques copiés et non contrefaits. Dans ce second, les économies de devises faites peuvent être estimées avec une grande précision. A titre d’exemple : nombre d’ordinateurs multiplié par le nombre de suites (ex MSoffice) multiplié par un prix moyen de 300$ la copie. Les administrations publiques en sont de grands consommateurs de versions. Les logiciels spécialisés et plus chers devant être ajoutés. Reste un autre élément et non des moindres : celui du divertissement (cinéma, théâtre, chansons) et du livre numérique. C’est une réponse à l’abandon par les pouvoirs publics de ce secteur. L’argument, même s’il est lourd, lié au droit d’auteur ne devant pas être opposé car les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPICS) et Accord général sur le commerce des services (AGCS) sont une pieuvre qui étouffe les PVD. La Chine pour des raisons culturelles et de développement durable assume le non respect de ces accords, le mot viol convenant mieux.
Le ministre de l’intérieur, Mr Dahou Ould Kablia, a estimé à 70613 le nombre de commerce informels. Ramené à une moyenne, qui ne signifie presque rien devant la médiane, sur les 1541 communes du pays, ce chiffre revient à dire qu’ils ne sont pas aussi nombreux que l’on pense. C’est plus la concentration et la densité de ces activités dans certains quartiers qui pose problème. Autrement dit, c’est sa visibilité qui le stigmatise. Voilà pour le survol de l’aspect structurel et bonjour les douanes nationales et la mondialisation.
Les mesures annoncées entre insurmontabilité et apparence de l’action
L’économie informelle est un aspirateur des emplois que l’État a détruits avec la disparition des pme/pmi, de l’artisanat et de l’abandon de l’agriculture. Elle est la conséquence directe des emplois qu’il n’a pas su créer malgré tous les mécanismes budgétivores qu’il a mis en œuvre. Elle porte en elle, les formes de l’empowerment et des « capabilités », cette théorie du plus fort développée par Amartya Sen qui sévira encore si elle n’est pas abandonnée. Elle est aussi le cautère pour les emplois que les institutions de la « gouvernance mondiale » lui interdisent de créer et en lui intimant l’ordre de quitter la sphère de l’économie de production et de réduire les effectifs sans remplacer les départs de la fonction publique. Le dispositif des départs en retraite anticipée en est l’exemple parfait et il faut bien faire son bilan.
Les échanges informels dans les rues des grandes villes algériennes ou dans les villages de l’intérieur du pays n’auraient pas existé s’il n’y avait pas une demande, un besoin et une offre. Le distinguo entre demande et besoin est important pour faire la nuance entre le nécessaire et le superflu. Par exemple : une demande de médicament générique peut remplacer le besoin dans celui fabriqué dans la molécule originale.
La suppression des marchés informels est une utopie. Réduire le nombre d’acteurs est une opération possible sous six conditions : 1) la permanence de l’action; 2) la disponibilité d’effectifs humains qui l’assureront, 3) une offre variée d’emplois pour les chômeurs, 4) contenir la déception et la frustration des jeunes, 5) sévir contre les contrevenants, 6) (que) les pouvoirs publics ne changent pas d’avis.
L’évaluation de cette opération peut se faire par au moins deux indicateurs s’ils sont produits par les services des statistiques et judiciaires: le nombre de chômeurs et le nombre de condamnations par la justice de délits de droit commun auquel il faut adjoindre le nombre de personnes arrêtées et les plaintes déposées. Des comparaisons avec les précédents chiffres pourraient donner des indications et une corrélation éventuelle avec cette opération. Si ces chiffres sont sensibles, la quantification des ordures et déchets que pourrait faire même les chauffeurs de camions et tracteurs de ramassage en est un autre.
Identification de quelques causes qui favorisent le commerce informel
Faute d’information, l’usage de la monnaie nationale et de sa valeur est l’aspect le plus compliqué et complexe à démêler sur son impact sur le marché informel. Compliqué parce qu’il est idéologique. Complexe parce que notre pays a opté pour une cotation « variable dans une bande ». La masse monétaire par son volume et sa répartition ne nous renseigne pas sur le type de politique : expansionniste qui stimule l’emploi ou restrictive qui s’attaque à l’inflation. Les seules indications fiables portent sur sa dévaluation fournie par des graphiques dynamiques et visibles sur les sites internet spécialisés. Dans une économie d’importation comme la notre, balayer du revers de la main les effets de l’inflation importée est une pensée à éviter même.
Sans prétention sur l’exhaustivité des causes favorisant l’économie informelle – plusieurs vies sont nécessaires à Hernando Soto pour les énumérer, listons les plus apparentes en Algérie.
La première est l’occultation par les autorités publiques, la société civile et des médias du débat continu sur la souveraineté (et non la sécurité) alimentaire. Ce sujet est si vaste que s’il est développé peut absorber une partie de l’économie informelle illégale et criminelle en recréant des emplois stables.
La deuxième relève du management des villes et de leur urbanisation. C’est la construction de grandes cités d’habitation sans les infrastructures commerciales indispensables à la vie intra-muros constitue un appel aux acteurs de cette économie de l’ombre. L’éloignement des nouvelles cités et villes des marchés légaux et formels aggravé par l’absence de schémas de circulation fluides est devenu aussi une opportunité pour ce genre d’activités. Il est vrai que temporairement, certains rues et quartiers respireront mieux et la circulation automobile aura un semblant de fluidité. Un constat qui a réjoui Abed Charef dans un article sur le gros sujet du pouvoir…informel.
La troisième concerne les grands chantiers de l’État sans ouvrages économiques pour les accompagner. Ces chantiers ont eu un effet dévastateur sur les emplois locaux. Ils ont aggravé l’isolement des populations qui a induit un exode rural plus important. Il suffit de se rappeler les activités commerciales le long des anciennes routes nationales et leur disparition sans remplacement sur l’autoroute Est-Ouest longue de 1200 kilomètres.
Parmi les mesures annoncées, il y a la création de zones pour « ghettoiser » des activités qui s’exercent de par leur nature au milieu des populations. Il faut d’abord trouver ces surfaces dans des concentrations de béton armé et de bidonvilles et ne pas les affecter aux activités de proximité (culture, jeux de sociétés, aires pour enfants) des résidents.
Les pistes pour réduire l’économie informelle
A un problème systémique et structurel, les solutions en plus d’être durables doivent s’inscrire dans la durée.
a) Pour réduire le commerce informel, c’est sur la demande et le besoin qu’il faut agir en premier;
b) Que l’Algérie l’assume comme le fait la Chine, l’Italie surtout et l’Inde qui par la voix de son ministre du commerce, dans le cadre de négociations avec l’OMC, a dit : « L’Inde rejette avec force les tentatives répétées visant à inclure ces questions (normes de travail) dans le programme de l’OMC »;
c) Favoriser la création d’associations pour la protection du consommateur, des Ong pour la vulgarisation de comportements responsables et la dénonciation de la dangerosité de certains produits. Ces associations vulgariseront les dangers et les ravages du modèle de consommation massive qu’est l’OBSOLESCENCE;
d) La maîtrise de l’information sur la demande d’emplois mesurée par le taux de chômage et l’offre qui doit être disponible au niveau national. Actuellement, cette offre n’est visible ni dans les médias écrits ni sur les sites internet des entreprises. Les pouvoirs publics peuvent éditer un hebdomadaire spécialisé en offres d’emploi ou mettre on-line un site internet sérieusement administré;
e) Dynamiser l’emploi dans le développement durable en ouvrant dans les créneaux horaires de soirée les universités et les centres de formation professionnelle pour des recyclages, perfectionnements et formations dans de nouveaux créneaux et favoriser la polyvalence. La réouverture de la formation permettra à ceux qui n’ont pas de qualification d’en acquérir une. L’État devant mettre la main à la poche en accordant des bourses d’études et rendre plus performant le système de la protection sociale;
f) En plus des incitatifs généreux déjà offerts par l’État, dynamiser les activités productives dans le secteur agricole et en garantissant un système de distribution efficient sur tout le territoire y compris le sud algérien, ce parent pauvre dans tous les débats;
g) L’exigence à tous les industriels qui ont bénéficié des aides de l’État de satisfaire le cahier des charges en termes d’emploi. La responsabilité sociale des entreprises doit devenir un élément important de la mesure de la qualité et performances des sociétés;
h) La déforestation et la désertification ont été aggravées par toutes sortes d’actes. Regagner de la terre et de la nature pour maintenir l’empreinte écologique de l’Algérie à 1,7 tout en se développant est un sacré défi;
i) Deux règles et non des moindres : exiger des commerçants l’utilisation de caisses enregistreuses dans leurs magasins et imposer l’identification numérique de toutes les unités importées permettront la traçabilité des marchandises;
j) Lutter contre la location des registres de commerce et autres documents qui par-dessus le marché sont des faux. Le financement de ces mesures est à la portée du budget du ministère du commerce.
Un vecteur des plus porteurs pour la réduction de l’économie informelle est la coopération. Le président tunisien en a fait quelques propositions. Si la coopération militaire entre les pays de l’Afrique du nord est réclamée, sa pendante en économie et dans l’emploi est possible. Et c’est un créneau presque inépuisable entre l’Afrique du nord et les États subsahariens pour peu qu’il y ait une uniformisation du droit du travail. Mieux encore, c’est un véhicule pour la paix.
Les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour réduire l’économie informelle
Plus haut, il a été question des douanes et du D15. En rappelant le postulat que l’économie informelle est alimentée par les importations, les TIC sont un outil, si elles sont bien déployées, des plus pragmatiques pour lutter contre l’économie informelle.
Si la suppression du crédit documentaire a soulevé une bronca au niveau national et des coups sur les doigts des pouvoirs publics par les institutions internationales, d’autres moyens existent : instaurer des mesures anti-dumping qui auront le mérite aussi de réduire le déficit de la balance commerciale en excluant le poste exportation des hydrocarbures.
Dans le volet des importations et dans les contrats de vente (achat) internationaux : l’État peut exiger des connaissements détaillés, certificats de conformité des marchandises, factures consulaires, certificats de garantie et d’origine accompagnés de certificats phytosanitaires. Ce sont des mécanismes prévus dans le droit commercial international.
L’exigence de l’équivalent numérique de ces documents pour toute opération de dédouanement et qui seront exploités par les différents services de contrôle sont un moyen pour des résultats assurés à court terme.
Sortir du claironnement de l’assainissement du fichier des registres de commerce et des importateurs en déployant des réseaux informatiques est un moyen dont les effets sur le commerce informel sont garantis. Un effort conjugué avec les services fiscaux, les différentes caisses d’assurances et le réseau des transitaires par l’instauration d’un identifiant de la personne morale et de ses gérants, de sa banque, caisses de cotisation et service d’impôts améliorera la performance et réduira le caractère de paradis fiscal du pays.
Dans cette contribution, la stratégie de prise décision politique n’a pas été abordée combien même la CONVERGENCE qui doit la porter est cardinale.
En conclusion, utiliser l’expression « éradiquer l’économie informelle » est un lapsus(?) à éviter. Elle fait partie de notre état de nature. La réduire gagnerait à être abordé par la sécurisation de la santé publique d’abord en pensant à tous ces produits pour nourrissons et médicaments périmés et dangereux qui circulent et rendre le système fiscal national plus performant. Cette décision des pouvoirs publics a rapidement glissé de la sphère économique à la celle des Règles de l’ordre public. Elle ressemble plus à un signal pour l’OMC et les négociations sur l’adhésion de l’Algérie à son Accord, à l’OCDE qui insiste sur la lutte contre tout ce qui est informel. Il est aussi un signal pour le peuple pour lui signifier que le Pouvoir travaille d’une manière légère sur des aspects cruciaux. Lutter contre l’économie informelle c’est « prendre l’ombre pour la proie ». Dixit El Kadi Ihsane.
Cherif Aissat.
Ps.