Le Maghreb : La politique économique du gouvernement est au centre de nombreuses critiques de la part même de certains membres de ce gouvernement. Serait-ce, selon vous, un constat d’échec total après une décennie de programmes de relance ayant coûté quelque 350 milliards de dollars ?
Dr M’hamed Hamidouche : Chacun peut évaluer à sa façon, mais il y a des normes pour évaluer une politique économique en dehors des institutions qui sont le contrôle parlementaire ou présidentiel. En réalité, les objectifs évalués doivent répondre à certaines questions, à savoir quels sont les moteurs de la croissance ? Est-ce que cela à voir avec un avantage comparatif révélé ? Quels ont été les principaux défis pour la politique budgétaire et monétaire ? Pour l’une, a-t-on maintenu l’équilibre budgétaire en maintenant le niveau supposé ? Vis-à-vis de la politique monétaire, la balance commerciale, son solde est-il positif et à quel coût (inflation) ? A-t-on levé les obstacles à l’investissement pour plus d’emplois ? Comment a-t-on évalué la réglementation en comparaison avec d’autres pays similaires ? Quelles ont été les priorités ? Ce sont-là toutes les questions auxquelles il faut répondre. On a omis certaines actions qui auraient dû être prioritaires. Il s’agit : 1- d’améliorer de façon efficiente la réallocation des ressources et de la production (programme de la privatisation et développement concurrentiel. 2- De la dématérialisation de l’économie. 3- Du développement de la compétitivité à travers l’innovation. 4- De l’engagement de réformes au niveau du secteur bancaire et financier.
Les responsables du ministère des Finances ont annoncé que les disponibilités actuelles du Fonds de régulation des recettes, estimées à plus de 4 800 milliards de dinars à fin 2010, permettront de couvrir le déficit budgétaire de trois exercices successifs et d’assurer une exécution « sereine » du programme quinquennal d’investissements publics. Le secrétaire d’État à la statistique Ali Boukrami a estimé, de son côté, que la dépense publique a été mal orientée jusqu’à présent, vu qu’elle n’a généré aucune croissance réelle. Croyez-vous qu’il est, aujourd’hui, temps de revoir les investissements publics et de les orienter vers des secteurs porteurs de croissance durable ?
Dr M. Hamidouche : Prenons l’exercice 2009 comme référence. Le déficit était alors de 2 780 milliards de dinars. On se retrouve avec un fonds de régulation qui peut financer un déficit budgétaire durant une année, huit mois et onze jours.
Mais la réalité est tout autre. D’abord pour le budget de fonctionnement qui s’est aggravé en atteignant un niveau de dépense avoisinant les 48%, c’est un niveau dangereux car le budget est basé sur des prévisions de recettes qui reposent à leur tour, sur la recette pétrolière, qui en cas où les prix du pétrole s’effondrent, réduira la marge de manœuvre. On peut faire des ponctions sur des rubriques de gestion au détriment du service public mais on ne peut pas toucher au fonctionnel. Pour le budget d’équipements, qui avoisinerait les 52%, selon les lois de finances on s’aperçoit que dans le programme quinquennal et sur les 286 milliards de dollars, 130 milliards de dollars proviennent d’anciens reliquats malgré les surcouts de la réalisation des projets, la marge de manouvre est large car on peut différer la réalisation des projets d’une année à une autre jusqu’à ce que les ressources seront à la hauteur. C’est d’ailleurs l’exemple des projets des années 80
M. Boukrami relève également la médiocrité du climat d’investissements, notamment, l’instabilité sur les plans législatif et juridique ainsi que la raideur de l’administration. Quel est votre avis sur la question ?
Notre problème, ce sont les projets à réaliser, en cours de livraison, ou livrés et qui sont financés à concurrence de 100 % de l’argent du Trésor public. Le problème qui se pose pour l’ensemble de ces programmes est de savoir si le cash flow qui en se dégage permettra de refinancer l’investissement une fois amorti ? Lorsque on a réceptionné les fiches techniques des projets, est ce que l’aspect relatif aux délais de l’investissement a été pris en considération ? S’agissant des services publics, a-t-on tenu compte du coût entre l’écart du prix que doit supporter le Trésor public ou le consommateur ? Je pense qu’il faut passer au concept du Design Wild and Operate, plutôt que de celui du Build Operate and Transfert, à l’exemple de l’Euro tunnel où c’est le privé qui a financé le projet. Il y a lieu de focaliser sur le rapport annuel établi fin 2010 par la Banque mondiale, le Dowing Bussines et qui classe l’Algérie à la 136e position sur 183 pays, malheureusement pour nous, ce n’est pas le classement qui compte, mais a-t-on avancé par rapport à 2009 ? Hélas, nous campons sur la même position ! Ce classement est basé sur neuf critères dont celui de la création d’entreprises, de la protection de l’investissement, du paiement des impôts et de la fermeture des entreprises. Rien que pour la création d’une entreprise, cela nécessite 14 procédures et un délai de 24 jours alors qu’en région MENA, il ne s’agit que de 8 procédures et de 20 jours de délais contre 5,6 procédures et 13 jours de délais pour la région OCDE
Croyez-vous que l’Algérie dispose des capacités à réaliser une croissance à deux chiffres ? Quels sont à votre avis les préalables pour y parvenir ?
En fin de compte, le taux de chômage ne peut être absorbé totalement qu’avec un taux de croissance à deux chiffres. Mais pour cela, il faut conjuguer le capital, la terre et le capital humain. Dans ce contexte, le capital finance l’initiative économique et l’on doit engager des reformes profondes dans le secteur bancaire. Pour la terre, il faut dépasser la problématique du foncier à travers des lois facilitatrices. Le capital humain, il faut surtout promouvoir le secteur privé en réduisant la présence de l’État aux seuls secteurs stratégiques et la ou le privé est absent, à l’exemple du Sud. En attendant la période de transition, les collectivités locales peuvent jouer un rôle dans le domaine du développement de l’intelligence territoriale (attractivité des pôles) et constituer un bassin de deux millions d’emploi.
Quel impact aura la dépénalisation de l’acte de gestion sur la redynamisation des entreprises publiques et sur l’action des banques publiques ?
Le drame de l’Algérie est que notre économie est dominée par le secteur public et reste sclérosée et otage du système bancaire qui détient 96 % des étales. La problématique de la dépénalisation concerne le secteur public et non le secteur privé. La solution pour redynamiser l’économie se trouve dans la privatisation. En attendant, la dépénalisation réside surtout dans la culture du magistrat dont il faut parfaire et mettre à jour la formation.
Quelle sera à votre avis la conséquence des programmes d’assainissement des entreprises publiques sans que ceux-ci ne soient accompagnés de contrats de performance ?
Un programme d’assainissement si on capitalise les expériences déjà faites dans les années 90 et dont les conséquences sont restées stériles. A mon avis, la meilleure option de référence (capitalisation) de ces entreprises ne pourra être que la Bourse d’Alger.
Entretien réalisé par Azzedine Belferag