Le système peut-il tolérer un pareil changement qui va lui ôter sa principale raison d’exister, à savoir distribuer la rente?
Après le remaniement gouvernemental qui a vu la création pour la première fois d’un ministère délégué chargé de l’Economie numérique et de la Modernisation des systèmes financiers, avec la nomination de Mohamed Loukal au poste de gouverneur de la Banque d’Algérie, le puzzle du nouveau modèle économique se met en place. Il apparaît clairement maintenant que son moteur tient à un système financier et bancaire moderne et très performant. Viendront ensuite tous les autres aspects consolidant ce modèle comme le rééquilibrage du PIB et l’amélioration de la fiscalité ordinaire à travers l’encouragement de l’investissement, etc… L’Etat, à travers ce nouveau modèle, doit revoir de fond en comble toutes les politiques sectorielles engagées jusque-là. La création d’une entité faite de compétences nationales à même de mener scrupuleusement ce projet. Cependant, on est loin de la mouture finale d’un modèle chiffré, une responsabilisation des acteurs et un planning d’exécution. Surtout qu’une pareille démarche ne s’accommode pas avec les approximations et les lois du hasard. Il s’agit de rééquilibrer les dépenses du Trésor et des finances publiques, diversifier l’économie et encourager les partenariats public-privé. Une économie basée sur «le tout -importation» et la rente, a toujours fonctionné avec un baril à 100 dollars mais qui doit désormais s’adapter à un baril compris entre 50 et 60 dollars. L’équation n’est pas si simple, elle se résume comme suit: comment fonctionner mieux, avec moins de ressources?
Lors de la dernière tripartite, le Premier ministre s’est contenté de généralités et est resté dans le vague sur nombre de sujets dont celui des subventions. Sur cette question les experts et les acteurs sociaux sont unanimes pour entamer une réforme. M. Sellal a soutenu que «l’impératif de justice sociale constitue une ligne directrice intangible dans l’action de l’Exécutif». L’Etat ne reviendra donc pas sur les subventions dans ce nouveau modèle économique. Pas si sûr puisque le Premier ministre se ravise en affirmant que «cette vision préservera les acquis sociaux mais pour ceux qui en ont besoin». Deux suppositions se dégageant de cette valse -hésitation: ou bien le gouvernement n’a pas encore peaufiné sa copie aussi bien avec les experts qu’avec les partenaires sociaux, ou alors il ne veut pas se retrouver prisonnier d’un programme avec des échéances précises.
Mais un nouveau modèle économique est-il une affaire d’experts, qu’ils vont rédiger et soumettront au gouvernement qui va l’endosser? Un nouveau modèle économique vise à donner de la visibilité à l’action du gouvernement et «éclairer l’avenir» de l’économie algérienne. Il suppose également une rupture totale avec l’ancien ce qui implique nécessairement des choix politiques. Notre système économique est basé sur la rente. Et nous voilà au coeur de la vraie problématique. Pouvons-nous accepter un changement dans le sens de l’instauration d’une rationalité économique? Toute dynamique de changement social profond engage des facteurs idéologiques, culturels et dans le cas de l’Algérie, même religieux. La remise en cause du système rentier touche directement à la configuration des compromis sociaux qui tiennent justement au régime rentier. Le système peut-il tolérer un pareil changement qui va lui ôter sa principale raison d’exister, à savoir distribuer la rente pour asseoir la paix sociale? C’est une question de bon sens: on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis. On se retrouve au final avec une annonce d’un grand virage économique, mais dont le préalable politique est totalement évacué. Pourtant, il est le paramètre déterminant du projet.