Toutes les organisations régionales que les Etats arabo-musulmans ont mises en place butent sur des échecs pour plusieurs raisons qui restent encore à expliciter.
Les pays de l’aire arabo-musulmane semblent condamnés sinon à se faire la guerre, du moins à ne jamais se mettre d’accord sur ce qu’il y a d’essentiel, à savoir leur stabilité et la sérénité de leurs peuples respectifs. En effet, dans un monde qui se «blocalise» et dont les blocs géopolitiques, agressifs les uns envers les autres, se serrent de plus en plus les coudes pour peser dans le partage des richesses et du pouvoir, le monde arabo-musulman peine à se constituer en bloc tantôt, et trouve tantôt le moyen de mettre à rude épreuve, déchiqueter ou carrément vider les quelques structures transnationales ou régionales qu’il a, à un moment donné, réussi à mettre en place. C’est dire que les pays de cette région «se sont entendus pour ne jamais s’entendre», comme l’aurait dit Ibn Khaldoun.
En 1945, dans le sillage de la naissance du panarabisme, l’Egypte a suscité la mise en place de la première organisation arabe dont l’objectif était d’affirmer «l’unité de la nation arabe» et l’indépendance de chacun de ses membres. La Ligue arabe, avec sept membres fondateurs dont l’Egypte, l’Arabie saoudite l’Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord. Au départ, notamment après qu’elle ait atteint le nombre de vingt-deux Etats membrent, elle a suscité une grande adhésion au sein des populations arabes, notamment sous l’impulsion de l’Egypte nassérienne et l’Algérie de Boumediene.
Toutefois, cette organisation a connu bien des chocs qui l’ont sensiblement fragilisée, notamment après la signature des accords de Camp David entre Le Caire et Tel-Aviv, avant d’être ébranlée au début des années 1990 par la guerre du Golfe, en 2003 par l’invasion américaine de l’Irak et, plus récemment le printemps arabe, la guerre en Irak, Syrie et au Yémen..Au Maghreb, alors même que les pays de la région étaient sous le joug de la colonisation, l’idée de la mise en place d’une organisation régionales a été posée et discutée par les partis nationalistes en oeuvre alors. Et une réunion a été organisée à cet effet en 1958 à Tanger. Trente ans plus tard, en 1989, l’Union du Maghreb arabe a été créée par cinq Etats, l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie. Dans la déclaration adoptée à cette occasion, il était dit que «l’Union du Maghreb arabe est aujourd’hui, à l’évidence, une réalisation géostratégique importante».
Or, depuis, cette structure n’a fait nul exploit et s’est, d’année en année, avérée être une coquille vide qui sert, au mieux, à cristalliser les fantasmes «unionistes» de certains mouvements politiques d’obédience maghrébine. L’autre organisation régionale ayant fait fantasmer des années durant les populations des pays qui l’ont initiée, c’est le Conseil de coopération du Golfe. En effet, en 1981, six monarchies arabo-musulmanes, à savoir l’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar, ont créé le CCG avec comme objectif la stabilité de la région et la protéger de l’influence iranienne ainsi que d’assurer l’unification du système économique et financier des États membres. Cette organisation, dont le PIB dépasse largement les 1300 milliards de dollars/an, s’est positionné comme étant le principal interlocuteur des puissances mondiales au Moyen-Orient, même face à la Ligue arabe. Ses membres tiennent leur force aussi des investissements colossaux qu’ils ont effectués dans nombre de pays européens, asiatique et en Amérique.
Mais, même cette organisation semble vouée à une explosion certaine. Après avoir tenté d’intégrer en son sein les royaumes du Maroc et de Jordanie en 2012 avant de différer l’échéance, elle se trouve à présent dans l’oeil du cyclone. La dernière évolution au Moyen-Orient a en effet complètement déstabilisé la région et, par ricochet, le Conseil de coopération du Golfe. La mise à l’écart d’un de ses membres les plus puissants et les plus influents, le Qatar, et la rupture des relations diplomatiques des autres pays membres avec lui privent l’organisation d’un pays important dans la région d’un côté et exposent, d’un autre côté, le Golfe aux représailles de celui-ci dont la capacité de nuisance n’est pas à démontrer, représailles qui vont avoir un impact certain sur cette organisation, d’autant plus que plusieurs pays ont des intérêts majeurs à sauvegarder avec le Qatar.
De plus, faut-il ajouter, le fait que le CCG n’ait pas pu empêcher cette crise est une parfaite illustration de sa facticité et de son incapacité à arbitrer les conflits sévissant dans la région et la stabiliser. Pourquoi donc toutes les organisations régionales et transnationales mises en places par les pays de l’aire arabo-muslmane peinent à maintenir leur cohésion et à être efficaces dans leur fonctionnement et leurs démarches? Vraisemblablement, le rapport des Etats du Machreq et du Maghreb aux pays ex-colonisateurs sont si sensibles et ambigus qu’ils déteignent toujours sur les relations qu’ils entretiennent entre eux-mêmes, ce qui les empêche chroniquement de prendre leur destin en main sereinement.
Preuve en est l’intrusion des ex-puissances coloniales et leur poids déterminant dans tous les dossiers chauds qui concernent la région Mena, surtout la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et les Etats-Unis qui y comptent des pays «ennemis», mais aussi des «pays amis», voire des «alliés inconditionnels». De plus, le fait que les diversités culturelles, cultuelles et linguistiques qui pullulent dans la région ne se traduisent pas dans les politiques des Etats concernés détachent ceux-ci de leurs réalités et les placent dans une optique géostratégique factice qui ne répond nullement aux enjeux réels qui traversent les sociétés du Maghreb et du Machrek. Mais la question étant complexe, ce sont de véritables enquêtes sociologiques et politiques qu’il y a lieu d’entrependre pour la comprendre.