La réduction de la production n’a jamais été à proprement parler une stratégie des entreprises
On n’évalue pas une activité chez nous, un secteur, un plan, sans arriver à la conclusion que nous y avons échoué.
A force d’entendre le même refrain, on commence d’abord par le reconnaître dès qu’il est fredonné, ensuite on l’apprend par coeur et, enfin, on finit par le sentir venir avant même qu’il ne soit chantonné! De même, à force de raconter des histoires aux autres, on finit un jour par y croire. On arrive ensuite à en faire une conviction religieuse et, enfin, on voudra tenter d’y convertir les autres. C’est ainsi résumée la relation qui lie les Algériens à leurs gouvernants. On n’évalue pas une activité chez nous, un secteur, un plan, sans arriver à la conclusion que nous y avons échoué. On n’évalue jamais une décision importante sans conclure qu’il fallait en prendre une autre. On ne fait pas, non plus,le bilan d’un événement, d’une période, d’une politique, sans hurler à la constatation de l’énorme perte de temps et d’argent que l’on y décèle.
Le ministre de la Santé a fait ces derniers temps un rapide bilan de son secteur et il a été secoué par la réalité qu’il a découverte. Un autre ministre vient de procéder au même exercice dans son secteur, c’est Benyounès cette fois qui fait le bilan des privatisations et, pour lui aussi, la conclusion n’est pas la bonne. Celle-ci est même paralysante: les privatisations ont échoué.
Un fiasco et des excuses inutiles
Et dire que l’on nous a toujours raconté que tout dans le processus de privatisation des entreprises, s’est passé pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Combien de commissions et combien d’organismes ont-ils été dépêchés pour l’enterrement de notre tissu industriel? Il fallait faire cette privatisation malgré tout et malgré tous et ils l’ont faite malgré tout et malgré tous. Des milliers de travailleurs s’étaient alors retrouvés dans la rue par cette décision de privatisation, des familles s’étaient trouvées sur la touche d’une vie qui les ignorait suffisamment déjà. C’était un peu la mode que nous devions essayer, comme nous avions essayé, dans une autre vie déjà, le socialisme. Il y a donc, et de l’aveu de l’Etat lui-même, fiasco dans la privatisation des entreprises publiques, ce qui, indiscutablement, s’est répercuté sur le secteur industriel dans son ensemble. Mais si l’on croit volontiers, et sans l’ombre d’une hésitation, qu’il y a eu naufrage dans cette histoire de privatisation, il est, par contre, difficile d’avaler les explications qui visent, comme celles qui les ont précédées, à disculper les auteurs de cette catastrophe.
S’il est vrai que «l’absence d’un plan de redressement du tissu industriel» peut être concédée comme facteur ayant sérieusement contribué à l’échec de la relance du secteur industriel, ce qui a entraîné une destruction des entreprises privatisées, il n’en demeure pas moins que «la concurrence féroce des sociétés étrangères» ne peut être regardée ni comme argument valable ni comme justification fiable de la déroute de ces entreprises. Dire que cette concurrence a entraîné «dans plusieurs cas, les entreprises algériennes à réduire leur production» est encore moins recevable comme prétexte et moins crédible comme argumentaire. Avant d’être privatisées, ces entreprises exerçaient déjà dans un secteur qu’elles connaissaient bien. Elles existaient sur un marché dont elles connaissaient les acteurs importants y compris les concurrents. Elles faisaient face à la même concurrence qu’après leur privatisation. Si cette concurrence était féroce c’est que, forcément, elle l’était aussi avant. Donc, il n’y a pas lieu de croire, ou de faire croire aux Algériens, qu’elles ne s’y attendaient pas comme si cette concurrence était tombée du ciel et encore moins qu’elles avaient dû réduire leur production à cause de cette concurrence «féroce». Les pauvres entreprises! La réduction de la production n’a jamais été à proprement parler une stratégie des entreprises. Mais c’est vrai que l’Etat avait privatisé les entreprises publiques sans même s’assurer qu’il allait les mettre entre des mains sûres qui devaient entre autres, veiller à améliorer la performance de ces entreprises et celle de l’économie nationale en dernier ressort. Et c’est vrai que l’Etat n’avait pas pris la précaution de s’assurer que ceux qui achetaient ces entreprises allaient y introduire le management moderne seul à même de leur permettre de jouer leur nouveau rôle et de justifier la privatisation elle-même car, finalement, échouer pour échouer, pourquoi ne les avait-on pas laissées au secteur public?
Comme d’habitude, les raisons sensées, on ne les cherche jamais. Au lieu de dresser de véritables diagnostics avec les raisons réelles et les facteurs effectifs qui sont derrière cette déroute, on préfère faire dans la philosophie des évidences et danser autour du pot avant de s’avouer impuissants et déclarer solennellement, l’amertume à la bouche, que «Allah ghaleb», que c’est le «mektoub»… Après tout, n’est-ce pas qu’on est musulman? Alors acceptons! On compte bien sur le temps pour accepter la destinée et recommencer à zéro!
L’éternel recommencement
Oui, on recommence et, une fois les entreprises sur pied, des voix s’élèveront pour imposer leur privatisation afin de venir ensuite se lamenter, en souriant en leur fort intérieur, que la nouvelle privatisation a été un autre échec! Nous sommes ainsi faits. Nous continuons toujours de foncer avec entêtement vers ce qui ne va ni pour le pays ni pour le peuple. Comme si la destruction de notre pays était notre challenge, ou comme si notre propre malheur nous attire irrésistiblement. Nous continuons bien sûr car, comme l’a dit Fellag, partout lorsqu’on atteint le fond, on remonte. Chez nous, lorsqu’on l’atteint, on creuse encore! Alors, creusons encore! On va encore creuser pendant cinquante autres années avant de se rendre compte que nous étions sur un faux sentier. Que nous avions creusé là où il ne fallait pas et qu’il faudrait encore s’y remettre dès le début… Le problème, le seul problème, c’est qu’aucune nation au monde ne dispose d’autant de fois cinquante ans à détruire et à jeter par-dessus les fenêtres des incompétences et les balcons des inaptitudes! Assis sur le trottoir de l’impuissance, le goût de l’amertume dans l’âme, le peuple regarde passer les siècles et les millénaires!