L’eau, enjeu géostratégique, facteur de tensions planétaires en 2040/2050 ?

L’eau, enjeu géostratégique, facteur de tensions planétaires en 2040/2050 ?

L’eau c’est la vie dit l’adage. Cette modeste contribution est une synthèse de nombreux rapports internationaux qui pose la problématique de la gestion de l’eau qui peut être un facteur de tensions planétaires au milieu du XXIe siècle.

Cartographie des ressources hydriques par région.

Niveau des réserves et de consommation dans le monde

L’eau est indiscutablement une ressource naturelle vitale. Selon les études du Groupe intergouvernemental d’experts des Nations unies sur l’évolution du climat, de l’Institut international pour la gestion de l’eau, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et de l’Unesco, soixante-dix pour cent de la surface de la Terre est recouverte d’eau mais 97,5% de cette eau est de l’eau salée. Des 2,5% restants d’eau douce, 68,7% est gelé dans les calottes glaciaires et les glaciers. Moins d’un pour cent de cette eau douce est disponible pour être utilisée par les humains. Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, les hommes prélèvent environ 4000 kilomètres cubes d’eau douce chaque année pour leurs différents usages. A l’échelle de la planète, on estime qu’environ 40000 km3 d’eau douce s’écoulent chaque année sur les terres émergées, lesquels, partagés entre les 7 milliards d’individus, devraient fournir 5700 m3 d’eau douce à chacun soit près de 16000 litres d’eau par jour. Nous sommes largement en-dessous de ce quota et les réserves d’eau douce sont théoriquement globalement suffisantes pour répondre à l’ensemble des besoins s’il y avait une répartition égalitaire et une utilisation rationnelle de cette ressource renvoyant à l’économique et à la pression démographique. En effet, la surface totale des terres irriguées a été multipliée par cinq depuis le début du XXeme siècle. Elle a quasiment doublé depuis 1960, principalement en Asie (Chine, Inde, Pakistan) et aux États-Unis. Comment ne pas rappeler qu’environ 1.500 litres d’eau douce sont aujourd’hui nécessaires pour la récolte d’un seul kilogramme de blé alors que 80% des nouveaux besoins alimentaires planétaires, induits par la croissance démographique d’ici à l’an 2030, devront être satisfaits par l’agriculture irriguée qui monopolise déjà 70% des potentialités hydriques mondiales du tourisme, de l’industrie et de l’irrigation.

Avec le réchauffement climatique, l’atmosphère présente une modification importante dans la distribution géographique de sa température globale, pouvant entraîner une nouvelle répartition des climats de la planète. La température risque de diminuer dans une région et augmenter dans une autre avec résultat une hausse ou une baisse des chutes de pluies. Ainsi les zones humides peuvent connaître des inondations catastrophiques par suite de l’intensification des pluies et les zones arides et semi-arides risquent de subir le phénomène de désertification à cause de la raréfaction des pluies. L’Algérie, pays méditerranéen, glisse vers la semi-aridité et les risques de désertification restent très élevés. Cela présage des conditions naturelles singulièrement plus difficiles qu’aujourd’hui, dont les conséquences commencent à se faire sentir dans beaucoup de régions d’Algérie. D’où l’importance de la gouvernance et la politique dans le domaine de l’eau intiment liée à la politique socio-économique globale. Le défi majeur du XXIe siècle en matière d’eau sera donc vraiment d’assurer la rentabilité de la gestion de l’eau, tout en garantissant aux plus pauvres le droit d’accéder à cette ressource vitale. D’énormes investissements seront donc nécessaires pour moderniser l’existant et créer de nouveaux équipements (usines de production, réseaux de distribution, stations d’assainissement), mais aussi pour développer de nouveaux systèmes d’irrigation. Ces investissements ont été évalués par le Conseil mondial de l’eau à 180 milliards de dollars par an pour les 25 prochaines années, contre 75 milliards de dollars actuellement investis chaque année. D’où l’importance d’institutions internationales de régulation et d’un marché mondial de l’eau régulé, évitant un calcul monétaire de rentabilité immédiate. Ce seront donc les décisions politiques, au niveau national et international et des agences de financement, qui joueront un rôle déterminant dans la gestion future du risque de pénurie d’eau douce. Pour l’Afrique du Nord dont le Maghreb des actions coordonnées doivent être mises en œuvre pour également éviter des tensions futures.

Quelles sont les mesures à prendre ?

J’en vois quatre. Premièrement la réduction de l’envasement des barrages qui pour de ombreux pays comme l’Algérie devient préoccupant. Deuxièmement, le traitement approprié des eaux usées qui nécessitent la maitrise technologique. Troisièmement, une lutte contre le gaspillage. Globalement, seuls 55 % des prélèvements en eau sont réellement consommés. Les 45 % restants sont soit perdus, par drainage, fuite et évaporation lors de l’irrigation et par fuite dans les réseaux de distribution d’eau potable, soit restitués au milieu après usage ce qui est le cas par exemple de l’eau utilisée pour le refroidissement des centrales électriques. Dans certaines grandes villes d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine comme Le Caire ou Mexico, jusqu’à 70 % de l’eau distribuée est perdue par fuite dans les réseaux. Autre exemple : plus de la moitié de l’eau requise par les modes traditionnels d’irrigation encore les plus couramment utilisés est perdue par évaporation Par ailleurs, à la différence des cours d’eau, les nappes souterraines sont des réservoirs qui se renouvellent très lentement et ne peuvent donc rapidement combler les emprunts. Or, certaines nappes, qui pourtant ne se renouvellent plus ou quasiment plus à l’échelle humaine, sont fortement exploitées, notamment à des fins d’irrigation.

Les experts estiment que les seuils correspondant à ce qu’il est possible de prélever au milieu naturel sont déjà dépassés en de nombreux lieux. Ils prévoient même l’épuisement, dans les 30 ans à venir, de plusieurs nappes importantes, dont l’exploitation s’est intensifiée. En Algérie et selon les calculs de la Banque mondiale, le taux de pertes moyen est de 32% réparties sur un réseau de distribution de 40,000 km. En d’autres termes il faut produire 625,000 m³ pour vendre un volume de 425,000 m³. De toutes les capitales méditerranéennes, Alger passe pour posséder les réseaux de distribution les vétustes, enfin des projets de dessalement d’eau. Quatrième mesure, le dessalement de l’eau de mer pour la production d’eau mais en combinat le gaz et le solaire Cette opération possible, est financièrement coûteuse en 2012 mais tout dépendra d’une part de l’évolution des prix des différentes sources d’énergie, d’autre part, d’une production à grande échelle afin de diminuer à moyen terme les couts. Les problèmes d’énergie sont prépondérants, ce qui place le prix du mètre cube d’eau à un prix actuellement excessivement cher. D’une manière générale, les mesures évoquées précédemment demanderont d’énormes investissements. Pour le gouvernement algérien l’Algérie a augmenté en dix ans les dotations en eau des grands périmètres irrigués tout en multipliant par deux leur superficie globale. La superficie irriguée en petite et moyenne hydraulique a également progressé de 180%, passant de 350.000 hectares en 2000 à 980.000 ha en 2011, grâce notamment au parc des retenues collinaires qui compte aujourd’hui 444 ouvrages à travers le territoire national. Enfin, le plan quinquennal 2010-2014 qui réserve au secteur des ressources en eau une enveloppe budgétaire de 870 milliards de dinars, prévoit la réalisation et l’équipement de plusieurs grands périmètres irrigués ainsi que la réalisation de 137 nouvelles retenues collinaires. L’Algérie a accompli, il faut le reconnaître, d’importants progrès dans ce domaine, le ratio national par habitant étant de 600 mètres cubes, pour une dotation quotidienne par habitant de 170 litres et ayant prévu la construction de 15 nouveaux barrages. Ainsi la capacité de mobilisation en 2012 et de 7,4 milliards de mètres cubes, devant passer à 9,1 en 2014, les potentialités hydriques avoisinant 17 milliards. Pourtant, les ratios évoqués sont globaux, se pont la question de la répartition. Par ailleurs, au moment où l’on parle de développement de gaz schistes, sous réserve de la maitrise technologique du forage horizontal, la consommation eau est de un million de mètres cubes pour un milliard de mètres cubes gazeux sans compter les effets négatifs sur l’environnement. Si la stratégie future devrait être axée sur le dessalement, l’Algérie étant un pays semi aride d’où l’important de dénoncer le mythe de l’autosuffisance alimentaire, il y aurait lieu de revoir la politique de l’eau notamment par une politique des prix appropriée afin d‘éviter le gaspillage et de penser à une réorganisation gouvernementale couplant l’énergie et l’eau.

Risque de pénurie d’eau dans le monde

Au plan mondial, la question de l’approvisionnement en eau devient chaque jour plus préoccupante. Le constat unanimement partagé est simple : déjà précaire dans certaines régions du globe, la situation ne pourra qu’empirer dans les années à venir. Le formidable essor démographique que va en effet connaître notre planète dans les vingt-cinq prochaines années va nécessairement s’accompagner d’une explosion de la consommation en eau et d’une dégradation de sa qualité. Cela risque de mettre gravement en péril le ravitaillement en eau douce d’une grande partie de l’humanité. Au cours du XXe siècle par exemple la population mondiale est passée de 1,7 milliard d’individus en 1900 à plus de 6 milliards en l’an 2000, atteignant en 2012 plus de 7 milliards, et 8 milliards horizon 2025, alors que la population a été multipliée par 4,11 la consommation en eau de l’humanité était multipliée entre 6/7. Mais fait important, il existe une répartition inégalitaire de la population humaine sur Terre et celles des ressources en eau. L’eau est ainsi mal répartie et est inégalement exploitée. Ainsi, selon les études de l’ONU, l’Asie concentre 60% de la population humaine, mais ne dispose que de 30% des réserves en eau disponibles. Les régions arides qui reçoivent moins de 250 mm d’eau par an couvrent près de 20% des terres émergées et 1/5e des continents ne dispose d’aucune ressource propre en eaux fluviales. La consommation d’eau croit avec le niveau de vie des populations, les nombreux équipements qui apparaissent dans les foyers facilitant l’usage de l’eau.

Ainsi, les Européens consomment aujourd’hui 8 fois plus d’eau douce que leurs grands-parents pour leur usage quotidien. un habitant de Sydney par exemple consomme en moyenne plus de 1 000 litres d’eau potable par jour, un Américain de 300 à 400 litres, et un Européen de 100 à 200 litres alors que dans certains pays en développement, la consommation moyenne par habitant ne dépasse pas quelques litres. En moyenne, si un Tunisien se contente de 100 m3 d’eau par an, un Français en consomme cinq fois plus, soit 1.400 litres par jour. Comme existe des modalités opératoires différentes ans l’usage de l’eau. Ainsi toujours selon l’ONU, la Grande-Bretagne consacre 27% de son eau aux besoins domestiques, 71% à ses industries et seulement 2% à son agriculture, et l’Inde 2% pour ses besoins domestiques, 2% pour son industrie et 96% pour son agriculture. Si parallèlement la tendance actuelle à l’augmentation des prélèvements en eau se poursuit, entre la moitié et les deux tiers de l’humanité devraient être en situation dite de stress hydrique en 2025, seuil d’alerte retenu par l’Organisation des nations unies (ONU) et correspondant à moins de 1700 mètres cubes d’eau douce disponible par habitant et par an. Aujourd’hui, déjà un habitant sur cinq n’y a pas accès. Or, selon l’ONU, sur les 33 mégapoles de plus de 8 millions d’habitants qui existeront dans 15 ans, 27 seront situées dans les pays les moins développés et donc les moins à même de pouvoir répondre aux besoins. Le risque d’une pénurie d’eau douce existe donc bel et bien. L’un des problèmes majeurs en matière d’eau douce et d’alimentation humaine est posé par l’irrigation, car pour nourrir toute la population de notre planète, la productivité agricole devra fortement augmenter. Alors que l’irrigation absorbe déjà aujourd’hui 70 % des prélèvements mondiaux, une consommation jugée très excessive, celle-ci devrait encore augmenter de 17 % au cours des 20 prochaines années. D’où l’importance d’utiliser d’autres techniques d’irrigation plus appropriée comme le goutte à goutte car le facteur déterminant de l’approvisionnement futur en eau douce sera le taux d’expansion de l’irrigation. Autrement dit, seule une nette amélioration de la gestion globale de l’irrigation permettra de réellement maîtriser la croissance de la consommation.

Risque de conflits mondiaux pour le contrôle de l’or bleu

Selon une étude des Nations unies, l’eau pourrait même devenir, d’ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole. C’est dire toute l’importance de cette ressource que d’aucuns appellent « l’or bleu ». Avec l’essor démographique et l’accroissement des besoins en eau, ces tensions pourraient se multiplier à l’avenir. D’où l’importance d’une gestion commune comme facteur de pacification. Avoir accès à l’eau est donc devenu un enjeu économique puissant à l’échelle planétaire qui pourrait devenir, dans le siècle à venir, l’une des premières causes des tensions internationales. Plus de 40 % de la population mondiale est établie dans les 250 bassins fluviaux transfrontaliers du globe où ces populations doivent partager leurs ressources en eau avec les habitants d’un pays voisin. Or, une telle situation peut être à l’origine de conflits récurrents, notamment lorsqu’un cours d’eau traverse une frontière, car l’eau devient alors un véritable instrument de pouvoir aux mains du pays situé en amont. Aujourd’hui, les contentieux à propos de l’eau sont nombreux à travers le monde, notamment au Nord et au Sud de l’Afrique, au Proche-Orient, en Amérique centrale, au Canada et dans l’Ouest des États-Unis. Au Moyen-Orient des tensions peuvent s’accélérer. Au Proche-Orient, selon l’ONU, une dizaine de foyers de tensions existent. Ainsi l’Égypte, entièrement tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit néanmoins partager celles-ci avec dix autres États du bassin du Nil : notamment avec l’Éthiopie où le Nil bleu prend sa source, et avec le Soudan où le fleuve serpente avant de déboucher sur le territoire égyptien. Quant à l’Irak et à la Syrie, ils sont tous deux à la merci de la Turquie, où les deux fleuves qui les alimentent, le Tigre et l’Euphrate, prennent leur source. Grâce aux nombreux barrages qu’elle a érigés sur le cours supérieur du fleuve, la Turquie régule le débit en aval.

Conclusion

La pénurie d’eau guette l’humanité pouvant entrainer des guerres pour la survie. De nos jours, plus d’un tiers de l’humanité soit plus de 2 milliards d’habitants survivent avec moins de 5 litres d’eau par jour, moins de 1700 litres par an (1.7 m3), c’est ce qu’on appelle le « stress hydrique » concentré en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Selon l’ONU, au taux actuel de croissance de la population et de ses besoins en eau douce, en 2025 la quantité moyenne d’eau douce disponible devrait chuter de 6600 à 4800 m3 par habitant et par an, soit une réduction de près d’un tiers. A cette date, les experts estiment que 5 fois plus d’habitants qu’aujourd’hui seront touchés par la pénurie d’eau, ce qui représentera 2.8 milliards d’habitants soit 35% de la population estimée de la Terre à cette époque.

Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités