Comme prévu, Abdelmadjid Sidi-Saïd a été réélu à la tête de la Centrale syndicale.
Le processus de réélection a été bien ficelé depuis les congrès régionaux.
Le XIIe congrès national de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), dont les travaux se sont ouverts hier matin dans l’imposant hôtel El-Aurassi à Alger, donne, rien qu’à travers sa séance inaugurale, toute la dimension du déclin du syndicalisme de masse. Le rendez-vous, censé constituer un moment de “recarburation” pour davantage de conquêtes syndicales, s’est mû, par la volonté du secrétariat national sortant de l’organisation qui l’y a préparé, en une simple escale formelle pour le plébiscite du secrétaire général sortant, Abdelmadjid Sidi-Saïd.
Faut-il s’étonner pour autant que la partition soit exécutée sans fausses notes ? Absolument pas. Tout a été fait et ficelé en amont, lors des congrès régionaux et des congrès des fédérations. Non seulement les consensus autour des moutures de textes à soumettre à l’examen et approbation du congrès, mais aussi et surtout le pourvoi en composante humaine de la Commission exécutive nationale (CEN).
Ce tissage, si le terme est adéquat, est une œuvre inédite à laquelle aucune direction de l’UGTA avant celle d’Abdelmadjid Sidi-Saïd ne s’est rendue. Pour la première fois dans les annales du syndicalisme algérien, les structures d’une organisation manquent d’être l’émanation du congrès.
En effet, outre qu’ils soient organisés en catimini, du moins soigneusement éloigné des feux de la rampe, les précongrès de l’UGTA, programmés précipitamment, se sont vu endosser le lourd antécédent d’élire les membres de la Commission exécutive nationale (CEN) mais aussi de plébisciter le secrétaire général sortant qui, du coup, s’adjuge un nouveau mandat, lui, qui est à la tête de l’organisation depuis l’assassinant d’Abdelhak Benhamouda en 1997, soit depuis 18 ans déjà.
La justice muette face à la plainte des contestataires
La logique inversée de Sidi-Saïd, qui consiste, et c’est le cas de le dire, à mettre la charrue avant les bœufs, fera fort assurément date. Les moniteurs syndicaux devraient peut-être l’y intégrer comme module à enseigner aux apprenants. Elle fera recette, sans nul doute, vu qu’elle permet de prémunir les congressistes de tout effort de lucidité et des manœuvres harassantes pour faire élire les dirigeants syndicaux, cela étant réglé dès les congrès préliminaires. Et que lorsqu’aussi, la justice saisit, tarde ou manque de rendre le droit dans la célérité voulue, notamment dans le cas d’un référé d’heure en heure. Et c’est exactement le cas pour ce XIIe congrès de la Centrale syndicale.
La justice, saisie par des membres de la CEN sortante qui y ont introduit un référé d’heure en heure pour invalider le congrès, ne s’était pas toujours prononcée hier matin. Les contestataires du congrès qui ont promis d’investir El-Aurassi sont restés sur l’expression de leur menace. Il faut dire qu’ils ne pouvaient accéder à l’hôtel, vu l’impressionnant dispositif policier déployé au niveau des accès. Une petite poignée a tenu tout de même à faire une tentative symbolique d’y accéder.
Aussi, la cérémonie inaugurale du congrès a été sereine à tel point que le président des travaux du congrès, Tayeb Hamarnia, s’est permis de souligner dans son allocution de bienvenue que “c’est pour la première fois que les congressistes connaissent leurs représentants au niveau de la commission exécutive nationale, qui sont élus lors des congrès régionaux”.
Pas une voix ne s’est élevée pour dire son opposition. Au grand bonheur du secrétaire général sortant, Abdelmadjid Sidi-Saïd, qui se verra reconduit à la tête de l’organisation de manière précipitée, avant même que les travaux du congrès n’entrent dans le vif du sujet. C’est, en effet, à travers une motion au nom des congressistes et des membres de la CEN préalablement élus, fortement acclamée, que le plébiscite a été exprimé. Le gouvernement, à sa tête, le Premier ministre Abdelmalek Sellal, qui a marqué par sa présence la cérémonie d’ouverture du congrès, a été témoin de cette “moubayaa”. Il a été aussi témoin de cette autre motion du congrès de soutien au président de la République.
L’ombre de Bouteflika
Cette motion de soutien au chef de l’État, par laquelle le congrès a clos sa cérémonie d’ouverture, a conclu en fait un long et vibrant hommage rendu par Sidi-Saïd à Bouteflika tout au long de son discours devant le congrès à telle enseigne d’ailleurs que, n’étaient les pancartes qui attestaient de la nature du conclave, d’aucuns auraient facilement pris ce XIIe congrès de l’UGTA pour un regroupement d’un comité de soutien au président de la République.
Durant une bonne partie de la matinée, dans la grande salle clairsemée, deux écrans plasma, placés de part et d’autre de l’estrade qui a servi de tribune au bureau du congrès, rediffusait de vieux discours du président Bouteflika, celui de février 2005 à la Maison du peuple, à Alger, puis celui du 24 février 2009 à Arzew. Les deux téléviseurs ne se sont tus qu’une fois le gouvernement et le reste des invités bien installés aux premières loges.
Mais on a laissé, en fond d’écran, le portrait du Président. Et c’est dans ce décor d’absence-présence de Bouteflika que le Secrétaire général sortant de l’UGTA, Abdelmadjid Sidi-Saïd, s’est hissé derrière son pupitre pour prononcer son discours. Un discours qui ne sera pas le bilan d’un mandat, mais un long panégyrique du président Bouteflika, un encensement de ses réalisations. “C’est le congrès de l’organisation de la République algérienne”, a souligné tout de go Sidi-Saïd, pointant du coup les contours d’évolution de son discours. “Notre conviction profonde est de veiller sur le pays et sur la République. Je suis fier d’appartenir, en tant qu’organisation, à la République algérienne”, a-t-il tonné, alternant entre langue de Voltaire et la “dardja” de chez nous.
Ayant dédié le congrès au président Bouteflika, Sidi-Saïd s’en est adonné à cœur joie en multipliant les morceaux du genre : “Vous ne savez pas combien nous sommes reconnaissants au Président, pour tout ce qu’il a fait et entrepris en faveur des travailleurs, à commencer par l’abrogation du 87 bis” ou encore : “C’est l’homme qui a restauré la paix à travers la réconciliation nationale et qui a anticipé le remboursement intégral de la dette extérieure.” Disant cela, Sidi-Saïd a dû s’interrompre pour permettre la diffusion des extraits de discours de Bouteflika.
Congrès surréaliste. Le patron de l’UGTA, mis à l’abri de toute mauvaise surprise, pouvait dès lors décliner sans crainte ce que sera son organisation durant les années à venir. “Pour nous le dialogue social structure l’action syndicale. Nous saluons les décisions prises par le Président lors du dernier Conseil des ministres.” Il va sans dire qu’il s’agit là d’une déclaration d’adhésion au plan d’austérité du gouvernement.
Au demeurant, il s’est permis de réitérer une proximité assumée avec l’Exécutif. “Plus je suis proche du gouvernement, plus je suis proche du patronnat, plus je règle les problèmes.” Abdelmadjid Sidi-Saïd, qui a affirmé devant le congrès ne pas être le fervent partisan des grèves, a dit agir selon le concept de revendication-proposition. Abdelmalek Sellal et les membres du gouvernement s’en sont retournés dans leurs bureaux plus rassérénés : l’UGTA les a assurés de son soutien.
S.A.I.