Le volcan révèle la fragilité de la mondialisation

Le volcan révèle la fragilité de la mondialisation

Le nuage de cendres islandais n’a qu’un seul précédent macroéconomique : l’attentat terroriste du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

« Comme le volcan islandais aujourd’hui, les attentats contre les deux tours new-yorkaises ont introduit un élément d’incertitude qui a brisé net les échanges aériens, les déplacements de personnes et de marchandises, analyse Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS. Pendant une période courte, la mondialisation a été annulée. »



La comparaison entre Al-Qaida et le volcan joue à deux niveaux. D’abord, l’événement perturbateur ne coûte rien. Le nuage de cendres est issu d’une débauche énergétique que le volcan produit gratuitement. Quant au 11-Septembre, la préparation et l’entretien des terroristes n’ont nécessité que quelques dizaines de milliers de dollars.

Sur le plan des conséquences, en revanche, les dommages ont le milliard d’euros pour unité de mesure. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a estimé les dégâts directs et indirects du 11-Septembre à près de 30 milliards de dollars (22,347 milliards d’euros).

Les bilans du nuage de cendres sont partiels pour l’instant. Une étude de Natixis précise que « 313 aéroports ont été fermés et 7 millions de personnes bloquées ». L’étude ajoute que le « nombre de vols annulés a été plus important que dans les trois jours qui ont suivi le 11 septembre 2001, où l’espace aérien américain a été fermé ».

L’Association des compagnies aériennes IATA avait indiqué dans un premier temps une perte globale de 147 millions d’euros pour l’ensemble des compagnies. Une étude plus récente de la banque HSBC évalue à 150 millions d’euros les dommages causés aux seules cinq premières compagnies aériennes.

« LA CORRÈZE AU LIEU DU ZAMBÈZE »

L’Association américaine de l’industrie du voyage estime les pertes pour l’économie américaine à 650 millions de dollars (484 millions d’euros). En France, le secrétaire d’Etat au tourisme, Hervé Novelli, a indiqué, mardi 20 avril, que les compagnies aériennes, les voyagistes et les tour-opérateurs avaient perdu environ 200 millions d’euros.

Si on inclut les pertes des aéroports, des hôtels, les jours de travail perdus des voyageurs bloqués, les marchandises périssables, les pièces de rechange non acheminées qui ont engendré des pertes de production, etc., le coût global pour l’Europe atteindra plusieurs milliards d’euros.

Daniel Mirza, professeur d’économie et chercheur au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), estime que ces pertes macroéconomiques seront partiellement compensées au plan microéconomique. « Les marchandises non périssables seront acheminées par route ou rail, les touristes visiteront la Corrèze au lieu du Zambèze. »

Le creux de croissance subi par les transporteurs aériens est d’ores et déjà récupéré par d’autres acteurs économiques. Eurotunnel, qui fonctionne habituellement à 52 % de ses capacités, « tourne aujourd’hui à plein », indique Fabienne Lissak, responsable de la communication. « On est passé de 5000 à 10 000 voitures jour », ajoute-t-elle, en raison du nombre de Britanniques à rapatrier. « Le rail, la route, les autocars, les loueurs de voitures », bénéficient de la carence aérienne, indique Natixis.

EFFET « DISRUPTIF »

Mais la question posée par le volcan – et par les attentats du 11-Septembre – est son effet « disruptif » sur la mondialisation, à savoir sa capacité à désorganiser une circulation complexe de personnes, de biens et de marchandises. « Le fret aérien ne représente que 5 % du trafic marchandises en volume, mais, en valeur, ces mêmes marchandises pèsent 40 % du trafic mondial », indique M. Mirza.

« Ce débat avait été ébauché au lendemain du 11-Septembre », indique Elie Cohen. « Mais la volonté de croissance des pays émergents et la volonté de profit des multinationales avaient vite étouffé l’interrogation. » Pour M. Mirza, « seul un choc permanent est susceptible de remettre en question la mondialisation. Aujourd’hui, l’espoir du bénéfice apparaît toujours plus élevé que le risque de perte face au terrorisme ou à une catastrophe naturelle ».

Pour l’instant, tous ces chocs ont été amortis, et des mécanismes de substitution mis en place. Reste le facteur psychologique. Car la mondialisation, c’est aussi des personnes. « La méfiance des voyageurs envers le transport aérien sera à l’avenir un facteur-clé pour évaluer l’impact économique du nuage », écrit Natixis. Quelle dose de risque vital et de perturbation dans leurs habitudes les individus sont-ils prêts à accepter pour tenir leur rôle dans la mondialisation telle qu’elle est construite aujourd’hui ? Telle est la question.

François Bostnavaron et Yves Mamou