L’intérêt national d’une grande puissance ne se borne jamais, tant s’en faut, à la sécurité territoriale ! Il en est des Etats-Unis qui, d’un bouclier atomique à l’armada militaire la plus efficace du monde, sont parés d’un inestimable système de défense et de riposte. Or, leurs intérêts dépassent les frontières et comme l’avait si bien écrit Claude Julien, « l’empire américain » est d’abord un empire d’intérêts…
Nulle ambiguïté ne vient dénaturer cette vérité ! Au Maghreb, pourtant, il persistera toujours une ombre à propos des rapports que l’administration américaine entretient avec les pays de cette région, et plus particulièrement le Royaume du Maroc et l’Algérie. Les gouvernements américains successifs ont constamment nourri la même ambition de voir consolidé un Maghreb stable, économiquement viable et démocratique.
Si le Maroc, avec lequel a été nouée une longue amitié de plus de 2 siècles et 26 ans, constitue un allié stratégique, l’Algérie incarne aussi un partenaire économique de poids. Une coopération privilégiée existe entre les milieux pétroliers américains, notamment du Texas et le gouvernement algérien. Cette bipolarisation est donc dictée par la géopolitique, mais aussi par l’intérêt qui est à la diplomatie américaine ce que le réalisme – disons même le cynisme – est à la méthode. La « normalisation », inspirée d’un pragmatisme à toute épreuve, entre les États-Unis et l’Algérie a commencé dans les années quatre-vingt-dix à la faveur de l’arrivée au pouvoir du président Liamine Zéroual, ensuite et surtout de Abdelaziz Bouteflika qui s’est rendu en visite officielle aux États-Unis par deux fois en l’espace de cinq mois, en juillet et en novembre 2001. Plusieurs accords avaient été signés lors de ces visites, portant sur la finance, l’industrie pharmaceutique, l’informatique et même sur la formation militaire.
« The positive conditionality »
Les deux gouvernements ont finalisé dès 2001 un accord-cadre portant sur le commerce, l’investissement et la création d’un mécanisme consultatif dont l’objectif est de favoriser les concessions commerciales entre les deux pays, appuyé par un accord parallèle sur la double imposition fiscale. L’ouverture algérienne aux multinationales pétrolières a, depuis lors, bénéficié davantage aux compagnies pétrolières américaines qu’à d’autres, parce qu’elles sont les plus actives en la matière. Ce qui dénote, à coup sûr, un souci de recentrage politique de l’Algérie en direction des États-Unis. Si l’Algérie ne bénéficie pas de ce qu’on appelle un « statut privilégié » auprès de Washington, elle n’en est pas moins considérée comme un partenaire prioritaire, au plan économique d’abord, ensuite de plus en plus politique.
La déstabilisation de l’Algérie pendant la guerre civile des années quatre-vingt-dix – qui a fait plus de 100 000 morts – a sans doute inquiété certains milieux dirigeants et stratèges américains… Elle ne les a pas pour autant découragés pour signer des accords de coopération à caractère militaire. Les États-Unis livrent au gouvernement algérien certains matériels sensibles, notamment pour la vision nocturne dans le désert, et d’autres contre le terrorisme. Pour avoir constitué un changement de cap, cette réorientation s’inscrit dans ce que les experts appellent à Washington « The positive conditionality », théorie chère à l’ancien secrétaire d’État adjoint, Robert Pelletreau qui est le maître d’œuvre du rapprochement américano-algérien.
L’Amérique et le Maroc sont toujours restés des alliés pour le meilleur et pour le pire ! Il n’y a pas si longtemps encore, Hillary Clinton, alors secrétaire d’État, en co-présidant en septembre 2012 à Washington le Dialogue stratégique maroco-américain, se félicitait de la coopération exemplaire en matière politique et sécuritaire et promettait un avenir plus que radieux pour les deux pays sur le plan économique.
Elle n’avait de mots assez forts pour soutenir les efforts du Maroc en matière de démocratie et de libertés, saluer les actions en faveur de l’instauration de l’État de droit. Et de fait, le Maroc a entériné l’Accord de libre-échange depuis 2006, ouvrant ainsi un champ ambitieux aux échanges multiformes entre les deux pays. La politique contre l’économie ou vice-versa, c’est ainsi que se modèle la relation ambiguë entre les États-Unis et les pays du Maghreb… Et plus particulièrement avec le Maroc et l’Algérie, le premier considéré jusque-là comme l’inconditionnel allié, l’exemple de démocratie de stabilité dans un monde arabe menacé par l’islamisme rampant, la deuxième perçue comme le « pôle pétrolier », une sorte de deuxième Irak en veille qu’il convient de tenir en joue…
Des relations « très » bilatérales
Sur la question du Sahara, les gouvernements américains qui se sont succédé ont tenu le même langage : une prudence sourcilleuse, un pragmatisme à toute épreuve ! Ils répètent à tout bout de champ leur soutien à un règlement politique dans le cadre des Nations unies, ils plaident pour une normalisation entre le Maroc et l’Algérie, pour un Maghreb économique, s’attachent donc apparemment à une vision globale ! Ce qui est, de toute évidence, faux et caricatural. Les Américains ont depuis longtemps opté pour des relations bilatérales avec l’un et l’autre pays.
Ils donnent à chacun l’impression qu’ils le soutiennent, au Maroc donc qu’ils apportent leur appui au plan d’autonomie au Sahara et à l’Algérie qu’ils approuvent le principe d’autodétermination du « peuple sahraoui » ! C’est dire que Machiavel est en œuvre, laissant se nourrir un espoir sur le fil de l’eau et couver, en réalité, une bombe à retardement… Depuis quelques années pourtant, le gouvernement américain, notamment de Bill Clinton, n’a cessé d’accuser l’Algérie de violer les droits de l’Homme, au point que les membres du Congrès en faisaient un point nodal et un impératif catégorique de toute normalisation. A présent, il reste bel et bien informé, par de multiples rapports et notamment celui du Département d’ État sur les libertés, des graves entraves que celles-ci subissent…
Ce que Suzanne Rice, ambassadrice des États-Unis aux Nations unies, s’efforce de présenter au Conseil de sécurité – qui n’est ni plus, ni moins qu’une manœuvre dilatoire contre le Maroc – pèche au mieux par l’ignorance ou la méconnaissance, au pire par une rédhibitoire volonté de discréditer la mission des Nations unies au Sahara, et en particulier les efforts de Christopher Ross ! Sinon, pourquoi les États-Unis ne se pencheraient-ils pas sur les violations et la répression qui sévissent dans les camps de Tindouf où, en désespoir de cause, les jeunes sont enrôlés pour rejoindre les islamistes et les jihadistes qui s’activent au Sahel, au Mali et déstabilisent une région qui semble, pourtant, tenir à cœur des dirigeants ?