Le témoignage qui accable la justice marocaine

Le témoignage qui accable la justice marocaine
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Vingt quatre (24) détenus sahraouis ayant été arrêtés lors du démantèlement sanglant du camp Gdeim Izik en novembre 2010 à El Ayoune occupée, comparaissent depuis vendredi dernier devant le Tribunal Militaire de Rabat (Maroc).

Les autorités marocaines ont décidé d’abattre la sentence avant même le prononcé du verdict en imposant un tribunal militaire aux prévenus au lieu d’une juridiction civile.

Ce procès de la «honte» pour lequel le makhzen a mobilisé ses médias pour diffuser sa propagande contre cette violation des droits de l’homme des militants sahraouis est, heureusement, suivi par des avocats, des représentants d’ONG internationales mais aussi des observateurs dépêchés par les chancelleries occidentales accréditées à Rabat.

Parmi ces nombreux observateurs, Me France Weyl, avocat à Paris et membre de Association Internationale des Juristes Démocrates – Droit Solidarité. Avec son aimable accord et celui de Mme Claude Mangin- Asfari, épouse de l’un des 24 détenus Enaama Asfari, nous publions telles que nous les avons reçus, les premiers constats d’un simulacre de procès qui vise ni plus ni moins qu’à confirmer le désir du makhzen : condamner à mort les 24 détenus.

Pré-Rapport portant sur le procès des 24 de Salé du 8 février au …. ??

France WEYL, avocat à Paris, Association Internationale des Juristes Démocrates – Droit Solidarité

Sans attendre le rapport détaillé de l’observation du procès des 24 de Gdeim Izik qui s’est finalement ouvert le 8 février devant le Tribunal Militaire de Rabat, je souhaite vous faire part de mes 1ères impressions et constatations. En 1er lieu il faut saluer la présence d’un très grand nombre d’observateurs (notamment France, GB, Italie, Espagne, associations de Défense des droits de l’homme, 2 euro députés espagnols, 1 députée belge, les représentants des ambassades de suisse et du canada).

Il faut aussi souligner la présence constante des militants sahraouis, des familles des prisonniers, restant devant le tribunal, des familles des victimes, ainsi qu’une présence massive de forces de police de toutes sortes, dont une grande partie en civil occupant les bancs du public.

Lors de la 1ère journée (vendredi 8) les débats qui ont duré toute la journée jusqu’à 22H30, ont porté sur

1- les témoins :

en effet à l’ouverture de l’audience le représentant du parquet (procureur du roi) a demandé l’audition de 9 témoins. La Défense s’y est opposé en indiquant qu’elle n’en avait pas été informée, qu’elle ne les connaissait pas, que cela ne respectait pas les dispositions du Code de Procédure Pénale et du Code de justice militaire quant au délai d’information préalable et que cela portait une atteinte grave aux droits de la Défense. Le président a dit reporter sa décision jusqu’à la fin de l’audition des accusés. Mais il est à noter qu’au fil des débats il est apparu qu’il aurait pris de fait sa décision puisqu’il leur a demandé de revenir mardi pour être entendus.

2- l’incompétence de la juridiction militaire :

l’argumentation de la Défense tient principalement au fait que la constitution marocaine en annonce la suppression, qu’elle reconnait la primauté du droit international sur le droit interne, et que par voie de conséquence elle doit appliquer les règles du droit international, et à l’absence d’indépendance des magistrats qui sont militaires comme les victimes. Le procureur a répondu que n’était encore intervenue aucune loi actant de la suppression du Tribunal Militaire, que le tribunal militaire n’était pas une juridiction d’exception, mais une juridiction spécialisée, et que la loi marocaine devait s’appliquer en l’état où elle existe. La Cour a décidé de rejeter la requête de la Défense et de se reconnaître compétente au regard de la loi marocaine actuelle. Il faut souligner que de manière récurrente dans la suite des débats, tous les accusés ont persisté à dénier la compétence du tribunal militaire, à mettre en cause son indépendance et à revendiquer d’être jugés comme des civils, devant une juridiction de droit commun. De toute évidence ce débat n’est pas clos et doit être poursuivi.

3 – la nullité ou l’inexistence de tous les actes de l’instruction :

Les motifs en sont de manière synthétique à ce stade :

a/ l’absence de flagrant délit.

b/ les conditions des arrestations, ou enlèvements, hors flagrant délit, au surplus par des autorités de police n’ayant pas compétence.

c/ les conditions de perquisitions en dehors des règles prescrites par le CPP et le code de justice militaire.

d/ la durée de la garde à vue.

e/ les conditions des auditions et du recueil des « aveux » (qui sont les seuls fondements de l’acte d’accusation) sous la torture.

f/ le fait que les pv ne sont pas signés, mais que les signatures sont par empreinte, alors que les accusés savent lire et écrire.

g/ l’absence d’information des familles au moment et immédiatement après les arrestations

h/ le démantèlement de Gdeim Izik s’apparente à une violation de domicile du fait que la durée du camp et ses modalités en avaient fait le domicile de ceux qui s’y étaient installés.

Le procureur a très brièvement répondu pour rejeter les moyens soulevés en affirmant que toutes les règles avaient été respectées, que les accusés n’ont jamais déclaré avoir été victimes de torture, que la loi ne dit pas sous quelle forme il faut informer les familles, que la signature par empreinte n’est pas un problème. La Cour a encore rejeté les requêtes de la Défense, qu’elle a déclaré recevables mais non fondées.

Cette 1ère journée s’est poursuivie et terminée par la lecture intégrale de l’acte d’accusation ; 1h40 ( ce qui n’est pas long au regard du nombre d’accusés et de la gravité de ce qui leur est imputé)

Samedi 9

Les auditions et interrogatoires ont débuté.

Enaama Asfari 10.30/ 16.45 (arrêté le 7 à Laayoune). A la reprise Ahmed Sbai fait un malaise et est évacué vers l’hôpital (nous aurons des nouvelles régulièrement par le Président, et nous apprendrons notamment qu’il ne peut revenir devant la Cour avant 48h). Malgré l’opposition de la Défense, le procès se poursuit en son absence avec Enaama Asfari jusqu’à 18.50. Cela pose un problème au regard des dispositions du Code de Justice Militaire, et des principes fondamentaux du droit, qui sera réglé par le Tribunal qui décide que les accusés se référant à Ahmed Sbai seront entendus quand il reviendra, et qu’il sera tenu informé de ce qui sera dit si son nom est prononcé.

Ensuite Mohamed Thalil jusqu’à 19.15 (arrêté le 5/12/10 à Laayoune) Hassan Dah jusqu’à 19.45(arrêté le 5/12/10 à Laayoune) Puis El Bachir Khadda jusqu’à 20.10 (arrêté le 5/12/10 à Laayoune) Abdallah Toubali jusqu’à 22H 30 (arrêté le 2/12/10 à Laayoune)

Dimanche 10

Etaki Elmachoufi de 10.30 à 12h (arrêté le 8/11/10 à Laayoune) Mohamed Lamine Haddi de 12.10 à 12.40 (arrêté le 20/11/10 à Laayoune) Brahim Ismaili de 12.40 à 13.50 (arrêté le 9/11/10 à Laayoune) Cheikh Banga de 14 à 14.15 et de 16.20 à 17.50 (arrêté le 8/11/10 à Gdeim Izik) Mohamed El Ayoubi (en liberté provisoire) de 18 à18.40 (arrêté le 8/11/10 à Gdeim Izik) 3/ 5 Après la suspension à 19.30 le Président appelle Babait Mohamed Khouna qui dit ne pas être en état de parler Sid Ahmed Lamjaed est dans le même état Un des 24 se lève vient à la barre etr expose qu’ils sont dans un état d’épuisement qui ne leur permet plus de répondre à la Cour Après discussion la Cour décide de suspendre jusqu’à lundi 9h.

Il n’est pas possible de détailler ici les réponses des accusés, et il faudra que chacun des observateurs s’emploie à en faire la relation précise pour que cela soit conservé et diffusé Il s’agit seulement ici de relever les points forts de leurs interventions, qui tous reviennent sur les mêmes sujets :

– revendication de replacer le procès et les accusations dont ils sont l’objet dans le contexte général et l’histoire de la lutte du peuple sahraoui, de la reconnaissance de ses droits par la communauté internationale, de la légitimité du Front Polisario son représentant

– revendication de replacer le procès dans le contexte de Gdeim Izik : comment naît  pourquoi, quel est le socle des revendications qui y sont exprimées, …

– la nature constante d’une lutte pacifique, profondément ancrée dans la culture sahraouie, dans les hommes et femmes qui récusent et rejettent toute violence et toute haine et respectent les droits humains.

– le caractère pacifique de Gdeim Izik, le dialogue avec les autorités, l’incompréhension de l’intervention du 8/11 que rien ne justifiait – la brutalité de cette intervention.

– la campagne de haine dont ils sont l’objet – la discrimination et le harcèlement qu’ils vivent au quotidien.

– leur volonté de voir reconnaître leur existence, leurs droits, leur dignité d’êtres humains, leur droit d’expression.

– ils saluent les victimes et le peuple marocain qu’ils ne considèrent pas comme leur ennemi, mais également comme victime.

– ils saluent et remercient les observateurs, les associations internationales et marocaines des droits de l’homme. Ces interventions véhémentes, passionnées, profondément humaines, et chargées d’émotion, se heurtent à l’opposition du président qui refuse de parler et d’entendre ce qu’il dit ne pas être dans l’ « action publique ». Il ne veut parler, ne veut entendre que ce qui s’est passé le 8 novembre, déclarant même à l’un deux, ce que vous avez à dire dites le dans d’autres cercles…oubliant sans doute qu’ils sont détenus ! Mais les accusés ne cèdent pas et exigent leur droit d’expression et de Défense.

– autre sujet récurrent les conditions des arrestations, de la rétention, et de la détention * le plus souvent en dehors de Gdeim Izik, avant ou après le 8 * par des forces non identifiables (commandos cagoulés) * pour être conduits yeux bandés, menottés, dans des lieux inconnus, identifiés comme étant des locaux de la DST, puis de la gendarmerie, puis de la Cour d’Appel de Laayoune, puis enfin le Tribunal Militaire à Rabat. * les traitements inhumains, dégradants qu’ils ont subis Les tortures sont évoquées avec force et constance, et en même temps avec une très grande pudeur , il y a des choses qui ne peuvent se dire sans que cela aggrave l’atteinte déjà subie C’est ainsi que nous entendons tous « menace de viol » et ne pouvons que le traduire par « viol » dont tout le monde dit qu’il se pratique à la bouteille ou à la matraque.

La même constance se retrouve dans la dénonciation de tortures et de traitements inhumains infligés y compris dans les locaux de la Cour d’appel de Laayoune par laquelle ils transitent avant d’être transférés à Rabat, dans l’avion militaire qui les transfèrent, et dans la salle du tribunal militaire qui est la même que celle où le procès se déroulent – où ils sont retenus avant d’être présentés devant le juge d’instruction pour l’interrogatoire préliminaire ; La même constance pour dénoncer les tortures et traitement inhumains subis en prison dans les 1ers mois de leur détention, quand ils sont restés 4 mois sans voir le soleil dans des cellules individuelles, sans contact avec leurs familles.

Tous également affirment que dans le cadre des auditions de police et de gendarmerie et du 1er interrogatoire devant le juge d’instruction, ils n’ont pas été interrogés sur les faits qui leur sont aujourd’hui reprochés, mais seulement sur leurs activités politiques et militantes, leurs convictions, leurs liens avec les personnalités sahraouies dont ils donnent les noms, le Front Polisario, et pour ceux qui y étaient leur visite dans les campements de réfugiés et à la conférence internationale d’Alger .

Tous également contestent avoir signé les pv qui leurs sont opposés, et déclarent avoir signé sous la torture, yeux bandés, menottés, des feuilles qu’ils n’ont pas pu lire et qu’on ne leur a pas lues. Ils déclarent que le juge d’instruction n’a pas voulu entendre leurs plaintes de torture et contestent lui avoir dit ne pas avoir été torturés. Sur chacun de ces points le procureur se borne à évoquer les procès verbaux signés, dont il prétend qu’ils ont été normalement signés et établis. Un incident sera d’ailleurs élevé quand les avocats le prendront en flagrant délit d’une lecture tronquée d’un PV dont la lecture entière confirme les dénégations de l’accusé. Enfin tous contestent les charges qui pèsent sur eux, et dont en l’état de ce que nous avons entendu, semblent ne reposer que sur les procès verbaux contestés.

A ce stade, au-delà de l’apparence qui veut être donnée d’un procès où les accusés ont la parole, où les observateurs sont présents, et dont il faudrait alors déduire qu’il serait équitable, il doit être noté que :

– rien n’explique pourquoi les forces de police sont intervenues ce matin du 8 novembre dans les conditions que l’on connait et que toutes les organisations internationales ont rapporté.

– aucune réponse n’est donnée quant aux conditions dans lesquelles ils ont été arrêtés, détenus, torturés.

– les faits qui leurs sont reprochés restent vagues et généraux et ne sont étayés par aucun commencement de preuve, les aveux ne pouvant en tenir lieu au regard des accusations graves et concordantes de ce qu’ils ont été recueillis sous la torture.

– la Défense n’a pas été autorisée à faire entendre des témoins essentiels que sont les rédacteurs des PV, les Wali et Ministère de l’Intérieur sur les motifs de l’intervention, les membres du comité de dialogue sur Gdeim Izik avant et pendant l’intervention, la parlementaire qui pourrait attester de ce que l’un d’entre eux n’était pas à Gdeim Izik le 7 et le 8 novembre.

– devraient être entendus des témoins de l’accusation, dits témoins nouveaux, que la Défense ne connait pas et ne peut donc discuter, et dont on peut s’étonner qu’ils apparaissent ainsi après 27 mois, alors qu’ils auraient pu et dû être notifiés au juge d’instruction et entendu par lui dans le cadre de l’instruction.

– aucune enquête n’a été diligentée sur les accusations de torture alors pourtant que les accusés ont donné des noms y compris au cours de l’audience. Dans ces conditions et à ce stade, il apparaît que : non seulement le procès ne peut être considéré comme équitable au sens des normes internationalement reconnues, comme au sens du droit marocain mais également et surtout aucune décision de condamnation de quelque degré ou nature que ce soit ne saurait être prononcée. Le présent compte rendu, très succinct non exhaustif, n’a pas vocation à se substituer au rapport complet que nous avons décidé d’établir de manière collective à l’issue du procès.

Mais il m’est apparu indispensable de donner déjà tous ces éléments sans attendre cette issue, y compris pour que tout le monde soit alerté sur les atteintes de toutes sortes déjà constatées et que tout soit entrepris pour y mettre un terme et qu’en cet état les accusés soient libérés.

A cet égard et comme nous l’avons dit aux familles des victimes avec lesquelles nous avons parlé, nous ne pouvons que nous incliner devant leur souffrance. Mais cette souffrance ne peut justifier que les accusés dont la culpabilité n’est pas établie, soient condamnés, dans des conditions qui ne feraient qu’ajouter souffrance à souffrance, et injustice sur injustice.

Fait à Paris le 11 février 2013