Alger est-elle le centre de la bêtise nationale ? Tel aurait dû être le thème de la conférence–débat qui s’est tenue hier à l’hôtel El-Aurassi sous le titre “quelle place pour les régions du Sud algérien dans les médias ?”
Organisé par Media Diversity Institute (MDI), une ONG britannique et le quotidien Liberté, avec le soutien de l’ambassade du Royaume Uni à Alger, cet événement aurait dû se tenir, selon plusieurs intervenants, en partenariat avec ces “régions oubliées” qui se sont récemment imposées dans les médias à l’occasion d’événements regrettables. De toute manière, il n’y a pas que la région sud à être, ainsi, otage de cette capitale qui commande le sort du pays. Dans la présentation de MDI, la coordinatrice du projet en Algérie, Wassila Si Larbi, a rappelé, que le credo de son organisation est “des médias inclusifs pour une société inclusive”.
Depuis son avènement, il y a quinze ans, MDI dont la vocation essentielle est la promotion de la diversité dans les médias organise régulièrement des cycles de formations. “Chaque individu, région ou communauté, doit pouvoir trouver dans les médias une plateforme qui reflète ses préoccupations”, explique-t-elle. “Dès qu’on m’a proposé cette idée, j’ai immédiatement donné mon accord non pas seulement en tant que directeur mais aussi en tant que citoyen”, a affirmé pour sa part Abrous Outoudert, directeur de Liberté. Pour lui, cette initiative conjointe avec MDI se situe dans le prolongement naturel de l’ouverture récente de deux bureaux permanents de Liberté à Ouargla et à Tamanrasset.
L’intérêt commercial et les contraintes sahariennes
Chiffres à l’appui, Abrous révélera que jamais, on aura autant écrit sur les régions sahariennes qu’en 2013 : “À titre indicatif, en 2005, l’année où le journal Liberté a été entièrement numérisé, le nombre d’articles consacrés aux wilayates du sud est de
40 articles qui vont des brèves aux reportages. Pour l’année 2013, les articles sont devenus quasi quotidiens…”
C’est dire l’intérêt éditorial qui, en la circonstance aura primé, d’après lui, sur l’intérêt commercial. Le directeur de Liberté signale que ce regain d’intérêt pour le Sud s’accompagne par un renversement de l’ordre des priorités : “Le sujet du tourisme vient aujourd’hui en dernier, bien après les problèmes sociaux, le chômage, l’insécurité, la contrebande, etc.” Et pourtant, le secteur du tourisme ferait vivre près de 60% de ces populations selon l’expert Fayçal Maârfia, un fin-connaisseur du désert, qu’il fréquente depuis 40 ans.
D’après lui, le sort des Algériens du Sahara s’est considérablement dégradé ces dernières années. On apprendra ainsi que seulement 8% des enfants du Grand-Sud atteignent l’âge scolaire. En citant notamment les effets du chômage de masse qui touche les jeunes, il parle véritablement d’un “ghetto” saharien.
Comme chacun sait, l’embellie financière due à la manne énergétique n’a pas toujours profité aux populations du Sud d’où est extraite précisément cette richesse. Le chômage et l’appauvrissement continu de ces populations a engendré des manifestations de colère qui ont posé le problème de la répartition des richesses nationales et la question du développement local.
Pour la plupart des intervenants, cette marginalisation prend une tournure dramatique lorsqu’elle devient médiatique. “On se dit peu de choses entre nord et sud. On effleure le problème toujours d’une manière superficielle.
Le ministère du Tourisme préfère avoir des discussions avec des courants d’air”, poursuit Maârfia exaspéré. Sinon, comment expliquer qu’il n’existe toujours pas de relais médiatiques pour en parler ? En effet, quelle meilleure preuve.
D’abord les questions citoyennes
L’expérience “marginale” de l’hebdomadaire
El Waha qui n’a pas abouti, rappelle-t-on, a été plusieurs fois évoquée.
La plupart des intervenants en concluent qu’il ne peut y avoir de médias au sud du pays sans l’appui des autorités, et ce, d’autant plus qu’il existe un fonds d’aide à la presse constitué à cet effet. Cela dit, tout le monde convient aussi que l’intrusion récente de nouvelles télés dans le paysage médiatique algérien est venue illustrer, une fois encore, combien le pays restait hyper-centralisé. Ultime symbole de cette domination, l’adhan est imposé au reste du pays, selon l’horaire fixe d’Alger et de ses environs.
Ainsi, malgré le décalage horaire, les habitants d’Illizi ou de Tindouf devront se résoudre à cette “fatalité”, diversement appréciée selon qu’il s’agisse de l’interruption d’un match de football ou d’un journal télévisé.
De toute manière, cette situation n’est pas nouvelle puisque la Télévision dite “nationale” (Entv) est souvent, elle-même, accusée de pratiquer cette discrimination. “On ne va pas leur jeter la pierre à ces nouvelles télévisions privées qui sont en pleine adolescence. Mais on a le droit de les regarder avec une circonspection citoyenne et leur demander des comptes” s’écrie le professeur Belkacem Mostefaoui, un spécialiste de l’audiovisuel qui vient de sortir un livre au sujet de la liberté d’expression en Algérie.
D’après lui, il y a urgence à poser d’abord des questions citoyennes au lieu de celles académiques : “L’Algérie, est-ce un pays trop grand pour nous ? Mérite-t-on vraiment ce territoire immensément grand ?” Au-delà de ces interrogations, l’expert recommande de s’engager dans de nouveaux combats à dimension nationale, notamment pour un développement endogène de l’économie et une préservation du patrimoine culturel.
Il soulignera, également, le rôle éminent de la presse qui doit contribuer à harmoniser les rapports de chacun dans sa composante et sa spécificité pour aller vers le développement. “L’entreprise médiatique est la seconde école de la nation”. Mostefaoui trouve, par ailleurs, “aberrante” cette dépendance en 2014 d’un État central retranché dans la métropole algéroise. “De toute manière, le secteur d’État doit respecter le service public. Respecter les différences entre genres et entre langues est une obligation de la nouvelle loi sur l’audiovisuel”.
Pour sa part, le directeur du quotidien El Watan, Omar Belhouchet, estime qu’il ne s’agit pas seulement de rejeter la responsabilité sur les autorités car il est temps pour la presse nationale de “faire preuve d’un minimum d’autocritique” et d’évoquer le Sud autrement que par les problèmes qui y surgissent parfois : “C’est un imaginaire qui se résumait au tourisme et au pétrole. Or, depuis peu, c’est la contrebande, le banditisme… De ce débat académique, il ne sortira, d’après moi, aucune subversion qui pourra mettre en péril le pouvoir central. J’ai appris, au cours d‘un colloque, qu’il y avait en Algérie une vingtaine de langues. Aussi, nos titres doivent faire l’effort d’enquêter et de faire connaître à l’ensemble des Algériens cette richesse”.
Rompre avec le regard nordiste
Enfin, le directeur d’El Watan déplore que s’agissant des événements du M’zab, des médias nationaux (dont notamment une chaîne de télévision, qu’il n’a pas citée) en sont venus à jeter de l’huile sur le feu. Quant à Mounir Boudjemâa, directeur de la rédaction de Liberté, il relève lui, un clivage culturel au sein des rédactions. “Comment peut-on se définir du centre ? Est-ce du nombrilisme ? Je ne sais pas d’où ça vient, mais je constate que les Algériens se définissent de plus en plus d’où ils viennent”.
D’après lui, le choix éditorial est, certes, arbitraire mais il faut trouver le juste milieu et rompre avec “le regard nordiste”. Boudjemaâ regrette ainsi l’absence dans les médias publics d’“une ouverture d’esprit qu’on ne retrouve plus” et s’offusque du fait qu’un journaliste algérien interréagit, aujourd’hui, presque de la même façon qu’un journaliste français.
Présent à cette conférence, Maître Nourredine Benisaâd, président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme (Laddh) saisit cette occasion pour rappeler les lois contraignantes en matière de création d’organes de presse. “Quand ont parle de médias, on parle de société civile qui doit s’organiser”. Appelé à témoigner, Rabah Karèche, le responsable du bureau de Liberté à Tamanrasset a longuement évoqué le “parcours du combattant” du correspondant de presse local. En homme de terrain, il révèlera les difficultés de l’accès à l’information : “même pour avoir une information banale pour étoffer son papier cela relève parfois d’une véritable gymnastique. Il faut presque connaître le wali”.
D’après lui, l’aspect relationnel, à l’échelle locale, est très important.
S’il considère que les contraintes qu’il rencontre dans l’exercice de ses fonctions ne sont pas, somme toute, “spécifiques”, il fera tout de même noter à l’assistance que la wilaya de Tamanrasset, une région à caractère géostratégique s’il en est, dispose d’une superficie de plus 500 000 km2, soit 3 fois la France et où la notion du temps et de l’espace est toute autre.
Il abordera également l’épineux problème de la distribution des journaux en révélant que malgré l’ouverture d’une imprimerie à Ouargla,
Liberté est toujours vendu 30 DA à Tamanrasset, au lieu de 15.
Pour Aoumeur Bekkili, chercheur en anthropologie sociale et originaire de Ghardaïa, “l’approche journalistique est biaisée”. Prenant exemple sur les récents événements du M’zab, il reprochera aux médias de faire un focus sur les aspects négatifs de cette région. “De nombreuses choses existent et ne sont pas plébiscitées, médiatisées”, déplore-t-il. Et pourtant, l’entraide ou encore la “touiza”, dans un contexte géographique aussi hostile qu’est le désert c’est, d’après lui, une question de survie.
C’est même devenu, à la longue, une règle de vie commune : “Cette coexistence millénaire est basée sur le désert. Il s’agit d’un pacte social. On ne travaille pas avec les autres par philanthropie ou par idylle amoureuse. C’est une nécessité vitale. Tu es obligé de vivre avec l’autre sinon vous mourrez tous les deux !” D’après lui, cette situation vous astreint à une sorte d’humilité qui tient de la nature même de cette région où le lendemain est parfois incertain. Bekkili préconise, ainsi, d’étudier d’abord la structure morale du M’zab “avant son architecture dont la structuration même dans l’espace témoigne d’une société pacifiste qui ne porte pas d’armes”. Il semble, ainsi, que l’intervenant en ait gros sur le cœur après avoir lu, entendu ou vu, semble-t-il, certaines affirmations fantaisistes ou autres stéréotypes dans les médias : “Il ne s’agit pas d’utiliser des standards préétablis en décalage avec les réalités locales qui vont susciter le rejet par l’autre. Il faut connaître le rapport social, le droit “oôrfi” et les usages avant de formuler ces jugements à l’emporte pièce. Le M’zab est la région la plus unitaire du pays et les mozabites sont les plus nationalistes. Posez nous les questions les plus tabous et découvrons-nous mutuellement !” Sur ce, un intervenant a dénoncé le “communautarisme sectaire” des Mozabites et le fait que les rues de la République n’étaient plus publiques à Ghardaïa.
Un autre a résumé à sa manière la situation : “On est occupé à se crêper le chignon alors qu’il y a un pays de 2,8 millions de km2 à gérer et où plus de 90% de la population est concentrée sur une bande très réduite.” Il faut dire que le modérateur de la conférence, notre confrère Karim Kébir, a eu toutes les peines du monde à évacuer cette question “ponctuelle” des affrontements dits ethniques dans la vallée du M’zab, qui a surgi avec effraction dans le débat.
M.-.C. L