Après avoir soutenu l’indépendance du Soudan du Sud, pendant vingt années de guerre contre le Soudan, les Etats-Unis devraient peut-être assumer jusqu’au bout ce soutien qui, d’apparence, est d’ordre humanitaire. Évidemment, les Etats-Unis ne sont pas seuls à être redevables devant l’histoire et un peuple qui se meurt en silence, deux ans seulement après la proclamation officielle de la naissance d’un pays, menacé aujourd’hui de partition.
Les capitales occidentales qui surveillent de près ce qui se passe au Soudan du Sud, plus précisément ce qui se passe dans les zones à forte concentration de ressources pétrolières (province du nord, frontalière avec le Soudan), autant que l’Union africaine dont la réforme devrait passer par le renouvellement du personnel politique de ses États membres, sont interpellés pour mettre fin à une guerre civile qui prend de plus en plus la tournure d’un génocide ethnique, opposant les Dinkas du président Silva Kiir aux Nuer de son rival Riek Machar
Deux ans à peine après sa naissance aux forceps, le Soudan du Sud a renoué avec la violence. Cette fois-ci, l’ennemi n’est pas Khartoum qui, même s’il pourrait tirer les ficelles, observe de près ce qui se passe chez son voisin du sud. L’ennemi de Juba ce sont les vieux démons qui se réveillent et qui mettent davantage de violence dans les affrontements internes dont le bilan est estimé en milliers de morts depuis la mi-décembre 2013. Des affrontements nés d’une rivalité politique qui n’a rien de personnelle mais qui cache derrière elle de vieilles rancunes entre deux ethnies, toujours incapables de saisir le sens et l’urgence de vivre sous un même toit malgré leurs différences.
Le Soudan du Sud, né officiellement le 9 juillet 2011, fait face à une crise qui risque de le conduire à l’inévitable partition qu’a subi Khartoum, pour n’avoir pas su fédérer les forces vives autour d’un projet politique, économique, social et culturel commun, dans le respect des différences religieuses de tout un chacun. Le Soudan ou le Soudan du Sud ne sont pas les seuls États africains à vivre dans de tels tourments évidemment. Mais l’inquiétude de partition qui pèse sur Juba, parce qu’il s’agit d’un pays naissant, devrait interpeller une Union africaine, complètement dépassée par les évènements.
Mais que peut-on faire devant deux anciens chefs de guerre dont la négociation politique semble être le dernier souci pour éviter un énième drame pour leur peuple ? Bien qu’il soit légitime et même indispensable de se poser la question de la provenance de toutes ces armes lourdes qu’utilisent les deux camps, il ne faut surtout pas hésiter à revisiter les dossiers poussiéreux de l’Histoire afin de mieux cerner les évènements d’aujourd’hui.
Au-delà de l’ego de deux hommes
Officiellement, les violences opposant les Sud-Soudanais entre eux sont le résultat d’une rivalité politique entre deux hommes-clés du gouvernement de transition. C’est-à-dire, entre le président Silva Kiir, vieux routier de la lutte pour l’indépendance du Soudan du Sud depuis les années 1960, et Riek Machar, son ancien chef du gouvernement qu’il a limogé pour un présumé coup d’État dont il serait coupable, selon Juba. Riek Machar avait rejoint les groupes indépendantistes sud-soudanais en 2001, soit quatre ans avant le décès de l’ancien chef rebelle charismatique John Garang, mort dans le crash de son hélicoptère, quelques semaines seulement après la conclusion de l’accord de paix de 2005, entre son mouvement et Khartoum. Loin d’être une guerre d’ego entre deux hommes aguerris, aussi bien politiquement que militairement, la guerre qui ravage aujourd’hui ce jeune pays trouve ses racines dans une succession de tueries et d’exactions ethniques pour le contrôle des points d’eau, des zones de pâturage et d’élevage. Mais aujourd’hui, l’enjeu est loin d’être lié à une guerre pour s’assurer du contrôle des moyens de survie d’un peuple, assis sur de l’or.
Le pétrole qui nourrit les caisses des autorités de Juba à plus de 95% constitue un facteur aggravant d’une haine ancestrale qui a fait des milliers de morts depuis des décennies. L’épisode de la tuerie commise par les miliciens de l’«armée blanche», en 1991, demeure toujours dans la mémoire collective des Dinkas. Cette milice Nuer avait massacré en l’espace de quelques jours plus de 2 000 personnes de l’ethnie Dinka, dans la ville de Bor, actuellement terrain de combat entre les partisans de Riek Machar (Nuer) et les forces gouvernementales.
De la responsabilité morale des Etats-Unis
Est-il trop tard pour arrêter les violences qui secouent le Soudan du Sud depuis fin décembre 2013 ? La signature d’un accord de cessez-le-feu le 23 janvier de l’année en cours, entre Silva Kiir et Riek Machar, sous la médiation de l’Union africaine à son siège d’Addis-Abeba (Éthiopie), n’a jamais été respecté. Les deux parties continuent de s’accuser mutuellement d’avoir rompu une trêve qui n’était qu’un inutile bout de papier, signé probablement sous la pression internationale. Une pression de courte durée et qui est aujourd’hui incapable de faire revenir les Sud-Soudanais à la table des négociations de paix.
Les regards sont toutefois braqués sur Washington qui a toujours soutenu l’idée d’une indépendance de Juba. Le pays de l’Oncle Sam ne doit-il pas jouer jusqu’au bout le rôle de parrain qu’il s’est attribué pour affaiblir le Soudan et le régime totalitaire de Omar El Béchir, toujours sous le coup d’un mandat d’arrêt international ? Sans recourir au schéma classique de l’intervention armée dans le Soudan du Sud, Washington dispose d’assez de moyens et d’influence pour persuader aussi bien Juba que les rebelles pour arrêter ce drame auquel la communauté internationale assiste, le regard détourné vers d’autres cieux.
Le Soudan, accusé de soutenir les milices Nuer et d’envoyer les membres des milices Jenjaouid sur le territoire sud-soudanais, pourrait-il apporter sa contribution pour arrêter l’effusion de sang dans les provinces frontalières de son voisin où se concentre cette guerre civile ? Autant de questions pour autant de civils sacrifiés sur l’autel d’une démocratie qui n’a pas eu le temps de pousser son premier cri de joie.
L. M.