Le sociologue Nacer Djabi analyse les dérèglements de l’État national : Un état des lieux sans concession

Le sociologue Nacer Djabi analyse les dérèglements de l’État national : Un état des lieux sans concession

Le sociologue Nacer Djabi dresse un état des lieux critique sur la situation politique actuelle du pays et pointe même des menaces contre la pérennité de l’État national algérien. C’était lundi en soirée, lors d’une conférence à la Bibliothèque nationale d’El-Hamma.

Sans cesse à l’écoute des pulsations de la société, sensible à ses mouvements sociaux, à l’agitation causée par les élections et au comportement des élites intellectuelles et syndicales, l’auteur de État et élites et de Pourquoi le printemps algérien a tardé ? a révélé que le changement de la base traditionnelle de l’État algérien “a approfondi sa crise”.

“L’État algérien n’a plus besoin du FLN, des travailleurs, des femmes, des syndicalistes…”, a-t-il déclaré, tout en observant que la nouvelle base sociale de l’État est composée essentiellement d’“hommes d’affaires et (de) petits partis politiques”. Ces changements, poursuivra le conférencier, “auront des retombées sur la nature de l’État”. Partant de ce constat, le sociologue a ensuite exposé trois scénarios.

Dans le premier, il n’a pas écarté la possibilité d’une “remise en cause, à moyen terme, des fondements doctrinaux de l’État”, laissant entendre plus loin que “l’État que nous avons connu à l’Indépendance est en train de se métamorphoser”. Dans le second scénario, M. Djabi y voit la disparition de “l’État centralisé” comme “demandé” par les États-Unis, justifiée par les revendications “régionalistes”, mais aussi par “le soubassement de l’accroissement du nombre de wilayas”.

“En Algérie, dira-t-il, nous avons peur du régionalisme et du fédéralisme, pourtant, il n’y a aucun débat logique et raisonnable sur ces questions-là.” Les éléments avancés dans les deux cas précédents risquent, paradoxalement, “d’accélérer l’unité maghrébine” et expliquer ainsi le dernier scénario, finit par affirmer Nacer Djabi. Pour ce dernier, “les mouvements amazighs constituent un des éléments pouvant contribuer à la réalisation d’un tel schéma”.

Au cours de la rencontre ramadhanesque d’El-Hamma, l’intervenant s’est également exprimé sur les événements apparus, depuis 2011, dans la région du Maghreb et dans le monde arabe, et désignés sous l’expression de “Printemps arabe”. De l’avis du sociologue, “le ‘printemps arabe’ s’est transformé en ‘printemps amazigh’” dans l’espace maghrébin. Pour cela, il n’y a qu’à voir l’émergence ou la résurrection des mouvements amazighs dans la région, y compris en Libye.

S’agissant de notre pays, M. Djabi a laissé entendre qu’en raison, notamment, de “l’essoufflement” de la relation entre l’État et la société, “les anciens mouvements amazighs” d’avant la crise berbériste de 1949, donc “des mouvements plus vieux que l’État national, vont exploiter le vide laissé par l’État national qui, lui, connaît une déliquescence”. Cette nouvelle donne n’est pas sans risque et renvoie à la question cruciale de “l’adhésion nationale”, ou encore du vivre-ensemble en Algérie.

Sans pour autant exclure la question de savoir si “toute remise en cause de l’État national vise l’éclatement des institutions et structures, telles que nous les avons connues jusque-là”, ou si “nous sommes devant d’autres choix qui nous rendront plus forts”.

L’intervenant a, en outre, abordé les événements violents qui se déroulent, aujourd’hui encore, à Ghardaïa, en estimant qu’il y a une certaine “similitude” avec ceux ayant embrasé, il y a près d’une décennie, la région de Kabylie. Sauf qu’à l’inverse des habitants kabyles, “les Mozabites, comme la population de l’extrême-Sud, sont moins intégrés dans la construction nationale”.

Plus concrètement, le chercheur en sociologie a rappelé que la Kabylie, bien qu’elle soit contestataire, reste très ouverte sur la société et l’extérieur. Ce qui n’est pas le cas de la région du M’zab, certes pacifique, où “le problème d’adhésion nationale est posé”.

Pour cela, il n’y a qu’à constater, entre autres, “la rareté des mariages mixtes” au sein de la communauté mozabite et les différenciations visibles dans l’organisation des quartiers et de la vie économique. Même le système scolaire mozabite se distingue du système national, précisera Nacer Djabi, avant de se poser un certain nombre de questions, dont celle de savoir jusqu’où nous irons “dans la reconnaissance des particularismes”.

H. A.