Saâdani s’en prend à Sellal et Tayeb Louh
Si les déclarations de Amar Saâdani tuaient, la scène politique serait un vaste cimetière.
Encore hier, lors d’une conférence de presse animée en marge de la cérémonie organisée par le FLN à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse, à l’hôtel le Moncada (Alger), M.Saâdani a élargi son champ de tir.
Il s’est attaqué non seulement à deux grosses pointures du pouvoir mais à deux éléments les plus proches du cercle présidentiel: le Premier ministre Abdelmalek Sellal et le ministre de la Justice Tayeb Louh. «Belayat pense qu’il pourrait bloquer le congrès, puisque Louh est à la tête du ministère de la Justice. Je lui dis qu’il a tort», assène-t-il avant d’ajouter, «nous ne sommes pas n’importe quel parti. Le FLN est un grand parti et son président d’honneur est le président de la République» lance-t-il caustique. Par cette sortie pour le moins inattendue Amar Saâdani vient de rajouter sur son tableau de chasse le ministre de la Justice Tayeb Louh jusque-là discret et loin des tiraillements du FLN. Il y a de quoi s’interroger sur les raisons de cette salve inexpliquée qui cible un ministre du FLN en fonction et qui, de plus, avait soutenu l’élection de Saâdani à la tête du parti au moment où les redresseurs conduits par Belkhadem et Belayat s’acharnaient contre lui. Ni le moment ni le contexte ne s’y prêtent.
Révision de la Constitution: aucune date
Les observateurs et les proches collaborateurs de M.Louh, lui reconnaissent un savoir-faire et surtout une rigueur dans l’exercice de ses fonctions. Il ose nommer ce qui ne va pas dans le secteur de la justice. On se rappelle de la colère rouge qu’il avait piquée en mai de l’année dernière quand il a découvert que des magistrats avaient été admis avec une moyenne de 7/20. Il a fait de la visioconférence une réalité dans les 41 cours de justice que compte le pays. Que dire des facilités introduites pour le retrait des documents demandés par les justiciables. Ce n’est plus une vague promesse. Pourquoi alors jeter en pâture un ministre qui se trouve à la tête du secteur le plus sensible de la République? Hier, Tayeb Louh n’a pas été le seul à subir les foudres du patron du FLN. Le Premier ministre n’a pas été épargné lui aussi: «Je ne comprends pas, c’est quoi ce pays où l’on met de valeureux cadres à la retraite à l’âge de 60 ans», a-t-il lancé dans une allusion claire à M.Sellal qui a décidé de cette mesure de mettre tous les cadres des administrations en retraite systématique à l’âge de 60 ans.
Amar Saâdani enfonce le clou et va jusqu’à accuser à demi-mot le Premier ministre de bloquer carrément le pays. «Nous avons des jeunes compétents, qui peuvent mener le pays très loin, mais dommage, il y a une ‘khalouta » (cacophonie) dans la gestion du pays». Plus explicite, Saâdani estime qu’il y a des personnes qui veulent maintenir le statu quo et refusent le changement». Voilà donc une autre très grave accusation à l’endroit d’un Premier ministre pourtant adoubé par le président de la République et qui dit appliquer le programme de ce même Président. Quelle explication donner à l’attaque de M.Saâdani? Aucune, sinon qu’il rajoute une autre couche à la confusion générale qui règne sur la scène politique. Abordant la révision de la Constitution, le secrétaire général du FLN a rappelé que le président Bouteflika ne veut pas de Constitution sur mesure.
«Le président veut une Constitution consensuelle et non un texte sur mesure», insiste-t-il non sans rappeler encore une fois que c’est «l’opposition qui bloque et qui persiste à tourner le dos aux appels du Président». Il rappelle néanmoins que les portes du dialogue restent toujours ouvertes «pour enrichir ce texte qui n’est pas encore finalisé». Rappelant que cette question est une prérogative du chef de l’Etat, le secrétaire général du FLN n’a pas écarté la «possibilité de soumettre le projet de révision constitutionnelle au Parlement» et d’ajouter que «la prochaine Constitution va consacrer les équilibres au pouvoir et instaurer un régime semi-parlementaire». Pointant du doigt ses détracteurs, l’orateur a indiqué que ces derniers veulent bloquer cette révision.
Le rajeunissement fait peur
Il en veut pour preuve la distillation de fausses informations. «En revendiquant une majorité au Parlement, qui n’existe en fait que dans leurs esprits, ils veulent en réalité envoyer un message au président Abdelaziz Bouteflika selon lequel, le processus peut échouer s’il passe par le Parlement», a-t-il affirmé avant d’appeler le «groupe» de Belayat soutenu par Belkhadem «d’arrêter de jouer» et de «respecter les statuts et le règlement intérieur du parti».
Interrogé sur le déroulement du Xème congrès de son parti, le SG a soutenu que les préparatifs se déroulent le plus normalement du monde. M.Saâdani a précisé que ce congrès sera «rassembleur et inclusif». A ce propos, Amar Saâdani affirme que ce congrès porte le slogan évocateur: «Renouvellement et rajeunissement», mais qui selon lui donne une peur bleue à ceux qui veulent s’éterniser dans les postes de responsabilités. «Les portefeuilles ministériels et les ambassades reviennent quasiment toujours aux mêmes personnes qui s’alternent aux postes de responsabilité, ce qui n’est pas normal», martèle-t-il.
Il a également indiqué que le congrès, dont les préparatifs ont déjà été lancés au niveau des commissions de wilaya, sera «celui de la base et non pas du sommet». «Tous les dirigeants autorisés par les statuts du parti à assister au congrès seront invités à y prendre part et auront le droit d’émettre leurs avis sur les questions qui seront posées», a-t-il précisé. A ce propos, M.Saâdani a réfuté «l’existence d’une opposition de la part des députés du parti au sein des deux chambres du Parlement, comme le prétendent certaines parties qui veulent – s’éterniser dans les postes de responsabilité». Le parti a obtenu l’aval des services de la wilaya d’Alger pour la tenue du congrès à la Coupole du complexe Mohamed-Boudiaf.
Soulignant que c’est la «base du parti qui choisit les délégués qui assisteront au congrès de manière démocratique et transparente», M. Saâdani a indiqué à ce propos que «c’est le comité central qui procèdera à l’élection du SG du parti». De tous les secrétaires généraux qui se sont succédé à la tête du FLN depuis l’indépendance du pays, il faut reconnaître que Amar Saâdani se distingue par une caractéristique. Il tire à vue sur tout ce qui bouge sans discernement. Des tiraillements, des guéguerres qui plongent le parti dans une crise inextricable et qui perdurent dans le temps. Il est arrivé au vieux parti comme à ce voyageur distrait qui s’est engagé dans les vases du chott, plus il essaye de se dégager, plus il s’enlise. Au FLN, les crises s’empilent, s’accumulent et le parti n’arrive plus à avoir un cap. Un mouvement de redressement, puis un autre pour redresser les redresseurs, une division au sein des redresseurs et le spectacle continue avec le risque d’emporter tout le pays dans ce précipice.