C’est un autre scandale qui vient d’être révélé par des quotidiens canadiens et italiens, en prolongement du scandale de corruption touchant Sonatrach et l’italien Saipem. Cette fois-ci, il s’agit du canadien SNC-Lavalin qui avait obtenu des contrats dans des conditions douteuses avec Sonatrach grâce à l’intermédiaire Farid Bedjaoui, qui n’est autre que le neveu de l’ancien chef de la diplomatie algérienne, Mohamed Bedjaoui.
Le géant de l’ingénierie canadienne, SNC-Lavalin, a été cité dans une enquête conjointe du quotidien canadien The Globe and Mail et du journal italien Il Sole 24 Ore au sujet d’éventuels prolongements dans le scandale de corruption qui touche Sonatrach et l’italien Saipem, une filiale d’ENI. Les deux journaux citent le neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui, qui aurait intercédé en faveur de SNC-Lavalin qui a obtenu de Sonatrach des contrats d’une valeur d’un milliard de dollars. Selon des sources citées dans l’enquête, SNC-Lavalin et Saipem avaient recouru aux services de Farid Bedjaoui, qui réside occasionnellement à Montréal, après avoir suivi des études à HEC Montréal, pour arracher des contrats monnayant des pots-de-vin.
Le géant de l’ingénierie du pays de l’Érable a été secoué par des scandales depuis l’arrestation en Suisse de Riadh Benaïssa, ancien chef des opérations internationales de construction chez SNC-Lavalin. C’est l’instruction suisse de l’affaire Benaïssa qui a ouvert des pistes sur des agissements de SNC-Lavalin qui aurait versé des pots-de-vin à des entreprises contrôlées par Farid Bedjaoui.
Le groupe canadien a été secoué par des scandales liés à des soupçons de versement de l’ordre de 160 millions de dollars à un fils de l’ex-dictateur libyen, Mouammar Kadhafi.
La démission puis l’arrestation du numéro un du groupe, Pierre Duhaime, en mars de l’année dernière, avait défrayé la chronique médiatique au Québec. Des accusations de fraude et faux et usage de faux pèsent sur lui. Des cadres du groupe ont été cités par ailleurs dans les travaux de la commission d’enquête sur l’octroi et la gestion de contrats publics dans l’industrie de la construction, appelée communément commission Charbonneau.
Des têtes sont même tombées, à l’image des maires des villes de Montréal et Laval, qui ont démissionné récemment. Le Canada a réaffirmé sa volonté de lutter contre la corruption transnationale.
Le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, a, en effet, annoncé la décision du gouvernement de Stephen Harper de prendre de nouvelles mesures pour combattre la corruption, en modifiant la loi sur la corruption d’agents étrangers, selon un communiqué de l’ambassade du Canada à Alger répercuté par l’APS. Il faut préciser que SNC-Lavalin a arraché en Algérie des contrats dans d’autres secteurs, comme l’hydraulique et les travaux publics.
Réagissant à ces informations, l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) “appelle le gouvernement à sortir de son silence et à annoncer des mesures urgentes”.
“Est-ce le début des affaires Sonatrach 3, Sonelgaz 1 et d’autres entreprises algériennes ?” s’interroge l’AACC.
Le porte-parole de l’AACC, Djilali Hadjadj, avait déjà évoqué l’affaire SNC-Lavalin demandant l’ouverture d’une enquête en Algérie.
L’AACC rappelle que “l’implication de SNC-Lavalin dans des scandales de corruption dans la région du Maghreb — Libye (160 millions de pots-de-vin à un des fils Kadhafi) et Tunisie — a fait l’objet de révélations fracassantes en 2012, suite à des enquêtes menées principalement au début par des médias canadiens puis relayées par des enquêtes des autorités suisse et canadienne : l’ancien patron Afrique du Nord de la société canadienne étant détenu en Suisse depuis avril 2012 (le Tunisien Riadh Benaïssa, ex-vice-président-directeur des infrastructures, eau et construction), ainsi qu’un des avocats de la firme”.
Au niveau international, trois pays mènent déjà l’enquête sur les pratiques délictuelles de SNC-Lavalin en Algérie et coopèrent entre eux : la Suisse, l’Italie (indirectement par l’implication de Farid Bedjaoui) et le Canada.
L’AACC suggère aux autorités algériennes de “s’associer aux enquêtes menées dans les pays cités plus haut, et le gouvernement au plus haut niveau doit rapidement sortir de son silence et annoncer sa volonté politique de faciliter toutes les enquêtes sur SNC-Lavalin en Algérie”.
L’association suggère également au gouvernement algérien de diligenter au plan interne une très large enquête qui commencerait par l’audit de tous les marchés attribués ces dernières années à SNC-Lavalin.
L’AACC fait remarquer que “malgré le fait que l’Algérie savait que ces 10 dernières années, SNC-Lavalin avait été régulièrement éclaboussé un peu partout dans le monde par des affaires de corruption, le gouvernement avait continué d’attribuer d’importants marchés à cette firme pour un montant dépassant les 6 milliards de dollars !”
Il y a lieu de rappeler que, suite à la publication d’articles dans la presse italienne, relayés par la presse algérienne, sur l’affaire Sonatrach 2, le parquet a décidé d’élargir ses investigations et le ministre de l’Énergie a clairement fait savoir que le gouvernement était décidé à prendre toutes les mesures une fois l’enquête de la justice accomplie.
Il faudrait s’attendre, donc, à ce que le dossier SNC-Lavalin soit également pris en compte par la justice algérienne. Mais, d’ores et déjà, l’on ne peut que constater que ce n’est qu’un début dans une série de scandales à venir, sachant les énormes sommes attribuées durant la décennie écoulée aux grands projets, notamment dans les travaux publics et le secteur de l’hydraulique et où le nom de Farid Bedjaoui figurerait également.
Mais la propulsion du neveu de l’ancien ministre des Affaires étrangères au-devant de la scène risque d’être l’arbre qui cache la forêt. Quand bien même l’implication de ce dernier serait confirmée, en tant qu’intermédiaire, il n’en demeure pas moins que d’autres acteurs, d’autres commanditaires ont bénéficié de ces marchés douteux. Alors, des enquêtes en Algérie qui iraient jusqu’au bout et qui ne s’arrêteraient pas aux lampistes ? Attendons pour voir.
Yahia Arkat/Azzeddine Bensouiah