Le retrait de confiance à Christopher Ross cache mal le désarroi de Rabat,Le piège déjoué du roi

Le retrait de confiance à Christopher Ross cache mal le désarroi de Rabat,Le piège déjoué du roi

L’affaire Christopher Ross renseigne sur les calculs d’un roi qui tente ainsi de faire d’une pierre deux coups : pousser les Sahraouis à l’option militaire et ouvrir un front aux frontières ouest d’une Algérie déjà préoccupée par l’instabilité qui prévaut sur le flanc sud de son territoire. Retour sur le retrait de confiance marocain à l’émissaire de Ban Ki-moon et les pressions « royales » sur la nouvelle majorité française.

Faut-il assimiler le retrait de confiance du Maroc à l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental, Christopher Ross, à une tempête dans un verre d’eau ; la diplomatie marocaine nous ayant habitués à des coups d’éclat, sans lendemain ?

Car, ce retrait de confiance était quelque peu attendu dans la mesure où Christopher Ross, un diplomate chevronné, excellent connaisseur du dossier et d’une très grande intégrité n’est pas de ces diplomates qui risquaient de succomber aux charmes de la Mamounia, ni aux prébendes que Rabat distribue, généreusement, pour que l’on adhère à ses thèses.

Ainsi, en a-t-il été, selon les révélations du journaliste français Jean-Pierre Tuquoi d’un ambassadeur de France aux Nations unies, Jean Mérimée, qui reçut pour services rendus de Hassan II un terrain à bâtir et autres gratifications.

Pour revenir au retrait de confiance marocain, il était quelque peu prévisible. Dans la mesure où le Maroc avait commencé par se retirer de l’OUA en 1984, puis à geler, unilatéralement, sa participation aux institutions de l’UMA, dix ans plus tard, et à douter de la démarche de Baker qu’il avait soupçonné de favoriser les Sahraouis, alors qu’il avait soumis un plan de paix dûment approuvé par les Marocains et signé, solennellement, à Houston.

Baker avait fini par jeter l’éponge lorsqu’il avait compris que les Marocains le menaient en bateau. Ross est, lui aussi, l’objet d’une même démarche qui permet au Maroc de gagner du temps dans le vain espoir de venir à bout de la résistance des Sahraouis et de la mobilisation constante de la communauté internationale pour ce qui est du droit à l’autodétermination.

Il est vrai que jusqu’alors le Maroc bénéficiât de l’appui inconditionnel de la France, grâce à l’activité d’un puissant lobby et à des relations d’intérêt mercantile, tissées avec la Droite française et le ministre marocain des Affaires étrangères a exercé un lobbying indécent auprès du ministre sortant, Alain Juppé, qui n’a jamais caché son appui au Maroc, pour qu’il transmette apparemment une consigne au sujet du maintien de la position partiale de la France dans le dossier sahraoui.

Cette position est d’autant plus vitale pour Rabat, isolé diplomatiquement quoi qu’en dise sa propagande, que Paris, membre permanent du Conseil de sécurité, fait systématiquement de l’obstruction en faveur des thèses marocaines. Cette position va-t-elle changer avec l’élection de Français Hollande, l’un des rares politiques français à échapper au puissant lobbying marocain en France ?

Il faut rappeler que Rabat avait tout misé sur Dominique Strauss- Kahn, qui a passé son enfance à Agadir et qui se considère chez lui dans son luxueux Ryad de Marrakech, la palmeraie, où actuellement Nicolas Sarkozy continue à cuver sa défaite. Le Maroc avait, aussi, séduit Martine Aubry et Ségolène Royal, dont l’une des proches s’est trouvée rapidement propulsée auprès de François Hollande pour devenir ministre et porte-parole.

Avec l’arrivée annoncée de Ségolène Royal au Perchoir de l’Assemblée nationale française, en cas de majorité socialiste aux législatives, le Maroc fera tout pour effacer la prise de position éclatante de Jean-Marc Ayrault, l’actuel Premier ministre, alors chef du groupe socialiste et condamnant sans ambages, en 2011, l’occupation du Sahara occidental par le Maroc.

Au Sénat, le royaume alaouite peut se targuer d’une petite victoire puisqu’il a réussi a entraîner, il y a peu, un groupe de sénateurs français, dont la française, d’origine algérienne, Bariza Khiari, à El-Ayoun et dans les territoires sahraouis occupés.

Ainsi et pour ce qui est du coup d’éclat de Rabat, qui masque mal un désarroi de la diplomatie marocaine, car l’on voit mal Hollande continuer en la matière les prises de position de Sarkozy en faveur du Maroc, dictées par ses amis du CAC 40 et le puissant lobby sioniste qui veille aux intérêts du Maroc, Paris «a pris note de la déclaration du Maroc» et appelle à un «règlement rapide du différend, qui tienne compte des préoccupations légitimes de toutes les parties, et rappelle son soutien à la recherche d’une solution politique à la question du Sahara occidental, sous l’égide des Nations unies, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité».

Or, précisément, toutes les résolutions de L’ONU, sans exception, réaffirment le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, et il ne saurait être remplacé par la solution bancale de l’autonomie, qui ne vise qu’à avaliser l’occupation illégale d’un territoire sur lequel le Maroc n’a aucun droit.

En réalité, la démarche marocaine a deux objectifs : tester la continuité de la position française, en cherchant à tester la réactivité du nouveau gouvernement français, voire mettre devant le fait accompli Paris, avant le baptême du feu diplomatique de François Hollande et de son MAE, Laurent Fabius, au G8.

Les Marocains doivent également mesurer qu’ils perdent en Sarkozy un soutien inconditionnel à leurs thèses sur le Sahara occidental, surtout que cela intervient à peine quelques mois après la défaite de leurs amis socialistes espagnols. Enfin, ils ne peuvent pas beaucoup compter sur leurs soutiens américains car l’Amérique est en pleine campagne électorale et dans ces circonstances, les lobbyistes s’effacent au profit de l’Administration sur les questions de politique étrangère.

Le Département d’État est, par ailleurs, plutôt en phase avec Christopher Ross. Mais il est difficile d’envisager la poursuite des efforts de Ross dans ces conditions, car dans les traditions onusiennes, quand l’une des parties récuse un représentant de l’ONU, il est inconvenant de négocier son maintien, car il ne jouit plus de la confiance et, en conséquence, de la coopération du Maroc.

Selon Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et ambassadeur d’Algérie à Madrid, la «persistance du statu quo profite au Maroc qui veut pousser les Sahraouis à recourir à l’option militaire pour les rendre responsables de l’instabilité dans la région après avoir essayé de les impliquer dans le terrorisme.

Ces actions visent à fragiliser davantage l’Algérie en ouvrant un autre front militaire à ses frontières après la Libye et le Mali. C’est en grande partie pour cela que je pense que cette opération contre Ross n’est envisagée que comme un facteur déclenchant d’une autre stratégie inavouée».

D’après lui, «Le gouvernement marocain, dans sa configuration actuelle, ne gère pas le volet politique des relations algéro-marocaines, car celles-ci relèvent du domaine réservé du Palais. (…) «La coopération va plutôt s’intensifier, à mon sens, car de bonnes relations entre les deux pays favorisent la mise en place des mesures de confiance nécessaires entre deux pays voisins.

La question du Sahara occidental reste, avant tout, une question de décolonisation dans laquelle toute la communauté a une responsabilité, à commencer par l’ONU, car ce territoire est toujours sous son administration.»

Mokhtar Bendib