Invoquant la menace de l’ingérence occidentale, Alger en appelle à l’aide du peuple. Mais les Algériens n’ont aucune envie d’aider un régime qui a fait la preuve de son autisme.
À écouter les dirigeants algériens, on pourrait conclure que la messe est déjà dite pour l’Etat. Entouré de pays balayés par la tempête de ce qui est nommé « Printemps arabe » et qui sont toujours plus ou moins déstabilisés, le régime algérien craint tellement pour son avenir qu’il n’hésite plus à le montrer et à implorer le soutien du peuple. Il le fait en accusant les pays occidentaux d’être derrière les révoltes qui ont secoué toute l’Afrique du Nord.
Après la Syrie, serait-ce au tour de l’Algérie d’être happée par cet événement où des peuples risquent leur vie pour changer de régime politique, accéder à la démocratie, pendant que des impérialismes sans morale aucune cherchent à casser les Etats concernés ? L’Algérie finira-t-elle par être touchée à son tour entraînant ce que certaines voix nomment déjà « l’afghanistanisation de l’Afrique du Nord » ?
Le stress est palpable au sein des plus hautes autorités qui croient —naïvement— que la mascarade législative prévue pour le 10 mai prochain va lever la « menace américaine », car ces élections devraient renforcer le camp islamiste comme ce fut le cas dans les pays voisins.
La réflexion d’Alger semble faite : « Puisque l’expression « s’allier avec le diable » revêt en ce moment une définition particulièrement joyeuse pour les islamistes, accordons-leur ce qui devrait leur être accordé par les Américains sans que nous ayons à changer notre mode de gouvernance. »
Le spectre d’une nouvelle colonisation
Au bout de cette ruse, le chef de l’Etat M. Abdelaziz Bouteflika est allé jusqu’à comparer les législatives prochaines au « 1er novembre 1954 », date du déclenchement de la guerre d’Indépendance. Le sous-entendu est flagrant : il faut empêcher une recolonisation de l’Algérie.
Le message aurait peut-être été reçu par la population si, ne serait-ce qu’un jour, le pouvoir algérien s’était soucié de ce qui se passe en dehors des Palais. Pas plus tard qu’au début du mois de février, alors qu’une tempête de neige exceptionnelle sévissait sévèrement dans le nord du pays, isolant des villages entiers et provoquant plusieurs morts, aucun mot ne fut prononcé par aucun responsable pour rassurer les victimes ensevelies sous 2 à 3 mètres de poudreuse. Ce fut à la population de s’organiser elle-même pour venir en aide aux gens dans le besoin.
Autre faute du pouvoir : voici cinquante ans qu’il invoque « la main de l’étranger » au moindre mouvement social, accusant ainsi de trahison des citoyens qui ont eu le tort de réclamer leurs droits et de défendre leur dignité. Qui va le croire aujourd’hui ? C’est l’histoire du nageur qui crie à l’aide pour plaisanter et qui ne trouve personne pour le croire quand sa noyade était une réalité. Seul « intérêt » de la présente compagne de mobilisation des électeurs : les Algériens découvrent à quel point leurs dirigeants peuvent être prolixes quand il s’agit de défendre leurs intérêts, parce que, quand il s’agit de répondre aux désespérés qui s’immolent par le feu, c’est le black out total.
Le « problème algérien » est profond. Pour les autorités officielles et pour les médias du monde, l’Algérie va célébrer le cinquantenaire de son indépendance. À ce jour, les Algériens n’ont rien vu de cette indépendance. Ils ont par contre connu un demi-siècle d’humiliations, d’enlèvements, de tortures, d’assassinats, de corruption, de privation et de radicalisme politique. Ce peuple qui ne souhaite nullement une intervention étrangère n’a pas d’autre choix que celui de répondre à l’inquiétude des dirigeants par l’indifférence.
Il y a même un sentiment de revanche qui naît de cette situation historique puisque l’indifférence est, cette fois-ci, du côté de la majorité, c’est-à-dire du côté des faibles. De toute manière, ces législatives ne s’adressent pas aux Algériens pour qui l’Assemblée Nationale ne signifie rien de positif, encore moins la dizaine de partis légalisés en vue d’occuper quelques sièges pour un salaire mensuel d’environ 3.000 euros quand le SMIC est à 180 euros.
Les législatives s’adressent aux Occidentaux, dont les Etats-Unis qui auraient redoublé le rythme d’audition des membres de la société civile ces derniers jours. Après quelques courbettes et un silence gêné devant les remontrances d’Hillary Clinton, le ministre de l’Intérieur a dénoncé une ingérence étrangère. Mais loin de condamner l’ambassade américaine, il a condamné ses invités… Décidément, on ne se refait pas même en période d’angoisse.
Face à la misère du peuple, les députés s’enrichissent
Ce que cette crise démontre, c’est que le divorce entre le pouvoir et le peuple est définitivement consommé par ce dernier. Non sans raison.
Depuis le début de la révolte tunisienne, Alger s’alarme contre une ingérence étrangère. Chose que la guerre en Libye va confirmer. Mais depuis le même moment, les Algériens sont descendus dans la rue, ont manifesté pacifiquement, exprimant leur désir si légitime et si simple en apparence : vivre libre dans un Etat démocratique et développé. Réclamer tant soit peu d’ouverture politique est trop demander pour le régime algérien qui a répondu par la mise en place d’un impressionnant dispositif de répression, des centaines d’arrestations et, depuis récemment, des enlèvements, alors que la torture de pauvres innocents se poursuit.
Il a aussi brisé la vie de nombreux citoyens qui ont osé dire non à l’autoritarisme et à la corruption. Mellouk Benyoucef, Omar Boudieb et Yacine Zaïd sont quelques-uns des cas les plus célèbres en la matière. Enfin, il a tenté d’acheter quelques-uns de ces manifestants en leur offrant des augmentations salariales pour les amener à se taire, avant de déprécier subitement la monnaie nationale pour reprendre d’une main de la poche du peuple, ce qu’il a donné de l’autre à quelques fonctionnaires.
S’il est vrai que des puissances étrangères ont programmé la déstabilisation du pays, force est de constater que le régime algérien a perdu celui qui aurait pu être son seul allié : le peuple. Et ce ne sont pas quelques réformettes imposées qui vont changer l’esprit ambiant en Algérie. Des réformettes vidées de leur faible substance par des députés obnubilés par leurs intérêts et qui, sans vergogne, ont fait payer cher des années de servilité et de « lever de main ». Ils se sont attribués une prime de plus de 3 millions de dinars (30.000 euros) pour « services rendus ». Sans doute pas à la nation. Nous avons là toute la subtilité du pouvoir algérien et de ses rouages. Son autisme aussi. Coupé des réalités du monde, il a perdu jusqu’aux gestes les plus instinctifs de survie.
Une hantise : l’abstention massive lors des élections législatives
Quant à l’honneur du « 1er novembre », il a été complètement bafoué, particulièrement depuis que le ministre des Affaires Etrangères Mourad Medelci a demandé à être auditionné par les députés français. Après avoir caressé la nostalgie de l’Algérie française, le chef de la diplomatie algérienne s’est aussitôt rendu aux Etats-Unis pour avoir l’assentiment de la Maison Blanche pour les réformes susdites. Après les prochaines élections, il pourra sans doute faire la même déclaration que M. Abdelilah Benkirane, l’actuel chef du gouvernement marocain. Juste après l’annonce de sa victoire aux élections organisées le 25 novembre 2011, le chef de file de l’organisation islamiste marocaine Parti de la Justice et du Développement (PJD) affirmait à propos des réactions de l’Occident : « Nous n’avons pas besoin de le rassurer, il l’est déjà. »
Pas sûr que ce « déjà » —un adverbe en grammaire, un lapsus en politique— significatif suffise aux Algériens pour gagner la sympathie des dites « grandes démocraties », comme cela est apparemment le cas avec le Maroc.
La hantise du régime algérien aujourd’hui, c’est une abstention massive lors des prochaines élections. Lui faut-il craindre ce qui est déjà acquis ? La question peut se poser pendant que toutes les institutions ne roulent plus que pour le scrutin du 10 mai. Même les opérateurs téléphoniques participent à une « campagne de harcèlement » par « sms » pour rappeler aux citoyens leur devoir d’électeurs.
En Kabylie, de nombreux villageois ont brûlé publiquement leurs cartes de vote. Ailleurs, les caricatures et les innovations artistiques pour répondre aux sollicitations des dirigeants se multiplient. Dans ce pays où la pudeur est de rigueur, ces réponses se distinguent par leurs références aux vrais combattants pour la libération, ainsi que par un langage violent et crû comme l’illustre cette chanson en français. Un avertissement ?
Ali Chibani