Le projet d’un quatrième mandat devient « sérieux » chez Abdelaziz Bouteflika

Le projet d’un quatrième mandat devient « sérieux » chez Abdelaziz Bouteflika

Abdelaziz Bouteflika est devenu cette semaine le président qui a le plus longtemps dirigé l’Algérie. Condamné symboliquement par le printemps arabe à renoncer à la présidence à vie, le chef d’Etat algérien a laissé entendre qu’il partirait en 2014. Erreur. La tentation d’un 4e mandat est revenue depuis l’été dernier. Comment ? Pourquoi ? Qu’en pensent les militaires ?

Abdelaziz Bouteflika, pense de plus en plus sérieusement à se succéder à lui-même en avril 2014. Des « ballons de sondes » au sujet de la « faisabilité » d’un quatrième mandat se sont multipliés depuis juillet dernier. La cérémonie du 1er novembre dernier a permis à de nombreux observateurs, de noter une vraie inflexion dans le discours de l’entourage présidentiel. Pour un de ses convives au palais du peuple, « Bouteflika a repris du poil de la bête. Il y a un an il tentait de négocier avantageusement sa succession.

Depuis quelques mois, il distille l’idée que faute de bon accord sur le nom de son successeur ce serait encore lui. Mais je doute vraiment qu’il ait pensé un jour que ce ne serait pas lui ». La question du 4ème mandat s’est diffusée très vite depuis la rentrée sociale, l’épisode de son vrai faux décès, et le changement de premier ministre. Un chef de parti politique réputé soutenir le président Bouteflika n’exclut plus de le retrouver sur la ligne de départ des présidentielles d’avril 2014 : « Il dit que seul Dieu en décidant de son état de santé décidera de son sort de président ». Des chefs d’entreprises, comptés parmi les loyalistes, ont eu à dire leur point de vue sur l’éventualité d’un quatrième mandat, question abordée négligemment, le plus souvent par des proches de Saïd Bouteflika, le frère conseiller du président, homme fort de son cabinet.

Le président algérien avait laissé une première fois transparaître sa « délibération interne » en juillet dernier. Il était alors plus qu’évasif sur son avenir politique au détour de son entrevue avec le ministre français des affaires étrangères Laurent Fabius. Selon une source diplomatique, « Bouteflika a préféré insister sur la liberté des peuples arabes de choisir leurs dirigeants sans ingérence étrangère, mais a parlé aussi des « inquiétudes » que lui procurait la nouvelle génération de « candidats au pouvoir » dans le monde arabe ».

Comprendre, après moi le risque du grand vide. Le message n’était pas celui de mai 2012 lorsqu’à Sétif, le président, en campagne pour faire voter les algériens aux législatives, décrétait « bonne pour la retraite » la génération de la libération du pays, à laquelle il appartient.

« Bouteflika se donne la fin du printemps 2013 pour prendre sa décision finale. S’il n’est pas plus fatigué qu’aujourd’hui alors il briguera un quatrième mandat » pronostiquait le jour de l’Aïd Al Adha un ancien chef du gouvernement. « Le vote sur la nouvelle constitution est repoussé volontairement. Le calcul est qu’il doit servir à plébisciter encore Bouteflika ».

L’impossibilité de choisir son successeur

Deux évolutions ont, depuis le coup de tonnerre arabe de janvier 2011, amené le président Bouteflika à songer à lui-même pour l’après Bouteflika. Le premier est le reflux significatif du risque insurrectionnel en Algérie après les émeutes du 04 janvier 2011. Une LFC (loi de finances complémentaire) pour 2011 et une Loi de finances pour 2012, historiquement les plus dépensières de l’histoire du pays, ont mis un épais manteau de neige carbonique sur les braises.

L’urgence passée, Bouteflika s’appuie sur les difficultés des transitions en Tunisie, en Libye et en Egypte, pour soutenir, de plus en plus audacieusement, avec ses interlocuteurs étrangers, le scénario d’une « continuité tranquille », si telle est « la volonté du peuple ». L’autre situation qui laisse Bouteflika, en dépit de son allusion de Sétif, ne pas renoncer à rempiler, est son impossibilité à désigner son successeur. « Ce n’est pas la tradition politique en Algérie, et Bouteflika ne pourra pas la changer » rappelle l’ancien chef du gouvernement.

Le président n’a pas réussi à obtenir la garantie que l’armée, faiseuse de chef d’Etat en Algérie, ne soutiendrait pas une candidature qu’il redoute hostile aux intérêts de son clan, devenus très appréciables depuis treize années. Deux hommes l’horripilent en particulier, Ali Benflis, son ancien premier ministre challenger en 2004, et Ahmed Ouyahia son « allié » de circonstance des dernières années.

Or l’un et l’autre sont, clairement pour le second, plus discrètement pour le premier, en configuration de vouloir succéder au président au printemps 2014. Un troisième homme aurait pu éviter au président de redescendre dans l’arène en 2014. « Bouteflika en veut à son ami Belkhadem de ne pas avoir réussi à s’imposer sans histoires au FLN. Il se serait alors chargé de le monnayer avec les militaires comme un candidat fiable pour la présidence. C’est définitivement raté », estime un cadre du FLN proche de Ali Benflis.

Le DRS incommodé et attentiste

Si le président ne peut pas désigner son successeur et qu’il se sent « insécurisé » par les candidatures probables de Ali Benflis et de Ahmed Ouyahia, il ne lui reste plus qu’à faire barrage par sa propre candidature. D’autant plus aisément que c’est son choix préférentiel.

Le DRS, bras politique de l’armée, l’a soutenu pour son second mandat et le subit pour le troisième. Le projet d’un quatrième mandat de Abdelaziz Bouteflika est mal perçu par une large majorité d’officiers du DRS conscients que ce serait une erreur « de sécurité intérieure » d’affronter les prochaines années avec un président « vieux, malade et immobile ».

Le patron des services, le général Toufik Mediene, dans son style habituel, n’est jamais le premier à donner une orientation sur le choix de l’institution militaire. Ce qui laisse dire autour de Saïd Bouteflika, l’homme qui porte en sous-main le projet du 4e mandat, que le général Toufik s’accommodera d’un nouveau mandat, le moment venu. En 2004, les patrons des services, les généraux Toufik et Smaïn Lamari, avaient pris le risque gagnant de désavouer le chef de l’ANP, le général Mohamed Lamari, hostile à un second mandat du président Bouteflika.

Cela a provoqué une fêlure politique dans l’ANP, incarnée jusqu’à aujourd’hui par la présence du vétéran et très politiquement effacé général Gaïd Salah à sa tête. Cet épisode traumatique pour les militaires a surtout donné un ascendant au président Bouteflika face aux services, avantage que ni son grave accident de santé de novembre 2005, ni l’éclatement des affaires de corruption dans son premier cercle, n’ont tout à fait résorbé. Selon un haut officier à la retraite, « le patron du DRS n’aime pas du tout l’idée d’un quatrième mandat ».

« Je connais bien Toufik. Il prendra le temps nécessaire pour peser ce que va coûter à l’Algérie, mais surtout à lui-même et à ses proches le fait de s’opposer au projet du président. Tout le monde dans la maison espère qu’un incident de parcours, ramènera Bouteflika au bon sens. Le DRS a regagné du terrain ces dernières années, mais pas au point d’assumer seul le sort politique du pouvoir », confie cet officier.

Vers une année 2013 féroce en « coups tordus »

L’aspiration du président Bouteflika à un 4e mandat, si elle se révèle au grand jour début 2013, promet une année dévastatrice sur le front des « affaires ». Pire qu’en 1998, lorsqu’une série de « révélations » de presse avaient laminé le clan Zeroual-Betchine et débouché sur la démission du premier.

La guerre d’ombres a sans doute d’ailleurs débuté à travers le retour en première ligne du scandale de l’autoroute est-ouest la semaine dernière avec l’annonce de l’implication – selon le quotidien Algérie News- du ministre Amar Ghoul dans les pots de vins distribués par l’un des maitres d’œuvre chinois du méga-chantier. « C’est clairement un message adressé au clan présidentiel sur le fait que des noms du premier cercle déjà cités peuvent revenir dans le dossier judiciaire de cette affaire », estime l’officier supérieur à la retraite. Le DRS ne se prononce pas ouvertement contre le projet électoral de Bouteflika mais rappelle, en creux, que rien ne peut être engagé sans lui.

En retour, le président Bouteflika n’a pas cessé d’utiliser, à son avantage, son statut de « protecteur » à l’international des militaires engagés dans une confrontation violente avec les islamistes dans les années 90. Cela concerne aussi bien les officiers à la retraite, à l’instar de l’ancien ministre de la défense, le général Khaled Nezzar, poursuivi en Suisse à la suite d’une plainte de deux Algériens soutenus par l’association Trial, ou des militaires qui encore actifs dans les différents organigrammes des services de sécurité algériens.

Un rôle qu’il lui arrive de négliger pour les besoins du moment. Le dossier des disparitions forcées des années de la guerre civile reviendra également au devant de la scène en 2013 suite aux pressions de la commission des droits de l’homme des Nations Unis, et à des concessions présidentielles. Il fera aussi partie de la guerre des affaires qui se préfigure depuis quelques semaines.

Finalement, il n’y a pas que Abdelaziz Bouteflika qui se sent insécurisé par l’après avril 2014. C’est en cela qu’un nouveau compromis de la « sécurité » Présidence-institution militaire n’est pas du tout à exclure au bout de plusieurs mois de bras de force. « Les années 90 continuent de paralyser l’avenir politique de l’Algérie » conclut l’ancien premier ministre.