Le projet de loi sur l’audiovisuel algérien comme une machine anti-investisseurs

Le projet de loi sur l’audiovisuel algérien comme une machine anti-investisseurs

L’ouverture de l’audiovisuel est en retard de deux décades en Algérie. Le projet de loi censé la permettre va sans doute en ajouter une autre sous le poids des verrous innombrables d’un autre âge.

Le projet de loi relative à l’activité audiovisuelle annonce d’entrée la couleur. Dès l’article 03 «l’activité audiovisuelle» est balisée au profit des organismes publics : service public actuel, celui qui pourrait être créé par les institutions publiques (exemple chaine parlementaire), les services de communication audiovisuelle créés par des organismes et entreprises publics (exemple Sonatrach) peuvent exercer l’activité. Une quatrième catégorie arrive ensuite, les services de communication audiovisuelle « autorisés ». En clair, comme en crypté, le public diffuse « librement » et le privé est soumis à autorisation. Ce n’est bien sûr pas la meilleure manière de parler aux investisseurs. Mais le texte souhaite-t-il seulement de l’investissement dans la filière du son et de l’image ? L’article 43 exclu formellement les grands capitalistes : « Un même actionnaire ne peut détenir directement ou par personnes interposées plus de 30% du capital social ou des droits de vote (….) d’un service de communication audiovisuelle ». Une source proche du ministère parle de « prévention d’abus de position dominante ». Les pouvoirs publics « ont voulu éviter un phénomène de concentration des actifs dans le champ audiovisuel comme cela s’est produit en Italie ou dans la Russie de Boris Elstine ». Le fait est qu’une autre disposition du projet de loi rend l’investissement privé tout à fait improbable dans le nouveau secteur que le projet de loi est supposé vouloir lancer. L’article 17 du texte prévoit que pour être «éligibles à la création de services de communication audiovisuelle thématiques tels que prévus (…) les candidats doivent répondre» à quatre conditions… La quatrième est libellée ainsi : « justifier de la présence majoritaire de professionnels parmi les actionnaires». Un soutien à la libre création des porteurs professionnels de projets ? Pour Tahar Nouiri consultant média en Aquitaine (France), «en réalité, la majorité obligatoire aux professionnels s’est avérée, dans les autres expériences de transition ailleurs dans le monde, être un obstacle légal qui gêne les bons montages financiers. Cela peut empêcher souvent les équipes de professionnels de trouver des partenaires solvables capables de soutenir l’effort d’un investissement dans cette filière. Le projet de loi est d’inspiration très ancienne. Il fait penser qu’une télévision ou une radio d’aujourd’hui peuvent être lancés par une coopérative de retraités du secteur public et soutenir le choc de la rentabilité ».

« Je ne vois pas qui voudra investir sous cette loi »

Or c’est sur ce front de la rentabilité que le texte du gouvernement finit d’ériger sa digue face aux projets capitalisés d’investissement. La création de chaines tv et de radios n’est pas libre. Elle est doublement contrainte. D’abord par le choix des contenus, seules les chaines thématiques sont «autorisées ». Ensuite par le choix des acteurs, seuls les candidats retenus au terme d’un appel d’offres sont autorisés à diffuser. La prise de risque industriel est considérablement amplifiée. Le porteur du projet ne peut soumissionner que sous le cahier des charges de l’autorité de régulation du secteur (ARAV dans le texte). Il se positionne en fonction des besoins de l’autorité : chaine sportive, ou chaine culturelle ou encore chaine éducative pour enfants. Il doit créer son entreprise, réunir ses équipes, se mettre en conformité avec les cahiers des charge, construire son offre et attendre d’être retenu pour savoir s’il bénéficie d’une autorisation, synonyme d’une fréquence d’émission accordée durant 10 années pour les télés et 5 années pour les radios. « C’est tout simplement irréaliste. Si le projet de loi est voté en l’état et si la future autorité de régulation applique à la lettre ses dispositions, je ne vois pas très bien qui voudra investir dans un créneau rendu aussi étroit et aussi aventureux économiquement. Cela ne sera pas rentable dans le segment du thématique avec en plus cette exigence de maintenir un contenu à 60% algérien » pronostique Tahar Nouiri. Pour la source proche du ministère de la communication : « on oublie trop vite que pour des pays comparables au notre, comme le Maroc, la dérégulation dans le secteur de l’audiovisuel est passée par des appels d’offres pour des fréquences à attribuer ». Ce à quoi répond le consultant franco-algérien « l’exemple marocain est justement l’illustration parfaite de la désaffection des investisseurs pour des fausses «ouvertures» de la filière de l’audiovisuel ». L’article 100 du projet de loi prévoit jusqu’à dix millions de dinars d’amende avec confiscation des matériels et installations utilisés en cas d’exploitation «d’un service de communication audiovisuelle sans autorisation ». L’autorisation est nécessaire selon l’article 19 pour la diffusion par câble, à l’usage des fréquences radioélectriques par voie hertzienne et par satellite, en clair et en crypté ».