Le professeur Émérite, Chems Eddine Chitour, à l’Expression: « On doit faire la révolution du tout-électrique »

Le professeur Émérite, Chems Eddine Chitour, à l’Expression:  « On doit faire la révolution du tout-électrique »

Le professeur Chitour n’est plus à présenter. Cela fait depuis plus de 20 ans qu’il se bat pour que l’Algérie réussisse sa transition énergétique, en organisant notamment de traditionnelles Journées de l’énergie qui reviennent cette année avec une nouvelle dénomination pour s’appeler les Journées du développement humain et durable. Son rêve de doter l’Algérie d’un modèle énergétique sera présenté lors de cet événement par les élèves ingénieurs de l’Ecole polytechnique d’Alger. C’est un modèle à 50% renouvelable, qui doit se mettre en place graduellement jusqu’ à l’horizon 2030, qu’il nous fait découvrir dans cette interview. Appréciez- plutôt…

L’Expression: Bonjour professeur Vingt années après leur création, les traditionnelles Journées de l’énergie changent de nom pour s’appeler les Journées du développement humain et durable. Expliquez-nous les raisons de cette modification?

Chems Eddine Chitour: Nous nous sommes adaptés aux défis qui attendent le pays en tentant de traduire dans les faits qu’est-ce que le développement durable. Chaque année les élèves ingénieurs de l’Ecole nationale polytechnique célèbrent la Journée du savoir, «Youm el ilm» en animant des conférences-débats. Ce n’est que le nom qui a changé pour s’adapter aux défis futurs, les ambitions et l’envie restent les mêmes. Les pouvoirs publics envisagent la construction de centrales solaires et fermes éoliennes pour environ 22.000 MW d’ici 2030. Un programme très ambitieux qui doit s’inscrire dans une stratégie que l’on ne voit pas forcément pour le moment. Ce programme de développement des énergies renouvelables n’aurait pas dû être uniquement l’affaire du gouvernement. Il aurait dû impliquer la société civile, les universitaires et les opérateurs économiques.

Nous proposons de complémenter ce programme en y intégrant un modèle énergétique qui trace la consommation d’énergie d’ici 2030. Nos élèves feront également des propositions sur le comment engager ce développement humain durable avec des gestes simples que tout le monde peut faire et qui peuvent à long terme sauver le pays et les générations futures.

Des experts nationaux, à l’instar de Mourad Preure, viendront apporter leur touche chacun dans son domaine. On a pour ambition de faire un plaidoyer pour une transition énergétique multidimensionnelle qui ne peut réussir que si la société entière adhère à cette nouvelle vision du développement durable.

Comment peut-on concrètement y arriver?

C’est ce que vont expliquer les élèves ingénieurs de l’Ecole nationale polytechnique qui interviendront lors de ces Journées du développement humain et durable. Ils travaillent sur un modèle à 50% renouvelable à 2030. Ce modèle se base sur plusieurs segments. D’abord, la mise en oeuvre réelle des énergies renouvelables. Ensuite, le plus grand gisement qui est celui des économies d’énergie qu’il faut mettre en oeuvre. Le gaspillage est devenu un sport national, nous devons revenir à la réalité des prix. Surtout que les prix actuels favorisent également les «hémorragies» aux frontières, dues au prix différentiel entre les pays voisins et l’Algérie. Au Maroc par exemple le gasoil est sept fois plus cher qu’ici, l’essence aussi. En France, l’essence est à 1,6 euro, c’est l’équivalent de 200 DA au prix officiel. Enfin, ce qui est surtout le plus important est de substituer à chaque fois que c’est possible le gaz naturel, l’essence et le diesel par l’électricité renouvelable, qui est celle qui est produite à partir de l’énergie solaire et non le gaz comme cela se fait actuellement. Concrètement, on doit essentiellement passer vers une mobilité électrique. Actuellement, il y a une révolution qui se fait dans le monde «le tout-électrique», l’Algérie ne doit pas rater cette révolution. Dans les transports, il faut que 25% de notre parc de voitures devienne électrique. En 2030, on prévoit 80 millions de voitures faites qui seront électriques.

Justement, vous parlez de la révolution du «tout-électrique». Pensez-vous vraiment qu’on puisse y arriver?

Oui, mais il faut que la situation actuelle change. Nous devons avoir une nouvelle vision du futur qui passe d’abord, par l’éducation et la citoyenneté. Nous devons former à partir de l’école des écocitoyens. Nous ambitionnons de faire le montage de voitures consommant de l’essence ou pire du diesel. Pourquoi ne pas aller vers le montage de véhicules électriques? Imaginez que 25% de notre parc en 2030 (nous aurons près de 11 millions de voitures) seront électriques cela veut dire qu’on diminuera la consommation d’essence qui sera soit vendue ou laissée pour les générations futures. En tout état de cause, le carburant sera de plus en plus renouvelable c’est-à-dire qu’il proviendra des panneaux photovoltaïques, du vent, de la biomasse ou de l’énergie hydraulique. Avec cela, on fera des économies d’énergie et d’argent. A titre d’exemple, un plein d’une voiture électrique ne nous coûtera que 10 dinars.

Par où doit-on commencer?

On pourrait par exemple installer des bornes électriques là où c’est possible. On doit aussi encourager les citoyens à rouler propre en surtaxant les véhicules roulant à l’essence et au diesel, tout en exonérant de taxes les véhicules électriques. Surtout que le gasoil est également un gros problème de santé publique. Il tend à être supprimé en Europe et les compagnies automobiles pensent à le supprimer. A titre d’exemple Volkswagen ne produira pas de véhicules Diesel d’ici 2025 au plus tard, par contre elle se lance dans le segment de voitures électriques. On doit aussi développer plus les transports électriques tels que le métro, le train et le tramway. L’argent tiré des taxes et les économies faites sur les carburants classiques, dont les importations se situent autour de 3 milliards de dollars, serviront à développer les transports publics.

Revenons aux énergies renouvelables. On vous voit sceptique quant à la stratégie actuelle du gouvernement?

Notre pétrole est une richesse. Nous devons le préserver pour les générations futures. Comme je l’ai déjà dit cela passe par une stratégie claire, notamment en ce qui concerne le programme des énergies renouvelables. Je ne suis pas sceptique, je sais qu’on a les moyens de réaliser de grandes choses en matière d’énergie renouvelable, pourvu que l’on ne se perde pas en chemin. On a un immense gisement solaire, en tenant compte du rendement de conversion, un seul km² de Sahara pourrait produire 250 GWh d’électricité par an. Ainsi, il suffirait de couvrir un carré de 300 km de côté pour répondre aux besoins actuels d’énergie électrique dans le monde entier (20.000 TWh). On peut aussi développer l’énergie éolienne. Elle dispose de 250 sources d’énergie géothermique avec un gradient de 40 à 90°C. Elle a aussi la possibilité de développer la petite hydraulique, en outre nous avons une nappe phréatique au Sahara de l’ordre de 45.000 milliards de m3 qui est en fait la vraie richesse, de loin plus importante que les hydrocarbures. Mais il est important de s’allier avec les pays qui ont déjà fait leurs preuves dans le domaine des énergies renouvelables afin de réaliser les objectifs fixés en matière de transition énergétique. La Chine et l’Allemagne sont les deux pays avec lesquels il faudrait impérativement travailler dans ce domaine. La Chine est première dans le photovoltaïque et l’Allemagne occupe la deuxième position dans cette branche.