Le Professeur Chems-Eddine Chitour et le Docteur Mourad Preure, hier, au forum de “Liberté” “Vivement la crise !”

Le Professeur Chems-Eddine Chitour et le Docteur Mourad Preure, hier, au forum de “Liberté”  “Vivement la crise !”
le-professeur-chems-eddine-chitour-et-le-docteur-mourad-preure-hier-au-forum-de-liberte-vivement-la-crise.jpg

La question de fond est qu’au-delà des aspects techniques et géopolitiques incontournables, pourquoi les dirigeants du pays n’ont pas à proprement parler aujourd’hui de stratégie ? La raison est pourtant toute simple…

“L’Algérie face à la chute des cours du pétrole, faut-il s’en inquiéter ?” Pour répondre à cette lancinante question que se posent nombre d’Algériens, le Forum de Liberté a reçu, hier, “deux grosses pointures”, à savoir le professeur à l’École polytechnique Chems-Eddine Chitour, et le Dr Mourad Preure, expert pétrolier international. Abordant le sujet en premier, le Dr Preure s’est voulu didactique à souhait en posant d’abord le cadre de cette chute des prix du pétrole. D’après lui, cette contextualisation est nécessaire pour tenter de savoir “comment l’avenir peut évoluer”. Cette perspective d’analyse prend tout son sens dès lors qu’il s’agit de rappeler notamment certains événements qui ont marqué la fin du siècle passé comme la chute du mur de Berlin ou encore l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la communication. “Aujourd’hui, il n’y a plus de frontières. L’économie est globale. Il n’y a qu’un seul marché financier !”. Et c’est précisément, les marchés financiers, aujourd’hui interconnectés H24, qui diffusent leur instabilité au marché pétrolier, dont l’évolution est de plus en plus erratique. L’expert pétrolier relève, ainsi, “un raccourcissement du cycle des crises” qui, d’après lui, signifie, “une crise systémique”. Adepte de la thèse du “Peak-oil”, le Dr Preure n’en considère pas moins que “les mutations structurelles” de l’industrie pétrolière sont également accompagnées par “des jeux d’acteurs” qu’il convient aujourd’hui de définir. Sur ce registre, il estime que “l’Arabie saoudite et les USA ont une position symétrique : ils forment un couple”.

Quant à l’évolution de la production pétrolière mondiale, celle-ci devrait, selon lui, stagner puisque la demande est plutôt modérée par rapport “au rythme historique” des dernières années.“L’augmentation des réserves mondiales vient du transfert de réserves connues depuis

50 ans en ‘réserves prouvées’. Les coûts techniques de production devraient augmenter, quant à eux, de 20 à 25% d’ici à 2020”, avance le Dr Preure, compte tenu notamment du déclin des principaux gisements. “Depuis qu’ils ont touché le Peak-oil dans les années 1970, la production des Américains ne fait qu’augmenter. Elle a tellement augmenté que l’on se retrouve aujourd’hui dans une bulle spéculative notamment pour le gaz et l’huile de schiste, une ressource, qui n’est pas pérenne.” Partant du vieil adage qui dit : “Celui qui détient l’information, détient le pouvoir”, Mourad Preure, qui est, par ailleurs, un spécialiste en intelligence économique, prévient alors son auditoire sur la fiabilité de certaines informations qui circulent, çà et là. “Attention, c’est une industrie où il y a beaucoup d’intox !” Un avertissement qui sera saisi au vol par le Pr Chems-Eddine Chitour qui, fidèle à sa réputation, ne manquera pas, lui, de dénoncer, une fois encore, “un monde miné par de profondes inégalités”. Et de passer en revue les différents “déséquilibres” qui caractérisent les relations Nord-Sud. En effet, il n’y a pas que l’énergie, il y a l’eau, les matières premières minérales, l’environnement, les changements climatiques, les conflits identitaires religieux, etc. Mais ce qui révolte par-dessus tout notre éminent professeur, c’est que les Occidentaux se sont donné “un magistère moral” après la chute du mur de Berlin. Si l’orateur ne s’attarde pas, outre mesure, sur le rôle présupposé des néo-colonisés, qui ont prêté le flanc ces dernières années, les aspects géopolitiques prennent beaucoup d’importance à ses yeux dans cette affaire qui est, selon lui, “la conséquence d’un nouvel ordre” toujours aussi injuste, du reste. Un vrai désordre. “Aussi, se tenir le ventre, à chaque baisse du prix du pétrole, cela n’est pas amusant à la fin !”, tempête le professeur Chitour. “Une loi de finances indexée sur un prix décidé ailleurs et sur lequel nous n’avons aucune prise, cela n’est pas normal.” D’après lui, il n’y a aucun doute que les pays du Sud vont trinquer, une fois de plus. Et avec “la double-peine”, cette fois ! Et de relever que les puits de pétrole sont restés miraculeusement bien gardés en Irak et en Libye où c’est pourtant “le chaos total”.

LG Algérie

Pour parler vrai…

Rejoignant dans son propos, Mourad Preure, M. Chitour estime, à son tour, que “l’avenir est aux énergies renouvelables”, que “le pétrole est sur le déclin” et qu’il y a effectivement “une bulle qui finira par exploser !”. Emboîtant le pas, ainsi, à de nombreux experts qui se sont relayés à la même tribune, depuis un an, ces scientifiques ont démontré, pour leur part, qu’ils n’étaient pas, eux aussi, dans une logique de plébiscite. “L’Algérie n’est pas invulnérable, s’ils veulent la couper, eh bien, ils le feront ! Il n’y a donc plus de place aujourd’hui aux slogans, nous devons développer des défenses immunitaires, ici et maintenant ! C’est ce que je dis, tous les jours, à mes élèves…” Pour le professeur, il n’y a aucun doute : “L’Occident est responsable de la débâcle mondiale.” S’agissant de l’hyperpuissance américaine en particulier, M. Chitour estime que celle-ci est en mesure d’éradiquer la faim dans le monde. Et si elle ne le fait pas, c’est qu’elle entend bien continuer imposer son “apartheid”. Il convient de signaler qu’au début de son laïus, le professeur Chitour a tenu à se féliciter de son passage au Forum de Liberté, qui est, selon lui, “un espace qui contribue, par le débat, à la sérénité dans ce pays”.

Les mots ont un sens. A l’entendre, les risques du dérapage sont bel et bien du côté de ceux qui se refusent obstinément au débat concernant notamment l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Mais qu’attendent précisément nos responsables pour donner un grand coup de pied dans la fourmilière ? Pour M. Preure, “il y a des paradigmes à changer et l’un d’entre eux est de prendre la posture du chasseur à la place de celle du gibier”. S’il regrette à son tour le manque de volontarisme et d’imagination, il dit aussi ne pas comprendre qu’au pays de Jugurtha, à la résistance plusieurs fois millénaire, on soit devenus autant couards et défaitistes. “Un pays normal doit pouvoir au moins se nourrir !” a-t-il fini par lâcher, exaspéré.

En tout cas, pour les deux orateurs, la manne énergétique n’est sûrement pas une “malédiction” en soi car “tout dépend de ce qu’on en fait”. Ils regrettent tous les deux, à mots couverts, qu’au lieu de tirer profit de la contrainte qui s’impose à nous aujourd’hui, la gestion courante des affaires du pays continue à être déterminée, quasiment, au jour le jour. En d’autres termes, selon eux, il n’y a ni vision ni prévision.

Nous ne sommes plus ainsi dans un débat, tout à fait, “académique”. Loin s’en faut, même ! Il a fallu l’intervention de la politologue Louisa Dris-Aït Hamadouche pour revenir enfin aux “fondamentaux” algériens et remettre, quelque peu, à sa place “cette question éminemment politique”, très terre-à-terre pourrait-on même ajouter. La question de fond est qu’au-delà des aspects techniques et géopolitiques certains, pourquoi les dirigeants du pays n’ont pas à proprement parler aujourd’hui de stratégie ? La raison est pourtant toute simple : si nos décideurs décident de moins en moins, c’est parce qu’ils sont convaincus que moins ils en font et plus longtemps ils restent au pouvoir. “Nous ne sommes pas déterminés, nous n’avons pas assez de cran pour aller au bout de nos idées. Nous sommes aujourd’hui incapables de prendre de risques. C’est pourquoi nous sommes véritablement menacés…”, déplore le professeur Chitour qui, sur ce chapitre, a omis de préciser que notre pays est en passe aujourd’hui d’assumer un rôle de “supplétif”.

D’ailleurs, aucun des intervenants d’hier ne nous contredira à ce sujet : la médecine française a beau faire, peut-être, des miracles, mais elle ne fait sûrement pas la démocratie. Ni même le développement qui restera toujours à la charge des Algériens !

M.-C. L.