Le procès des anciens cadres de la Cnan s’est achevé hier vers 16h50, après 3 jours de débats. L’affaire est mise en délibéré. Le verdict est attendu pour aujourd’hui.
Le président du tribunal criminel près la cour d’Alger, le magistrat Boubetra, a décidé hier, en fin de journée, la levée de l’audience relative au procès en appel de l’affaire Cnan. La réunion des membres du tribunal va durer “des heures”, en raison de la complexité du dossier, nous dit-on. Et pour cause, ils auront à répondre à environ 200 questions, avant de donner le verdict final, dont l’annonce est attendue pour ce matin, vers 9h. La plaidoirie magistrale était celle de Me Mokrane Aït Larbi, avocat de l’ex-P-DG de la Cnan, qui a appelé à situer les responsabilités dans cette affaire
“Si le parquet reconnaît que les cadres sont des personnes intègres et de bons pères de famille et qu’il demande la perpétuité alors que reste-t-il à demander pour les narcotrafiquants et les corrompus ?”, s’est-il interrogé. L’avocat est revenu sur la plaidoirie des avocats de la partie civile qui ont comparé le navire “Béchar” à… Serkadji. “Alors, que dire des détenus qui ont pourtant des droits ? C’est d’autant plus grave que Serkadji est une prison toujours opérationnelle”, fait-il remarquer. Revenant sur les accusations, il affirmera que les cadres de la Cnan sont des boucs émissaires. “On a trouvé le maillon faible et le problème est réglé et le dossier clos”.
Me Aït Larbi et le message
“La vraie question qui doit se poser aujourd’hui est pourquoi 16 marins ont péri ?”, dit-il avant de répondre : “Ils sont morts à cause du retard du sauvetage.” Puis une autre question : “Est-ce qu’on aurait pu les sauver ?”, puis encore la réponse : “on a essayé avec les remorqueurs qui se sont avérés inutiles, d’ailleurs le défunt commandant Bidi lui-même avait demandé des hélicoptères, alors pourquoi cela n’a pas été fait ? Pourquoi a-t-on attendu jusqu’à ce que le navire sombre pour demander de l’aide à l’Espagne ? Et qui a refusé de faire sortir les hélicoptères ?” Cette affaire, selon l’avocat, ressemble à celle de Sider où le DG a été jugé parce qu’il avait acheté une ambulance médicalisée. Me Aït Larbi est revenu une seconde fois sur la plaidoirie de la défense de la partie civile qui avait évoqué la non-démission du P-DG de son poste suite à la mise en demeure du port d’Alger. “Aucun responsable en Algérie n’a démissionné, il y a eu l’affaire de l’évasion de 1000 détenus, dont plusieurs impliqués dans des affaires de terrorisme, de la prison de Tazoult. Ni le ministre de la justice ni celui de l’intérieur n’ont démissionné, des gouvernements tombent, lors d’incidents pareils, même dans les pays du tiers-monde”.
“Le ministre de la sécurité égyptien a été limogé suite à l’attentat de Louxor”, rappelle-t-il à titre d’exemple. À la fin de sa plaidoirie, l’avocat a tenu à rapporter le dernier vœu (non exaucé) de Nana Kekouche ( Torkia), la mère de Koudil qui souffrait du diabète et à qui on a fait croire, au début, que son fils était à l’étranger. Deux jours avant sa mort, elle a dit à sa famille “nekkini zrigh admtegh bla ma zrigh emmi Ali” ( je vais mourir sans revoir mon cher fils Ali), et effectivement elle est décédée sans le voir après avoir été amputée d’une jambe, et sans qu’il puisse assister à son enterrement. Ali Koudil, entendant ces paroles, éclata en sanglots, de même que beaucoup d’autres personnes présentes dans la salle d’audience. Le juge, visiblement ému, a tenu à féliciter l’avocat “pour sa riche plaidoirie” et souhaité qu’il soit un exemple pour ses collègues.
Me Allouche Zoubir a rappelé que le chef du gouvernement, à l’époque Ahmed Ouyahia, s’était déplacé sur les lieux et avait donné le feu vert pour demander l’aide de l’aviation espagnole. “N’est-ce pas un aveu d’incompétence et d’impuissance de l’État algérien à intervenir dans les opérations du sauvetage ?”, interrogea-t-il. Me Meziane Ali, l’avocat de l’accusé Debbah, est allé dans le même sens tout en déclarant qu’il fallait “trouver des coupables” dans cette affaire et que, comme toujours, c’est les cadres qui allaient payer.
Citant la déclaration du président Bouteflika lors de sa visite au port d’Alger (“trouvez-moi les coupables !”), l’avocat conclut qu’en pareille situation, “les cadres de la Cnan étaient les moutons à sacrifier”.
Comme Aït Larbi pour son client, il a rejeté la qualité d’armateur qu’on donne à son mandant. “On ne peut pas considérer en armateur un salarié qui touche 36 000 DA !”. Me Khaled Bourayou, citant l’exemple du fameux Titanic, a tenté de convaincre le tribunal que l’état du navire ne pouvait être la cause du naufrage. Lui aussi a évoqué le retard du sauvetage. “Dans l’Algérie de 2005, celle de El-Izza oua el- Karama, on n’a pas les moyens de sauvetage et on demande l’aide étrangère ? Soyez juste, les meilleurs cadres de l’Algérie sont en taule et lourdement condamnés pour un tuyau et une fuite d’huile !”.
Dernier à plaider, Me Chorfi a longuement critiqué le réquisitoire du représentant du ministère public qui a requis la perpétuité alors qu’il aurait du ordonner une enquête approfondie pour situer les responsabilités. Il y a “une vision sélective sur les catastrophes”, estime-t-il, et de citer les inondations de BEO, “dues à la faute de l’homme mais personne n’a été jugé”.