L’islamiste Mohamed Morsi a fait lundi ses premiers pas de président élu en Egypte et s’est attelé à la formation d’un gouvernement civil au lendemain de l’annonce par la commission électorale de sa victoire au second tour de la présidentielle.
Le premier président démocratiquement élu du pays, membre des Frères musulmans, a visité le palais présidentiel en compagnie de son épouse, avant de se rendre au ministère de la Défense pour s’entretenir avec le chef du Conseil suprême des forces armées (CSFA), le maréchal Hussein Tantaoui, et le Premier ministre sortant, désigné par l’armée, Kamal Ganzouri.
Selon un conseiller de Mohamed Morsi, il s’agissait de débattre des prochaines étapes en vue de la formation d’un nouveau gouvernement.
Parallèlement, des tractations sont en cours entre les islamistes et les généraux pour surmonter les profondes dissensions apparues ce mois-ci après la décision du CSFA de rogner fortement les pouvoirs du chef de l’Etat.
Place Tahrir, au centre du Caire, la foule réunie a laissé éclater sa joie une bonne partie de la nuit, après l’annonce de la victoire de Morsi avec 51,7% des voix et 880.000 voix d’avance sur Ahmed Chafik, ancien Premier ministre de Hosni Moubarak et symbole de l’ancien régime.
« PRÉSIDENT DE TOUS LES ÉGYPTIENS »
La presse a salué ce succès comme une victoire du peuple égyptien, même si de nombreux Egyptiens à la fibre libérale s’inquiètent de voir le président conservateur progressivement rogner sur les libertés civiles.
« La révolution atteint le palais républicain », écrit le journal Al Chorouk.
Les jeunes révolutionnaires du Mouvement du 6-Avril ont aussi vu dans l’élection de Morsi un succès pour le soulèvement de janvier-février 2011 qui a conduit à la chute de Moubarak.
« Nous avons vaincu le candidat de l’Etat militaire de Moubarak, le candidat de l’Etat parallèle et corrompu », s’est-il félicité.
La Bourse du Caire a terminé en hausse de 7,6%, rassurée par l’issue pacifique du scrutin après une semaine à haute tension.
Mohamed Morsi, ingénieur de 60 ans qui était le candidat des Frères musulmans, s’est engagé dès dimanche soir dans une allocution à être « le président de tous les Egyptiens ».
Il a réaffirmé qu’il respecterait les traités internationaux – geste en direction d’Israël qui craint pour l’avenir de l’accord de paix de 1979, mais aussi en direction de l’armée égyptienne, à qui une importante aide américaine est accordée annuellement à condition que le traité soit respecté.
En Israël, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, a promis de « respecter » le résultat de l’élection mais le quotidien Yedioth Aronoth a réagi en titrant : « Obscurité sur l’Egypte ».
Les réactions de l’étranger les plus enthousiastes à la victoire de Morsi sont venues du Hamas et de l’Iran. Les pays occidentaux et les pétromonarchies du Golfe se montrent prudents.
Dans une interview à l’agence de presse iranienne Fars publiée lundi, Mohamed Morsi dit son intention de rétablir les relations diplomatiques entre l’Egypte et l’Iran pour créer un « équilibre » stratégique dans la région.
PARTAGE DES POUVOIRS
En plein dépouillement des bulletins du second tour de la présidentielle le 17 juin, le CSFA, aidé en cela par un appareil judiciaire hérité de l’ère Moubarak, a dissous le parlement et s’est arrogé le pouvoir législatif et la possibilité de former la commission chargée de rédiger une nouvelle Constitution.
De hauts responsables des Frères musulmans ont déclaré qu’ils avaient négocié au cours de la semaine écoulée afin de convaincre l’armée de revenir dans une certaine mesure sur ces décisions.
« Le président Morsi et son équipe sont en pourparlers avec le Conseil suprême des forces armées pour rétablir le Parlement élu, ainsi que sur d’autres questions », a déclaré lundi à Reuters Essam Haddad, haut responsable des Frères.
De source proche des Frères musulmans, on dit espérer que le CSFA rétablisse pour partie le Parlement dans ses fonctions et fasse d’autres concessions, moyennant quoi Mohamed Morsi nommerait un gouvernement et une administration présidentielle à même d’être acceptés par l’armée, notamment en faisant appel à des personnalités de tout l’échiquier politique.
Des responsables de l’armée ont confirmé que des discussions avaient eu lieu ces derniers jours.
Selon certains responsables des Frères, le mouvement islamiste a approché le laïc réformiste Mohamed ElBaradeï, ancien directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et lauréat du prix Nobel de la paix, pour qu’il assume une haute fonction, peut-être celle de Premier ministre. ElBaradeï n’a pas commenté pour l’heure ces informations.
L’armée, quoi qu’il en soit, veut que Mohamed Morsi soit investi dans ses fonctions au 30 juin, soit samedi, ce qui lui permettra de respecter la date butoir du 1er juillet fixée pour la restitution du pouvoir aux civils.
Eric Faye et Jean-Stéphane Brosse pour le service français, édité par Gilles Trequesser