Le Premier ministre a parlé mais a aussi beaucoup écouté
C’est pour la première fois que les questions de tamazight et des prénoms berbères sont abordées par des représentants de la société civile devant le Premier ministre.
La société civile de Tizi Ouzou n’a pas offert que des fleurs au Premier ministre, Abdel-malek Sellal, en visite avant-hier, dans la wilaya. Sur un ton franc et direct, la rencontre n’a pas été une partie de plaisir avec les représentants de la société civile, qui s’est déroulée à la Maison de la culture Mouloud Mammeri.
Le premier intervenant qui n’est autre que le président de l’APW a annoncé la couleur en dénonçant l’exclusion de la wilaya ainsi que son boycott par les plus hautes autorités de l’Etat depuis des années. «Il a fallu pour la wilaya de Tizi Ouzou d’attendre très longtemps pour recevoir un Premier ministre», a-t-il dit, faisant remarquer que la région accuse un grand retard en matière de développement dans une sorte de huis clos induit par «l’absence du Président et du Premier ministre».
Mettez fin à la marginalisation
L’hôte de la ville des Genêts qui écoutait attentivement ce discours au sein d’une maison qui porte le nom d’un serviteur de la cause amazigh, Mouloud Mammeri, en l’occurrence, n’a pas encore tout entendu. Le P/APW ajoute: «La Kabylie est l’enfant mal aimé de l’Algérie car c’est une région rebelle.» Abdelmalek Sellal interrompt l’intervenant pour placer cette phrase: «Elle (la Kabylie) est rebelle mais elle est belle.»
Le P/APW reprend pour formuler une série de demandes à même de faire sortir la capitale du Djurdjura de son marasme. «Il ne faut pas un plan Marshall mais un plan Sellal au profit de la wilaya de Tizi-Ouzou», a-t-il lancé, demandant un porte feuille financier pour régler le problème du foncier notamment. Après une intervention du wali, le Premier ministre prend la parole et revient sur l’histoire de la wilaya, en citant ses hommes historiques tels que Krim Belkacem, Abane Ramdane, Amirouche, Amar Ouamrane… etc.
«Je ne suis pas venu vous donner des leçons en patriotisme. Vous êtes plus patriotes que beaucoup d’Algériens», a-t-il dit. Un peu plus loin dans son intervention, il ajoute: «Votre rébellion ne fait pas beaucoup de mal. Elle fait avancer l’Histoire.» Sellal donne, par la suite, la parole à l’assistance. Et le déluge de critiques vis-à-vis du pouvoir central fuse.
Le premier intervenant a dénoncé les fonctionnaires de l’administration qui «circulent avec l’argent du peuple et les moyens de l’Etat». «C’est grave pour une République», a-t-il soutenu. Le représentant de la Chambre de commerce et d’industrie de Tizi-Ouzou a demandé de «permettre légitimement à notre wilaya de rejoindre le train de développement à l’instar des autres wilayas».
«Pourquoi le budget alloué à la wilaya de Tizi-Ouzou n’est pas consommé», a demandé un autre intervenant qui a appelé à la sanction des responsables qui ne consomment pas les budgets accordés à leurs secteurs. Une autre intervenante, une universitaire, a regretté le fait que la ville de Tizi-Ouzou soit devenue un «dépotoir» à ciel ouvert. Elle a demandé au Premier ministre de mettre fin «au processus de marginalisation de la wilaya» qui connaît un retard de développement dans tous les domaines.
Tamazight n’est pas oubliée
Toutefois, cette rencontre n’a pas été consacrée exclusivement aux questions d’ordre économique et social. Les questions politiques et identitaires ont également été abordées par l’assistance. C’est pour la première fois que la société civile aborde ces questions devant le Premier ministre et près de 10 ministres qui l’ont accompagné. La même universitaire a demandé de «cesser de brandir la paix sociale pour nous mettre sous l’épée de Damoclès» et de consacrer tamazight comme langue officielle.
Pour sa part, l’écrivain Abdenour Abdeslam a abordé le refus de l’inscription, par l’état civil, des prénoms amazighs, soulevant le «retard mis dans la réouverture du Centre culturel français de Tizi Ouzou».
M.Sellal a annoncé un projet de décret portant 300 prénoms amazighs. «Nous n’avons pas de problème avec tamazight. Il n’y a que le fou qui renie sa langue maternelle», a répondu le Premier ministre. Pourtant, le pouvoir ne veut pas accorder un statut de langue officielle à cette langue.