Hosni Moubarak est parti. Les Egyptiens ont dû certainement sentir la nuit du vendredi au samedi très courte. Et pour cause, ils ont dansé, ri, chanté toute la nuit. Une nouvelle ère commence pour le peuple égyptien.
Sur le pont menant à l’une des entrées de la place Tahrir, symbole de la contestation populaire qui a chassé Moubarak, un groupe de jeunes dansaient encore, hier, arborant des drapeaux égyptiens et arrêtant les voitures pour féliciter les conducteurs. « Ô matin de la victoire », s’écriait l’un d’eux avec un grand sourire. Un nouveau jour se lève et avec lui, la vie sans le Raïs déchu, après trente ans de pouvoir sans partage.
Place Tahrir, symbole de révolution du Nil, les militaires et civils qui n’ont pas quitté la place déblayaient ensemble les traces de la révolte, barricades, pierres, détritus du siège qui a duré dix-huit jours qui ont eu raison de son obstination à demeurer à la tête de l’Etat égyptien. Jusqu’à l’aube, les Egyptiens ont partagé dans les rues l’incroyable événement, impensable il y a trois semaines. Feux d’artifice, embrassades, danses sur l’hymne national, « une ambiance de victoire de la Coupe d’Afrique des nations, mais là c’est la coupe du monde de la liberté », a dit un Cairote qui a si bien résumé l’ambiance de ce jour historique.
Quelques milliers d’Egyptiens étaient toujours rassemblés, hier à l’aube, sur la place Tahrir au Caire, au lendemain de la démission du président Hosni Moubarak, chassé par la rue. Après quasiment trente ans de pouvoir autoritaire, ils espèrent que l’armée respectera leur volonté de changement démocratique.
Au terme de dix-huit jours de bras de fer, Hosni Moubarak a finalement admis sa défaite vendredi, quelques heures seulement après avoir répété qu’il ne quitterait pas ses fonctions jusqu’à l’élection d’un nouveau président en septembre.
L’armée au pouvoir
A 82 ans, l’ancien homme fort, qui s’apprêtait encore il y a quelques semaines à préparer une transition dynastique, s’est réfugié à Charm-el-Cheikh, station balnéaire de la mer Rouge. Après dix-huit jours de contestation, le président égyptien Hosni Moubarak a cédé à la pression de la rue. Par le biais du vice-président, Omar Souleiman, il a annoncé qu’il quittait le pouvoir pour le remettre entre les mains de l’armée. Selon Omar Souleiman, qui s’exprimait à la télévision, vendredi, un conseil militaire va être mis sur pied pour diriger le pays.
Le ministre de la Défense, Mohamed Hussein Tantaoui, dirige lui-même ce conseil, qui s’était réuni la veille en promettant de satisfaire les revendications du peuple. L’armée a pris directement les rênes du pays via un conseil militaire, qui n’a guère donné de détails sur la « phase de transition » qui vient de s’ouvrir, ni sur le calendrier électoral.
Ce Conseil suprême des forces armées, dirigé par le ministre de la défense, Mohamed Hussein Tantaoui, a promis de « réaliser les espoirs de notre grand peuple ». Hier, au petit matin, plusieurs groupes de jeunes se réchauffaient auprès d’un feu improvisé, tandis que d’autres applaudissaient des militants sur une tribune appelant à la poursuite du « combat » en vue d’une Egypte « démocratique ». L’euphorie n’a pas seulement envahi la place Tahrir. Elle a gagné tout le pays, d’Alexandrie à Suez, où une nation entière semble être descendue dans les rues. Des feux d’artifice ont été tirés. Des concerts de klaxons ont été lancés au milieu des drapeaux aux couleurs nationales, noir, blanc et rouge.
Le Conseil suprême des forces armées égyptiennes a fait savoir qu’il détaillerait les mesures de la phase de transition politique à venir tout en félicitant le raïs pour avoir pris cette décision « dans l’intérêt de la nation ». Il a également « salué les martyrs » qui ont perdu la vie lors des dix-huit jours de contestation et a assuré qu’elle ne souhaitait pas se substituer à la « légitimité voulue par le peuple ». Mais les militaires ont tout de même entretenu un certain flou.
« Tenant compte des revendications de notre grand peuple qui souhaite des changements radicaux, ont-ils déclaré, le Conseil suprême des forces armées étudie ces revendications et publiera plus tard des communiqués qui préciseront les mesures qui vont être prises ».
Les garanties du Conseil suprême des forces armées et les communiqués du peuple
Dans la matinée, ce même conseil avait assuré qu’il garantirait « une élection présidentielle libre et transparente » et promis de mettre fin à l’état d’urgence, en vigueur depuis 1981, « dès la fin des conditions actuelles ». Un programme que les militaires ont détaillé mais sans fixer un échéancier précis. Les organisateurs des manifestations égyptiennes redoutent une confiscation des acquis de la révolution d’où leur engagement, hier, à occuper la place Tahrir, épicentre de la révolution, jusqu’à ce que le Conseil suprême des forces armées accepte leur programme de réformes démocratiques. Dans deux communiqués, les organisateurs des rassemblements demandent la levée de l’état d’urgence instauré par le président déchu, Hosni Moubarak. Le premier des deux communiqués exige la dissolution du gouvernement désigné par Hosni Moubarak le 29 janvier dernier et la suspension du Parlement élu après un scrutin controversé en novembre. Il appelle à la mise en place d’un conseil présidentiel transitoire composé de cinq membres – quatre civils et un militaire.
Le communiqué demande en outre la formation d’un gouvernement de transition pour organiser des élections dans les neuf prochains mois ainsi que la mise en place d’un comité chargé d’esquisser un projet de constitution démocratique. Parmi les autres aspirations de ce « communiqué du peuple numéro un » figurent la liberté de la presse et syndicale, la formation de partis politiques et la fin des tribunaux militaires et d’exception. Une tâche énorme et inhabituelle pour une armée lui incombe : organiser une transition vers un pouvoir stable et démocratique. Ce ne sera pas facile. C’est elle qui hérite du pouvoir.
Elle est sans doute divisée, à l’image du pays, traversée de courants allant de la gauche laïque aux Frères musulmans, du réformisme au conservatisme tout aussi que le peuple qui tient à matérialiser dans les faits ses revendications. Certains manifestants estimaient que le travail n’était pas terminé. « Nous ne voulons personne de l’ancien régime, ils doivent tous partir et nous resterons ici jusqu’à ce que nos revendications soient satisfaites », promet un manifestant, Mohammed Chaabane, cité par l’AFP. En attendant de trancher, entre cris de joie, chants et feux d’artifice, les milliers d’Egyptiens présents à Tahrir exultaient ensemble en chantant « Lève la tête, tu es Egyptien » ou « Egypte libre! ». Une liberté chèrement acquise et à laquelle ils tiennent tout autant qu’à la prunelle de leurs yeux.
S. B. et Agences