Le Pr Chitour à propos du projet de loi de finances 2020 : «Le pouvoir veut se donner un sursis»

Le Pr Chitour à propos du projet de loi de finances 2020 : «Le pouvoir veut se donner un sursis»

Professeur Chemseddine Chitour, directeur du Laboratoire de valorisation des hydrocarbures à l’Ecole polytechnique, invité hier de l’émission de la Chaîne 3, a décortiqué la situation économique du pays, à la veille de l’examen de la loi de finances 2020 par le Conseil des ministres. Une loi qui hypothèque l’avenir du pays contraint de s’engager dans la voie de la nouvelle économie et l’exportation.

L’expert a déploré, de prime abord, la stratégie gouvernementale qui n’est pas orientée vers le futur. A ce titre, il dira que «nous indexons la loi de finances sur le prix du baril du pétrole qui, toutefois, ne dépend pas de nous». Avant d’ajouter, plus explicitement, dans ce cas précis que «nous n’avons pas de souveraineté sur notre loi de finances».

Sur le plan des chiffres, le professeur rappelle que, depuis quelques années, l’Algérie indexe sa loi de finances sur un prix de pétrole qui avoisine les 50 dollars, ce qui se répercute directement sur le déficit financier.

Un déficit qui pourrait atteindre en 2021-2022 les quelque 70 milliards de dollars. Ce qui est difficile à rattraper, pour un pays qui «ne produit pas», puisque, sur le plan des recettes pétrolières, l’invité de la rédaction de la Chaîne 3 préconise le prix du baril virtuel égal à 115 dollars afin de redresser l’équilibre budgétaire.

Dans ce contexte de dépendance aux hydrocarbures, ce sont en premier lieu les capacités d’innovation qui ont pris un sérieux coup, a-t-il constaté.

Une conséquence dont les effets néfastes sur le plan social sont apparus au grand jour dans les années 1980 avec l’application du plan anti-pénurie (PAP), qui a permis d’inonder le pays en différents produits d’importation, donnant ainsi «l’illusion que l’Algérie est un pays riche», dans une conjoncture où le prix du baril de pétrole avait atteint 33 dollars, s’est-il exclamé. Chiffre à l’appui, l’expert commente cette aisance financière et l’importance de la rente pétrolière en rappelant que le dollar équivalait à cette époque à cinq francs français, et la monnaie française à son tour à 1,2 dinar.

1986 est la date qui allait annoncer l’avènement d’une crise économique insoutenable pour l’Algérie quand le coût du baril de pétrole avait enregistré une brusque chute qui avait atteint 9 dollars.

Plusieurs difficultés sont alors apparues, et essentiellement celles liées à la malvie traduites par les événements douloureux du 5 Octobre 1988 qui allaient annoncer la page la plus sombre de l’Algérie indépendante avec la crise qui allait générer la décennie noire des années 1990. L’orateur n’a pas manqué de signaler, dans ce contexte, que la dépendance économique de l’Algérie estimée à 98% sans aucune création de richesses destinée à l’exportation.

Là, le professeur a saisi l’opportunité pour tracer les contours de la nouvelle politique économique préconisée par l’actuel gouvernement dans le domaine de l’abandon des anciens métiers et l’orientation vers l’économie numérique, par l’implication des compétences jeunes chefs d’entreprise et start-up. A ce sujet, il a évoqué l’exemple «édifiant» de l’Inde qui exporte l’équivalent de 25 milliards de dollars en logiciels.

La reproduction des mêmes schémas pour l’élaboration des lois de finances depuis des années découle du choix de politique sociale au détriment de la réalité économique du pays, a constaté Chemseddine Chitour qui s’adresse fermement au pouvoir politique. Et d’alerter que les deux ou trois années à venir s’annoncent pénibles pour les couches sociales défavorisées. En d’autres termes, il prévoit le retour au FMI qui équivaut à la «négation» du social. En d’autres termes, il prévoit «le retour douloureux des années 1990».

S’attaquant encore une fois aux décideurs, il leur reproche de «ne pas dire les vérités» au citoyen qui se considère «encore riche alors qu’il est pauvre». «Ce sont des options populistes mais dangereuses pour le pays», a-t-il souligné. «Il s’agit d’un pouvoir qui se donne du sursis avec le défilement des gouvernements».

Abdelhalim Benyellès