“Faire croire que ce sont tous les Algériens qui vont bénéficier de la prise en charge en France est un leurre”, assène le chef du service oncologie du CPMC.
Le protocole annexe à la convention générale datant de 2016 sur la Sécurité sociale, relatif aux soins de santé programmés et dispensés en France aux ressortissants algériens, ratifié par décret du président Abdelaziz Bouteflika, le 17 novembre dernier, suscite une vive colère chez les praticiens nationaux. Le professeur Kamel Bouzid, chef du service oncologie du CPMC, qui s’engage à parler au nom de ses confrères, y voit plutôt une manière de “financer le système sanitaire français” à travers la prise en charge par la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas), pour une infime partie d’Algériens, en l’occurrence les responsables au “bras long”, et jamais, dit-il, l’ensemble des Algériens, comme tentent de le faire croire les autorités.
Pour lui, c’est aussi et surtout une “injure”, voire une “insulte”, aux praticiens algériens, en particulier, et une manière de jeter le “discrédit” sur le système national de santé, en général. Le professeur se dit davantage “scandalisé” par le fait les dispositions de cette convention soient adoptées par le Parlement français. “56 ans après l’indépendance, l’Assemblée nationale française parle du sort des Algériens malades. C’est juste scandaleux!”, regrette le Pr Bouzid, qui qualifie cette convention de “mascarade”. D’où, il appelle à son “abolition”. Cette convention est, en réalité, promulguée par les gouvernements français et algériens juste pour parer à une situation ancienne qui avait généré un contentieux financier estimé à quelque 25 millions d’euros de dettes impayées par l’Algérie aux hôpitaux français.
De l’avis du Pr Bouzid, ce contentieux serait une chance donnée aux autorités algériennes pour mettre fin à tout accord dans le domaine sanitaire avec la France. Il dénonce ainsi une “manière d’exporter les malades algériens au détriment des soignants nationaux et du système de santé national”. Pour lui, cet accord ne profiterait guère aux Algériens, mais bel et bien au système sanitaire français et à “la mafia nationale”, faisant allusion aux hauts responsables du pays. Le professeur est catégorique à ce titre : “Faire croire que ce sont tous les Algériens qui vont bénéficier de la prise en charge en France est un leurre.” Regrettant que l’argent des cotisants ne profite, en réalité, qu’aux hauts responsables et à leurs ayants droit, le professeur suggère à ces derniers de créer, s’il le faut vraiment, un “fonds spécial” et “d’arrêter de se faire soigner dans l’ex-France coloniale avec notre argent”.
Cela d’autant plus que la commission de la Cnas en charge d’étudier les dossiers de la prise en charge n’est plus représentative et que les dossiers sont “expédiés” de manière “subjective”. Il rappelle qu’une commission représentative des quatre régions du pays a été mise en place en 1994, à l’ère du ministre Yahia Guidoum, et avait pour objectif de limiter, voire d’arrêter, les transferts pour soins à l’étranger. Des accords, ajoute-t-il, avaient été, alors, conclus avec la Jordanie et l’Écosse pour la prise en charge des patients dont les soins n’étaient pas encore dispensés en Algérie. Mais cette commission, regrette-t-il, sera dissoute en 1999. Elle a été depuis réduite à une commission composée de 5 membres, tous du Centre.
À croire, ironise, chagriné, le professeur, qu’à l’Est et à l’Ouest, on ne tombe pas malade. L’objectif en 1994, raconte-t-il, était non seulement de réduire, voire d’arrêter, le transfert des malades à l’étranger, mais aussi de promouvoir la technicité et les pôles d’excellence en Algérie. “À aucun moment, il n’a été question d’exporter des malades. Mais voilà que 25 ans après, on est en plein dedans !” regrette le professeur, qui reproche à la Cnas de n’avoir jamais eu à rendre de comptes sur les dépenses et les résultats des transferts de malades à l’étranger. “Quel est le bilan des transferts pour les soins à l’étranger ? Autrement dit, qui part ? Où vont-ils et comment y vont-ils”, s’interroge-t-il, en relevant que les prises en charge à l’étranger sont bannies dans son service depuis 10 ans.
Le professeur dénonce, par ailleurs, la perversion de certains citoyens qui trouveraient plutôt normal de mourir dans un hôpital parisien qu’en Algérie. Il convient de signaler que l’ambassade de France a confirmé l’entrée en vigueur de ce protocole annexe dans un communiqué rendu public avant-hier, dont l’objectif est de préciser que “les soins ne sont pas gratuits en France pour les ressortissants algériens”.
Farid Abdeladim