Le poignant témoignage de la famille du militant Kamel Ould Ouali

Le poignant témoignage de la famille du militant Kamel Ould Ouali

“J’irai d’abord chercher mon papa, j’irai chercher mon papa à la Bougie”, disait, à chaque fois, à son oncle, Assirem qui avait pris pour habitude de se rendre à chaque marche vers la place de la Bougie avec son père.

Si aux yeux de la justice et des tenants du pouvoir de fait, les activistes de la révolution populaire ne sont, une fois jetés en prison, plus que des numéros d’écrou, au plus des détenus de droit commun à charger au maximum comme le fait si bien le tribunal de Sidi M’hamed, et si dans l’imaginaire populaire, ils sont considérés comme des symboles d’héroïsme et “un carburant pour la révolution”, pour les familles, dont on parle peu, l’arrestation de leurs proches est plutôt vécue comme une atroce et profonde douleur, une pire injustice que ne peut ressentir qu’une victime du plus vil des arbitraires. Parmi ces familles, les Ould Ouali de Tizi Ouzou nous ont ouvert leur cœur pour nous raconter comment ils vivent depuis octobre dernier, à l’ombre de l’arrestation de Kamel, qui est encore à la prison d’El-Harrach sur décision du tristement célèbre tribunal de Sidi M’hamed.

C’est un frère blessé, mais fier, une épouse attristée, mais digne, et deux enfants qui ne sont pas en âge de comprendre cette absence inhabituelle de leur père, emprisonné, mais qui l’attendent avec le sourire innocent connu aux enfants, que nous avons eu à rencontrer hier. “Nous avons appris son arrestation par les réseaux sociaux, et c’est une montagne qui nous est tombée sur la tête. On a toujours du mal à réaliser. Il y a déjà, sur le plan personnel, une décharge émotionnelle qui est difficile à gérer, puis comment l’annoncer à sa mère et à ses enfants”, explique d’emblée Samy Ould Ouali, le frère du détenu, avant de rappeler que son frère Kamel, âgé de 50 ans et père de deux enfants, a été arrêté le 4 octobre à Alger alors qu’il s’y était rendu pour participer à la commémoration des événements du 5 Octobre 1988.

“J’irai d’abord chercher mon papa”

Pour Samy Ould Ouali, ce syndicaliste pourtant rompu à la lutte, se faire arrêter et se retrouver en prison n’est pas aussi terrible que cela dans le contexte actuel où tout le monde s’y attend un peu, tant, dit-il, l’arbitraire ne fait pas le tri.

Ce qui, en revanche, est désarmant, estime-t-il, c’est lorsqu’il s’agit d’un père de famille et que l’on doit faire face aux réactions des enfants. “Notre mère, âgée de 78 ans, n’est toujours pas au courant de l’arrestation de Kamel au jour d’aujourd’hui. On lui explique qu’il est en formation à chaque fois qu’elle nous somme de lui dire où il est. Une semaine après son arrestation, ses enfants ne le savaient toujours pas, eux non plus”, nous raconte-t-il, le regard dans le vide. “J’avais préparé des affichettes pour la marche et en remettant une à sa fille, elle a sauté de joie en voyant le visage de son père qu’elle s’est empressé d’embrasser. C’est durant la marche qu’ils ont découvert la vérité”, se souvient-il, expliquant que depuis ce jour-là, les rapports sont inversés.

“Au lieu que ce soient les adultes qui s’inquiètent pour les enfants, voilà que ce sont des enfants qui, en plus d’être privés de l’affection et de la présence de leur père, se retrouvent dans une situation où ce sont eux qui se préoccupent de la situation de leur père”, poursuit-il, avant d’assener, plus que jamais lucide : “Un enfant n’a pas à subir cela !” Pour Samy, le plus dur, c’est surtout les jours de marche. À chaque marche, raconte-t-il ému, la petite Assirem, âgée à peine de 8 ans, refuse de rentrer à la maison sans son père. “J’irai d’abord chercher mon papa, j’irai chercher mon papa à la Bougie”, disait à chaque fois, à son oncle, Assirem, qui avait pris pour habitude de se rendre à chaque marche vers la place de la Bougie avec son père.

À la question de savoir si son père lui manque, elle baisse les yeux et, avec une tristesse à couper le souffle même à un monstre, lâche un petit “oui”. “Mon papa est parti me ramener des gâteaux, des jouets”, répond, pour sa part, Aksel, 5 ans. Sa mère, qui le tenait dans les bras comme pour compenser le manque d’affection paternelle, se rappelle la dureté des moments qui ont suivi l’arrestation de son époux.

“Le lendemain en se levant, Aksel commençait à pleurer en demandant à voir son papa et en demandant pourquoi il n’est pas à la maison. Durant les jours qui ont suivi, je faisais semblant de l’appeler devant Aksel, mais j’appelais un téléphone que je savais à l’avance fermé… On ne sait jusqu’à quand”, se rappelle-t-elle, presque balbutiante. Lorsqu’on lui demande comment elle a vécu cette arrestation, l’épouse reste sereine, mais a du mal à cacher sa tristesse.

“Lorsque tu attends que ton mari rentre, puis à 22h, tu reçois un appel pour apprendre qu’il est entre les mains des gendarmes à Bab Jdid, que pouvez-vous dire !? J’ai eu immédiatement une hypoglycémie”, a-t-elle résumé sa douleur, avant que Samy Ould Ouali ne revienne sur les circonstances de l’arrestation de son frère.

Au cœur de l’arbitraire !

Dans un premier temps, dit-il, la famille s’est attelée à confirmer l’information qui circulait sur les réseaux sociaux puis à obtenir des éléments d’information sur les circonstances de son arrestation, ou plutôt de sa “séquestration”.“Kamel, qui est un membre du RAJ, s’est rendu le 4 octobre à Alger pour prendre part aux commémorations du 5 Octobre 1988, une date célébrée depuis des décennies sans que cela pose problème à qui que ce soit, et la commémoration de cet événement consistait à déposer une gerbe de fleurs à la place des Martyrs, mais le comble, c’est que l’arrestation ne s’est pas opérée lors de la manifestation.

Elle s’est faite dans un café. Ils étaient cinq, en train de prendre un café, en fin de journée, comme tous les autres citoyens, lorsque les éléments de la gendarmerie ont envahi le café et procédé à leur interpellation”, relate-t-il, soulignant que le rapport dressé par la gendarmerie était tellement vide que lorsqu’il a été traduit devant le procureur de la République, les avocats croyaient dur comme fer qu’il n’avait en réalité même pas besoin qu’il soit assisté. “Par la suite, on a eu l’information que ses quatre co-accusés allaient être présentés devant le juge d’instruction et que Kamel allait être relaxé, mais vu les conditions dans lesquelles toutes les arrestations se sont opérées et vu qu’il n’y avait rien de réglementaire dans les procédures suivies, il aurait été naïf de croire qu’il allait être relâché.

Ni un vice de forme ni une quelconque plaidoirie ne pouvaient changer quoi que ce soit parce qu’il y avait, à chaque fois, une volonté politique de procéder à la mise sous mandat de dépôt des manifestants”, dit-il, convaincu. Pour lui, même les arrestations qui s’opèrent en pleines manifestations sont aussi arbitraires, car elles ne sont pas justifiées sur le plan juridique, notamment celles, soutient-il, qui sont liées au port du drapeau amazigh dont le pouvoir a commis le délit le plus grave, au point même que l’instruction prend des mois alors que les dossiers sont vides et qu’il n’y a aucun élément juridique sur la base duquel il peut condamner les manifestants. “Mais malgré ce vide juridique, nous avons vu des vidéos de manifestants arrêtés, et ce sont quasiment des kidnappings et non pas des arrestations. La procédure a été complètement inversée parce que, logiquement, il faudrait qu’il y ait quelque chose contre vous pour vous convoquer, alors que là, ils vous interpellent et ce n’est qu’après qu’ils essayent de trouver avec quoi justifier l’interpellation et la mise sous mandat de dépôt”, dénonce-t-il.

Hommage aux juges qui résistent

Le frère du détenu Kamel Ould Ouali se dit convaincu qu’il y a encore des juges qui résistent et auxquels il faut rendre hommage. “Je tiens à rendre un vibrant hommage aux juges qui sont en train de résister et qui tentent, vaille que vaille, de se conformer seulement aux textes de loi, ce qui est à vrai dire leur mission, mais qui ne sont pas prêts à céder la moindre de leurs prérogatives dans le contexte actuel”, dit-il, déplorant, toutefois, les contradictions auxquelles nous assistons et qui ternissent l’image de la justice. “Dans certains tribunaux, on assiste à un non-lieu tout court avec restitution de l’emblème amazigh qui a une haute valeur symbolique, alors que pour les mêmes faits dans d’autres tribunaux, on assiste à des condamnations.

Pis encore, parfois les tribunaux sont dans la même localité, notamment à Alger ! C’est une aberration sur tous les plans et rien que cet élément démontre qu’il y a un sérieux problème”, analyse-t-il, non sans appeler au renforcement de la mobilisation car, considère-t-il, un État de droit ne peut se construire sans une justice indépendante où le juge n’a pas à subir des pressions mais, bien au contraire, doit être protégé dans l’exercice de ses fonctions et ne se conformer qu’aux textes de lois.

“La libération des détenus est un détail devant l’objectif de la révolution”

Tout en saluant la grande mobilisation et la solidarité qui se fait, dit-il, “de manière naturelle en faveur des détenus et qui réconforte grandement leurs familles”, Samy Ould Ouali et les autres membres de sa famille disent ne pas être prêts à baisser les bras. “Il y a une formidable mobilisation du peuple algérien dans le cadre d’un mouvement pacifique, avec une haute maturité politique dans toutes les régions, et nous espérons qu’elle se renforcera pour le salut de notre mère patrie qui est l’Algérie”, dit-il, tout en estimant que “la libération des détenus est un détail face à l’objectif qui est celui de la libération de notre Algérie”. “Il est venu le temps de le concrétiser, et cela est une conviction chez tous les Algériens et toutes les Algériennes qui ne sont pas près de lâcher pour aller vers leur libération et la libération de leur pays”, conclut-il, optimiste.

Samir LESLOUS