Le passeport biométrique algérien entre les mains d’un fonds d’investissement américain

Le passeport biométrique algérien entre les mains d’un fonds d’investissement américain

Le fonds d’investissement américain Advent International a finalisé l’opération de rachat d’Oberthur, l’entreprise française chargée de réaliser le passeport biométrique électronique algérien.

Tarek Hafid – Alger (Le Soir) – Oberthur Technologies est finalement tombée dans la hotte d’Advent International. Le fonds d’investissement américain a déboursé 1,15 milliard d’euros pour acquérir 90% du capital de la société française, second fabricant mondial de cartes à puce. Lancée au mois de juin 2011, l’opération de rachat n’a été finalisée qu’au début du mois de décembre. Oberthur étant une entreprise qui intervient dans un secteur très sensible, les deux parties ont dû attendre une autorisation du ministère français des Finances. Et l’Algérie dans tout ça ? Il s’avère que cet opérateur a remporté le marché de la réalisation du passeport biométrique électronique (BPE). Oberthur Technologies a été chargée de livrer le e-cover (la couverture et la puce qui équipe le document de voyage). L’entreprise a également remporté la réalisation de la PKI, le système de cryptage qui garantit la sécurisation des données des citoyens détenteurs du passeport. Oberthur, qui avait alors bénéficié de très «larges facilités » au niveau du ministère de l’Intérieur et de l’Hôtel des monnaies, était même parvenu à imposer Fasver, une petite PME française en qualité de fournisseur du système adhésif qui assure la sécurité physique du document. Mais une fois les essais techniques effectués, il s’est avéré que le film de protection de Fasver était loin de répondre aux normes et constituait donc un risque pour la sécurité du passeport biométrique électronique algérien. Le petit opérateur français a été remplacé in extremis par une entreprise suisse bien plus qualifiée en matière de laminat. Mais ce remplacement n’a en rien accéléré le processus de lancement du passeport biométrique. Et le rachat d’Oberthur par Advent International pourrait même compliquer la situation. Le problème devrait se poser au niveau de la sécurisation des données informatiques car Oberthur a sous-traité le système de PKI auprès de Keynectis, une entité créée par le secrétariat général français à la Défense. C’est grâce à un «tour de passe-passe» que les deux partenaires ont réussi à décrocher le marché lancé en 2009 par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. En fait, le gouvernement algérien n’a jamais réussi à avoir un total contrôle sur sa PKI puisque son véritable concepteur est Keynectis. «Nous n’avons aucun contact avec l’Etat algérien, dans le cadre de ce contrat notre client est Oberthur», nous avait alors déclaré Jean-Yves Faurois, un des responsables de Keynectis lors d’un séminaire organisé au mois de juin dernier par l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications. Vu le caractère sensible de ce projet, il est aujourd’hui important de s’interroger sur la nature des relations qu’entretiennent Advent International et Keynectis puisque le système de sécurisation nécessite un processus de suivi et de mise à jour constant. Il faut savoir que la PKI acquise par le ministère de l’Intérieur est «limitée», sa capacité n’est que de 1 million de passeports. L’extension de cette capacité est donc intimement liée aux relations qu’entretiennent les deux «partenaires». C’est donc le système de protection des données des Algériens qui se trouve être pris en «otage». Le risque est réel. Autre interrogation : les autorités algériennes étaient-elles au courant de cette opération d’acquisition ? Selon certaines indiscrétions, les responsables du dossier passeport au département de l’intérieur n’étaient pas du tout au courant. Il est important de signaler que le rachat d’Oberthur par Advent international, même s’il a été autorisé par le gouvernement, reste très mal vu par les professionnels français de la cryptologie. Oberthur, de par ses activités, était considéré comme un opérateur stratégique dans le secteur de la sécurité. D’ailleurs, l’acquisition Oberthur n’est pas sans rappeler l’affaire Gemplus. Durant les années 1990, cette entreprise française était considérée comme le leader mondial de la carte à puce. Jusqu’à ce qu’elle soit rachetée, en 1999, par Texas Pacific Group, un fonds d’investissement américain. La situation tourne finalement au scandale lorsque les services français découvrent que le patron de Texas Pacific Group, présenté comme très proche de la CIA, avait l’intention de profiter des brevets technologiques développés par le département recherche de l’entreprise. La perte de Gemplus a longtemps été vécue comme une hantise par le gouvernement français. Et c’est pour éviter qu’un tel scénario ne se reproduise que le secrétariat général à la Défense a été chargé, en 2005, de créer Keynectis, l’opérateur qui réalise en seconde main la PKI du passeport algérien.

T. H.