Dans leur majorité la plus large, les Algériens sont d’accord sur deux choses. La première étant qu’il faut changer le système politique en place dans le pays depuis l’indépendance.
La seconde, que ce changement se fasse pacifiquement. Cette dernière considération explique en partie que, contrairement aux prévisions formulées par experts et analystes, les Algériens n’ont pas imité leurs voisins tunisiens, les Egyptiens ou les Libyens.
Mais changer pacifiquement le système n’est possible que si le pouvoir en place, qui est son émanation, accepte de négocier avec la société et ses représentations les termes du changement et la nature du processus qui y conduirait. Or, il apparaît clairement que si ce pouvoir a fini par admettre la nécessité du changement, il en refuse les modalités telles que proposées par des personnalités nationales, des formations politiques et associations s’exprimant au nom de la société civile. C’est donc à bon droit que ces parties lui récusent le droit de procéder à un changement qui, venu du haut, s’opérerait sans un débat national et la prise en compte des revendications sur sa teneur que formule la société algérienne.
Ce serait faire injure à la perspicacité et à l’intelligence politique de Bouteflika de penser qu’il n’a pas tiré l’enseignement conséquemment à ce qui se passe dans le monde arabe, que le temps n’est plus, même en Algérie, où il reste possible d’opérer des changements superficiels préservant en l’état des systèmes dont les peuples ne veulent plus.
Contrairement à Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi, le Président algérien, n’en déplaise à ses détracteurs, ne fait pas l’objet d’une détestation populaire unanime. Beaucoup d’Algériens considèrent qu’il n’est pas le problème dans la crise politique du pays et qu’il peut par conséquent être l’acteur essentiel de sa solution. Pour peu qu’il s’affranchisse de la conviction d’être «l’homme providentiel», seul susceptible de savoir et de faire ce qui est bon pour la nation et le peuple.
Tant qu’il y a un consensus populaire qui privilégie la démarche pacifique pour opérer le changement du système, Bouteflika et le pouvoir devraient être à l’écoute et réceptifs aux propositions qui leur sont faites d’engager une concertation nationale sur le sujet et ne pas désespérer ceux qui croient encore en la possibilité du changement en Algérie sans confrontation violente.
L’Algérie ne fait pas exception dans le monde arabe. Elle aussi est travaillée par l’espérance du changement et de la démocratie. Pour des raisons qui tiennent à son histoire et à son vécu, le peuple algérien s’est refusé à la tentation de l’aventure qu’ouvrirait sa confrontation radicale au pouvoir en place.
Celui-ci aurait gravement tort de voir dans sa patience et sa sagesse le signe qu’il n’est pas demandeur du changement que l’opposition politique exige. Que celle-ci ne soit pas représentative de ce peuple, et donc dans l’impuissance à le mobiliser, n’enlève rien à la pertinence et à la justesse de ses demandes. Ce n’est pas une raison non plus pour ignorer ses propositions, car elles rejoignent dans le fond la revendication de changement partagée par les citoyens, dont l’exaspération face au silence officiel qui lui est opposé finira par l’imposer par la voie de la révolte populaire.
Tout dépend si Bouteflika, dont le patriotisme est interpellé, a fait le choix d’éviter à l’Algérie une nouvelle secousse dont l’issue serait imprévisible.