1re partie
L’Andalousie est oubliée depuissa splendeur tant en Europe que dans le monde musulman: aurait-elle été une légende qui n’ait appartenu à aucun monde? Ce thème revêt une importance capitale car il appelle à la recherche sur une période fascinante et unique de l’histoire féconde du monde musulman.
Arabes, Berbères, Syriens et Perses contribuent grandement à l’édification de l’Andalousie, de son peuplement, de son économie, de sa culture et de sa civilisation depuis l’islamisation du pays et tout au long des huit siècles..
L’Andalousie lègue un riche patrimoine au monde musulman, qui jusqu’à présent abrite de nombreux aspects de cette civilisation, reflétés particulièrement par la musique, l’architecture, les arabesques, les émaux, ainsi que certaines manifestations de la vie sociale telles que la gastronomie, le mobilier ou les costumes et coutumes.
Revisiter l’Espagne médiévale, c’est retrouver un chapitre méconnu, un moment oublié de cette époque. C’est découvrir avec extase tant de merveilles et revivre une histoire occultée. En effet, la satisfaction et la joie de la victoire augmentent la confiance des Musulmans implantés au Maroc et leur désir de progresser vers l’Europe s’enflamme. L’avancée des troupes venues de la rive sud de la Méditerranée est foudroyante et l’islamisation de l’Espagne est spectaculaire.
L’entrée en scène des Musulmans dès 711-712 ne rencontre aucune résistance car elle se produit au moment même où s’affirme la décadence espagnole.
Entre les rois chrétiens, occupés à garantir leurs frontières, existent des luttes intestines qui affaiblissent le pays et accentuent l’anarchie. Mettant à profit cette incurie, Musa Ibn Nasryr organise une campagne militaire où un grand nombre de Berbères parfaitement encadrés n’ont aucune peine à s’imposer par la bataille de Guadelaté, comme l’ont fait trois siècles plus tôt les Vandales en Andalousie et les Wisigoths dans la vallée de l’Ebre.
Faisant la jonction avec Tarik IbnZiyad, un chef dépêché sur les lieux, Musa rentre à Tolède. Ces deux personnages réputés pour leur enthousiasme religieux, remportent un énorme succès.
Hervé Gueneron explique ainsi cette réussite: « sans doute, la simplicité rigide de l’Islam qui formait un contraste saisissant avec les divisions du christianisme favorisa les conversions. Les privilèges accordés aux convertis par les vainqueurs accélèrent le processus.»
Cependant, le roi Pélage, à la tête des Wisigoths, réfugiés dans les montagnes des Asturies, inaugure la reconquête en infligeant aux Musulmans une sérieuse défaite dans la vallée de la Covadonga. Malgré cette défaite, les Musulmans (Arabes et surtout Berbères, Syriens, Perses, tous sectateurs de Mohamed (QSL) font de l’Espagne un royaume où le pouvoir musulman prend place.
D’abord dépendant du lointain ca-lifat de Bagdad, l’Espagne s’en sépare la première, peu après le début du huitième siècle. Elle forme ainsi un second empire musulman appelé émirat, ayant pour capitale Cordoue (756) sous le règne d’un prince omeyyade, seul survivant de sa famille. Juan Vernet nous apporte des explications complémentaires:» les Omeyyades furent vaincus et leur famille exterminée.
Un seul de ses membres réussit à fuir, à se réfugier en Espagne et à y fonder l’émirat indépendant de Cordoue. C’est ainsi que l’Espagne, la province la plus éloignée de l’Empire, fut la première à s’en arracher.indépendance politique et non religieuse.»
Il existe plusieurs théories au sujet de l’origine du mot Andalousie. Certains pensent que ce terme a pour origine le mot Vandale, peuple qui occupa cette région. D’autres avancent l’hypothèse, que cette appellation vient du berbère, anna, la rivière et lus terre.
Le mot Andalousie désigne généralement toute la partie méridionale de la Péninsule Ibérique, englobant la province de Séville, de Cordoue, de Grenade et qui conserve, encore de nos jours, le nom déjà existant. La population de cette contrée est issue de divers éléments ethniques.
Sur le substrat espagnol, viennent se greffer des éléments nouveaux et les multiples brassages amènent les Andalous à s’infiltrer et à se dissoudre progressivement dans l»élément espagnol.
L’empreinte de l’Islam s’inscrit ainsi dans l’espace hispanique sous la forme d’une communauté musulmane dépendant du califat de Cordoue. De sources historiques, on retient que ces victoires décisives sont, pour deux raisons, un fait marquant. L’arrivée des Musulmans s’apprête, d’une part, à bouleverser de fond en comble l’existence d’un peuple ayant ses mœurs, ses coutumes, son économie, sa civilisation et sa religion.
D’autre part, elle fait naître des relations plus ou moins hostiles entre les Chrétiens et les Musulmans. Rappelons que la plupart des territoires islamisés sont chrétiens, le christianisme est évincé plus ou moins rapidement, en revanche, la religion musulmane devient prédominante, sauf en Espagne.
Les premiers siècles écoulés, la langue arabe se propage à travers toute l’Andalousie comme le souligne Jean Vernet»au fil des siècles, cette caste dominante réussit à arabiser la très grande masse des Espagnols et vers la fin du Xè siècle, l’Arabe commençait à devenir majoritaire dans la péninsule grâce à l’influence politique du groupe dominant et à la supériorité de sa culture.
En Espagne, l’islamisation fut le support direct de l’arabisation et vice-versa.. Les Musulmans…s’exprimèrent presque toujours en arabe, abondamment, quelque fut leur origine, leurs langues maternelles respectives: le persan, le sanscrit, le grec, le «romance» andalou ou le latin. »
Il est indéniable que la présence musulmane engendre de profondes répercutions sur les relations familiales, sociales et même les habitudes de vie. Les Mozarabes, dérivé du terme «must’rib», tout en gardant leur religion chrétienne, portent des noms doubles et préfèrent vivre avec les Musulmans, adoptant leur mode de vie, leur costume et leur mobilier.
Cependant, la communauté chrétienne célèbre ses cérémonies en toute liberté dans les églises comme le souligne Evariste Lévi-Provençal:»le culte était célébré dans les églises avec toute la pompe ordinaire: seules les sonneries des cloches furent parfois semble-t-il interdites.»
A côté de la communauté chrétienne, vit la communauté juive, ancestralement enracinée sur les terres espagnoles. Bien organisée, administrativement et juridiquement, prospère et jouissant d’un traitement libéral, elle bénéficie, elle aussi, de la libre pratique de son culte.
Les historiens soulignent que de hautes charges sont confiées aux juifs. L’Andalousie est le pays où l’Orient et l’Occident se rencontrent confondant les trois communautés de religion monothéiste. La coexistence pacifique des trois religions dans la Péninsule Ibérique est une réalité.
Une culture de la tolérance se forme en Andalousie qui en devient le germoir, se transmet à l’Espagne chrétienne et de là, au reste de l’Occident. La vie économique se trouve radicalement transformée bien qu’en Orient elle est peu modifiée car ces pays possèdent déjà, depuis fort longtemps, une agriculture et des industries supérieures à celles de nouveaux arrivants.
En revanche, les pays occidentaux, le Maghreb et l’Espagne subissent en peu de temps, un profond bouleversement Ils adoptent de nouvelles méthodes et instruments de travail. Dans le domaine de l’agriculture, les Musulmans excellent dans la pratique des cultures irriguées. Ils l’apprennent en Chaldée et en Egypte et l’appliquent en Espagne où l’irrigation se perpétue depuis.
Ce système conserve encore très fortement la marque du séjour prolongé des Musulmans comme en témoigne la terminologie qui persiste jusqu’à nos jours:» l’irrigation est presque toute entière arabe, le régime administratif et la répartition des eaux semblent n’avoir plus variés depuis l’époque du califat.»
Souligne Lévi Proven9al On cultive bientôt, dans plusieurs régions de l’Occident musulman, de nombreuses plantes originaires de la Syrie ou de la Perse, le sarrasin, le safran, l»artichaut, l’aubergine dont les noms dérivent en partie de l’arabe.
Ce sont eux qui introduisent d’Orient en Occident le riz, la canne à sucre, le mûrier d’où l’essor considérable de l’industrie de la soie, l’oranger et le cotonnier.
Dans la province d’Elvira dont les plaines sont arrosées par le Génil, on produit le lin de qualité supérieur à celui produit dans la vallée du Nil. La réputation de Séville se construit sur la culture du coton qui favorise l’industrie textile.
Dans les ateliers de cette ville, on produit des pièces d’étoffe raffinées sur lesquelles on brode en fil d’or, le nom du souverain régnant. Les historiens soulignent qu’avec l’arrivée des Musulmans qui ont une industrie florissante et prospère, l’Espagne connaît un essor industriel jamais atteint avant le neuvième et dixième siècle.
Bientôt les artisans de Cordoue excellent tout autant que ceux de Damas ou de Bagdad dans la fabrication des tapis, des tissus de soie, de laine et de coton. Fameuse pour son orfèvrerie et ses bijouteries, Cordoue l’est encore aujourd’hui. Tous les corps de métiers existenten Andalousie.
Dans les ateliers de poteries lustrées, comme à Malaga et à Grenade, se rencontrent à Séville, de nombreux azulijos ou carreaux de revêtement à reflets métallique.
Ils sont fabriqués dans les faubourgs de Triance.!!
Ces ouvrages figurent dans la plupart des musées et collections d’Europe. Leur décoration géométrique est entièrement soumise à l’influence maure. La réputation de Séville se révèle à travers le dicton suivant;» qui n’a pas vu Séville, n’a pas vu de merveilles.» Son métissage historique se révèle à travers ses diverses conceptions architecturales Emblème de cet amalgame, La Giralda. Cette tour du XIIème siècle, estimée comme le joyau de l’art almohade, n’est autre que le minaret de la mosquée. De là, s’élève la voix mélodieuse du muezzin, voix qui sait parler à l’âme et éveiller des émotions mystiques. Quant à L’Alcazar, autre monument culturel de Séville, il est à l’image de l’Alhambra de Grenade. Ce palais est d’abord Arabe, puis reconverti par des rois chrétiens dans le respect de la Tradition hispano morisque.
LES MUSULMANS DANS LA VALLEE DU RHONE
A partir du IX siècle, les Musulmans d’Espagne s’installent dans les pays riverains de la Méditerranée.
Tout le sud de la France actuelle et en particulier le département du Var (Provence-Alpes-Côte d’Azur) connaît l’appropriation de quelques Musulmans d’Espagne venus s’établir dans le massif des Maures.»Les données de quelques auteurs arabes qui citent le Jabal alQilal, sont tellement imprécises, ce massif pourrait être…le Massif des Maures qu’a dominé pendant quelques temps, au Moyen Age, une petite communauté de Musulmans, fondée par des Arabes Andalous. Intrigué par cet étrange Etat islamique inoculé en pleine terre chrétienne»M. Philippe Sénac s’attache à reconstituer les faits.
Selon plusieurs historiens, ce nom serait le souvenir de la présence des Musulmans au VIII et IX siècle, présence attestée par des noms de village comme Ramatuelle «ce bourg porte un nom dans lequel il serait séduisant de retrouver la transcription de l’arabe rahmatu’ Illah, le bienfait de Dieu» le toponyme Almanare dérive du mot arabe el manara qui veut dire le phare. «En cet espace, très peu d’hommes,» précise Philipe Sénac «Une communauté de mujahidin» écrit Ibn Hawqal.
D’ethnies différentes, la colonie musulmane regroupe des Andalous, originaires d’Espagne et habitant le littoral méditerranéen d»Al Andalous, des chrétiens dépendant du califat cordouan et des esclaves affranchis. C’est probablement vers 885886 que des garnisons musulmanes pénètrent dans le territoire du Fraxinet.
Un autre groupe, des Berbères, arrive en renfort «C’est de la ville de Bône que partent les galères pour faire la course sur les côtes du pays des Rum, de l’île de Sardaigne et de l’île de Corse «écrit al-Bakri A bul-Qasim Muhammed IbnHawqal souligne que» le Jabel al-Qilal dans la région de France, est aux mains des combattants de la foi.
On y trouve une belle productivité agricole ainsi que les terres de culture…ce sont les musulmans qui rendirent ce coin habitable dès leur installation» A leur arrivée, les mujahidin ne trouvent qu’un paysage inculte avec quelques exploitations, une forêt épaisse où poussent des châtaigniers, des frênes, des pins,des hêtres et une activité économique très réduite. Grâce à l’irrigation, apparaissent les zones de cultures et on peut avancer que le blé noir, originaire de Perse est introduit par eux en Gaule.
Les paysans provençaux vivent dans les mêmes conditions que les communautés rurales andalouses sous l’autorité musulmane. Libres, ils reçoivent leur salaire du propriétaire chez qui ils sont employés. La présence de forêt dense favorise l’élevage et celui du travail du bois.
Retirant la résine du pin, on en fait le goudron qui sert à calfeutrer le fond des navires. Le premier calfatage des felouques se fait à Saint-Tropez. Prenant exemple sur l’Espagne, la liberté du culte est respectée. « En somme, il n’est pas du tout exclu que le Fraxinet ait été le théâtre d’une symbiose communautaire, ce qui tendrait à expliquer son extraordinaire longévité.» souligne Philipe Sénac. C’est sans doute, dans le courant de l’automne 972, que la Provence est reconquise.
Que sont devenus les mudjahidin? Sont-ils retournés en Espagne? Aucune source ne nous autorise à nous prononcer. Cependant, il n’est pas interdit de supposer que certains groupes y demeurent et font souche. Par intérêt ou par obligation, ils embrassent la religion chrétienne.
De multiples brassages, au cours des siècles suivants, amènent la collectivité musulmane à se diluer dans l’élément provençal. Au XI siècle, le Fraxinet se découvre un nouveau visage:»un pays de prés, de pâturages, de vignes, de marais de terres cultivées, d’arbres fruitiers et d’oliviers.» et voit l’édification de châteaux. Le commerce se développe et devient florissant entre les ports d’Orient et les ports méditerranéens de France tels que Marseille, de la Provence et de l’Italie (Gênes et Venise). Il porte surtout sur les produits appelés épices tels que le poivre, la cannelle, le girofle et la muscade. Ce grand commerce maritime se continue par voie terrestre. En effet, les produits orientaux, débarqués dans les ports occidentaux sont acheminés de là, à travers les cols alpins vers les divers pays de l’Europe du centre, du nord-ouest ou du nord. Une communauté de guerriers musulmans dépendant de Cordoue s»établit dans la vallée du Rhône. Celle-ci s’adapte au relief accidenté, au climat rigoureux, à la population et participe au développement économique de la région, créant un cadre de vie harmonieux entre tous ses membres.
Pour conclure, Philippe Sénac écrit;» l’univers méditerranéen, malgré d’importants clivages politiques et religieux ne constituait-il pas déjà une communauté d’intérêts et de moeurs, un trait d’union entre les peuples?
Des sources historiques mettent en exergue le rôle déterminant des Musulmans dans l’essor technique de l’Occident médiéval et de l’Espagne en particulier. Ils sont de grands colporteurs d’inventions et font connaître à l’Espagne l’usage de la boussole, de la poudre à canon ignorée des Européens et le papier de chiffon.
Dès les premières années du X siècle, l’industrie du papier connaît un essor considérable surtout à Valence et détrône le parchemin. L’usage du papier connaît un développement accentué grâce à l’invention de l’imprimerie en 1460. Un autre élément constitutif de la richesse matérielle de l’Espagne musulmane est la mise en valeur de ses ressources minières. Le pays est divinement nanti en métaux tels que l’or, l’argent, des gisements de pierres précieuses, les lapilazuli de Lorca, les hyacinthes de Malaga, et les rubis d’Almeria.
Il n’est pas étonnant de voir cette richesse à travers la magnificence des palais, les décors des demeures exubérants et la splendeur des jardins, petits coins de paradis inondés de lumière, d’eau et de couleurs. En 929, l’émirat devenu califat atteint le summum de sa gloire.
L’Espagne musulmane atteint son apogée sous l’époque cordouane qui dure jusqu’en 1031 «les règnes des califes Abd-ar-Rahman III et d’Al Hakem II constituent l’époque la plus faste de l’histoire de l«Andalousie» nous révéle Lévi-Provençal. Abd-ar-Rahmen III reste dans lesannales historiques comme le plus illustre souverain de la dynastie des Omeyyades. Au cours de son long règne, (912-961), il fait preuve d’énergie, de qualité d’organisation et rompt tout lien avec Bagdad.
Il assure son influence à l’intérieur du pays en dotant son empire d’une charpente administrative solide, calquée sur l’armature du califat de Bagdad, de Damas, de la Perse et de Byzance. Ses institutions très élaborées (administration centralisée, législation juridique et financière) contrastent alors avec le morcellement féodal des états chrétiens d’Occident et lui assure une grande prospérité économique. A suivre
Par Meriem Mahmoudi