La crise économique mondiale et les conflits politiques dans certains pays arabes ont complètement chamboulé la cartographique du tourisme mondial. De nouvelles tendances sont apparu, d’autres ont disparu, incitant les touristes à effectuer des sortes de « migrations » touristiques. Ainsi, les crises politiques en Egypte et en Tunisie ont favorisé l’émergence de nouvelles destinations comme celles de la Turquie et de la Croatie. Le pays d’Erdogan est tellement sûr de ses capacités qu’il table sur 30 millions de touristes à l’horizon 2015, contre 20 millions actuellement.
Chose tout à fait réalisable, la Turquie étant dans le top-ten des meilleures destinations touristiques dans le monde. D’autant plus que le tourisme semble être le seul secteur qui soit sorti indemne de la crise économique mondiale. Les arrivées internationales ont atteint le chiffre d’un milliard 87 millions en 2013, soit une hausse de 5% par rapport à l’année 2012. « La crise économique et financière a modifié le mode de consommation des touristes et en même temps généré de nouvelles formes de tourisme et de nouvelles destinations touristiques.
Les courts séjours, les produits thématisés, l’événementiel et les packages « low cost » mais de qualité sont de plus en plus recherchés par les touristes », indique M. Sahnoun, ancien DG de l’Office national du tourisme (ONT) et gérant d’une agence de voyage. Il souligne, dans ce registre, que les trois grandes puissances touristiques mondiales actuelles sont la France, les USA et l’Espagne. Car elles se sont vite adaptées aux changements en encourageant le tourisme domestique et régional et en pénétrant de nouveaux marchés des pays émergeants, BRICS, (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) pour consolider leur place de leaders. L’Espagne, en effet, d’après les agences de voyage, est la troisième destination des Algériens. Quant à la destination Algérie, qui faisait le bonheur des touristes étrangers dans les années 80, elle n’existe plus sur la cartographie touristique mondiale depuis 20 ans. « Quand il y a eu crise en Egypte et en Tunisie, certains cadres ont pensé naïvement que l’Algérie pourrait récupérer leurs clients. Avec quoi ? Nous avons déjà du mal à caser nos propres touristes nationaux », souligne l’ancien conseiller au ministère du Tourisme et de l’Artisanat, Saïd Boukhelifa.
Le balnéaire pour les nationaux
La promotion du tourisme étant défaillante autant au niveau national qu’international, très peu de touristes s’intéressent à la destination Algérie. Tous les experts s’accordent à dire que nos représentants du tourisme à l’étranger communiquent mal. Ajouté à cela l’aspect sécuritaire qui n’est pas à l’avantage de l’Algérie. « L’incident d’Ain Amenas est encore vif dans l’esprit des étrangers. Il faut savoir que quand une attaque de ce genre se produit dans un pays, sa destination est bannie par les opérateurs touristiques pendant au moins trois ans », explique M. Boukhelifa. Même Ghardaïa, considérée comme l’émeraude du Sud, s’est ternie ces derniers temps à cause des troubles. Pendant longtemps, elle a symbolisé le tourisme de la sagesse, des traditions, du patrimoine. Globalement, le Sud, qui était le fer de lance du tourisme algérien, s’est détérioré.
Pendant 40 ans, les agences de voyage se sont nourries du tourisme saharien. Ces mêmes agences, aujourd’hui, payent le prix des troubles dans les pays avec lesquels l’Algérie partage les frontières. Cela dit, même si des agences de voyage avaient été nombreuses à faire du réceptif et à faire le plein en touristes étrangers, le problème des capacités d’accueil se serait posé. « Sur les 90.000 lits dont dispose l’Algérie, 05% seulement répondent aux normes. Les infrastructures au niveau du balnéaire ne peuvent accueillir plus de 30.000 estivants », estime M. Boukhelifa. La destination Algérie, d’après M. Sahnoun, pratique, à l’international, un tourisme de « cueillette » pour des produits de « niches » puisés dans les filières culturelles et sahariennes et reçoit, par conséquent, très peu de vacanciers étrangers. « Elle ne figure même pas dans le Top 50 des pays récepteurs de touristes. Par contre, elle a un marché interne solvable et un potentiel important de touristes auprès de sa diaspora dans le monde, qui ne demandent qu’à passer ses vacances dans le pays. Mais pour capter ces marchés, il faut construire une offre diversifiée de produits balnéaires avec des hébergements et des activités de qualité aux standards internationaux », conseille-t-il. Les agences de voyage confient, dans ce contexte, avoir du mal à vendre une chambre d’hôtel dans le balnéaire aux nationaux durant la saison estivale. Les capacités sont accaparées à 90% par les œuvres sociales et les grosses entreprises, selon elles.
Un comportement de 3 étoiles dans un hôtel 5 étoiles
« Le balnéaire est un produit vétuste pour les étrangers. En fait, nous l’avons perdu depuis 30 ans. Nous avons reçu les derniers touristes pour le balnéaire en 1986. Ils ne sont plus revenus car le manque d’hygiène sur nos plages commençait à être visible. Et puis, en Méditerranée, la concurrence est féroce dans ce créneau. En France seulement, 10 millions de lits sont disponibles ! Comment faire le poids face à ce pays, l’Italie, l’Espagne et plus récemment la Turquie et la Croatie ? », s’interroge M. Boukhelifa. Nos hôtels, qui ne jouent pas le jeu en matière de prix et de qualité, découragent aussi les touristes de masse étrangers. Deux nuitées au Sheraton, d’après lui, équivalent à un séjour d’une semaine en Tunisie et avec de meilleures prestations. Jusqu’à présent, le personnel algérien a un comportement de 03 étoiles dans un hôtel de luxe de 05 étoiles. Les facilités dans les investissements ont, certes, favorisé l’émergence d’une quarantaine d’infrastructures hôtelières ces cinq dernières années, mais sans répondre, toutefois, aux normes internationales.
« C’est cela le drame. Les investisseurs croient qu’un hôtel, c’est juste des murs. Or que non. Ce sont des services, de l’hygiène, des attitudes… Nous avons un immense déficit en personnels qualifiés pour travailler dans des 5 étoiles. L’hôtel 5 étoiles « Renaissance », à Tlemcen, a rencontré ce problème depuis le début de son ouverture », estime l’ancien conseiller du ministère du Tourisme et de l’Artisanat. Il constate également qu’aucun de nos 3 et 4 étoiles ne sont retenus sur les sites internet et sur les brochures touristiques étrangères. La plus grande tare du tourisme en Algérie, en fait, reste la formation. Les institutions du tourisme n’emploient, aujourd’hui, que très peu de cadres formés par les écoles supérieures du tourisme. « Il ne suffit pas qu’un hôtel emploie un directeur technique dans le tourisme pour qu’il fonctionne selon les normes. Du réceptionniste, jusqu’à la gouvernante, ils doivent être diplômés, sachent ce que signifie le tourisme et comment être aux petits soins avec les clients », signale-t-il. Le manque de compétence est d’autant plus flagrant, comme le fait remarquer le président de la fédération nationale des offices locaux du tourisme, Mohamed Azouz, que nos opérateurs font du tourisme juste durant la saison estivale alors qu’en Tunisie, par exemple, le tourisme, c’est sur toute l’année.
Farida Belkhiri