Ce sont les grossistes et les détaillants qui mènent la danse et ce sont encore eux qui décident de tout pendant le mois de ramadan. Le reste n’est que littérature Vous l’avez sans doute remarqué : A chaque veille de ramadan, les pouvoirs publics utilisent le même discours en direction des citoyens : à savoir que tout a été fait pour qu’ils passent le mois de jeûne en toute quiétude.
Vous pouvez consulter, à la bibliothèque nationale tous les journaux du pays depuis ces quarante dernières années vous trouverez les mêmes assurances à pareille période. Le rituel à l’évidence n’a pas changé d’un iota ou si peu.
Le ministre du Commerce, ou à défaut son représentant, organise une conférence de presse pour dévoiler les grandes lignes de son programme, à coups de chiffres et de statistiques. Il en ressort, selon cette conférence que tout a été mis en oeuvre pour que rien ne manque à la table du jeûneur. Aussi bien les viandes, les fruits que les légumes. Ils seraient en quantité suffisance et à la portée de toutes les bourses. Des bateaux entiers seraient remplis à ras bord et cingleraient vers le pays.
Que ce soit l’huile, le café, le sucre, les épices ou tout autre produit sans lequel le ramadan n’aurait aucun goût, tout aurait été commandé et acheté sur les marchés de l’étranger. Il y a parfois des variantes dans le discours comme l’année dernière par exemple où l’on a promis aux consommateurs l’arrivage de plusieurs milliers de tonnes de viande fraîche en provenance d’Espagne et qui seraient pris en charge par des privés.
Force est de rappeler que nous n’avons vu aucune viande fraîche débarquer aux ports et encore moins de privés la dispatcher sur les marchés. Les municipalités qui emboîtent toujours le pas au service du commerce annoncent à leur tour et parfois à la cantonade avoir clos les listes définitives des indigents de la commune auxquels sera servi un couffin régulièrement.
Comme pour leur donner le la, les services de contrôle de chaque wilaya mettent en garde les tricheurs et les suceurs de sang du peuple contre toute dérive et mauvaise qualité de leur produit. Bref, tout le monde est théoriquement averti et gare aux contrevenants. Mais comme nous le verrons dans les chapitres suivants, toutes les déclarations et toutes les bonnes intentions des uns et des autres ne suffiront pas à masquer une réalité terrible : Ce sont les grossistes et les détaillants qui mènent la danse et ce sont encore eux qui décident de tout pendant le mois de ramadan. Le reste n’est que littérature.
Imaad Zoheïr
Couffins : la grande vadrouille !
Dans les pays du Moyen Orient, c’est précisément au cours de ces 30 jours de jeûne que les marchés sont plus abordables et à la portée de toutes les bourses. Alors que les responsables du commerce convient la presse, chaque année, pour étaler devant ses yeux toutes les dispositions qu’ils avaient prises pour assurer un Ramadhan aux consommateurs, dans les marchés, mais la vérité est toute autre. Bien crue, bien amère. Les étiquettes ont déjà changé de prix et montent d’un cran en attendant de faire grimper les enchères.
Que ce soit en 1970, en 1980, en 1990 ou en l’an 2000 le scénario est le même et se répète et les pouvoirs publics, malgré leurs promesses, n’y peuvent rien. Cette année encore, nous avons eu droit au même schéma c’est-à-dire, statistiques-prévisions contre une planification qui n’a pas tenu face aux tensions du marché. S’agissant des contrôles et quelle que soit la bonne volonté des inspecteurs, ce ne sera là encore, qu’un coup d’épée dans l’eau.
Selon de nombreux citoyens qui, pour des raisons familiales ou professionnelles ont eu à passer le mois de Ramadan dans les pays du Moyen-Orient, c’est précisément au cours de ces 30 jours de jeûne que les marchés sont le plus abordables et à la portée de toutes les bourses.Il semblerait que, d’un commun accord, d’un accord tacite, d’une tradition héritée de leur aïeux, les marchands procèdent volontairement à une baisse sensible des prix. Autrement dit, ils donnent un sens concret aux préceptes de la rahma. Nous n’en sommes encore pas là bien sûr.
Quant au couffin du Ramadhan, autant dire que c’est la «grande vadrouille». A quelques heures du Ramadhan, certaines AC font et défont leurs calculs soit parce qu’ils se trouvent face à un surplus d’indigents qu’ils n’avaient pas prévus, soit parce que l’appel d’offres qu’ils avaient lancé par voie de presse est resté infructueux.
Ce qui explique pourquoi certains fidèles ne reçoivent leur couffin qu’à partir de la deuxième semaine de jeûne ou ne le reçoivent pas du tout. La pagaille voulue et programmée ou involontaire de cette distribution a fini par semer le doute dans l’esprit de nombreux citoyens. Ils ne comprennent pas comment des familles aisées et à l’abri du besoin peuvent bénéficier en toute quiétude d’un tel couffin.
Ils ne comprennent pas non plus comment un bénévole chargé de l’opération se retrouve en fin de service avec… 17 couffins qu’il s’auto-destine. Ils ne comprennent pas non plus pourquoi un citoyen identifié comme indigent et inscrit sur la liste de la commune… ne reçoit que trois couffins pendant le Ramadhan, dont le troisième lui est expédié… après l’Aïd.
Z. M.
Sortirons-nous meilleurs ?
nLes repas seront toujours bien assaisonnés et les gâteaux bien en chair et bien appétissants. Il faut rendre cette justice à nos femmes, elles ne sont jamais inactives.
Pour de nombreux foyers lambda de ce pays, le Ramadhan est d’abord et avant tout le mois des «gueletons ». La preuve, avant même que ce mois sacré ne pointe son nez, ils renouvellent leur vaisselle, les plats de leur couvert, leur panier à provision, leurs serviettes de table et parfois même leur théière et leur cafetière.
Si le matin est consacré aux tâches quotidiennes de la maison, comme la lessive ou certaines courses au marché, l’après-midi par contre est spécialement et intégralement consacré à la préparation du repas du jeun. Toutes les femmes en âge de porter un tablier de cuisine investissent le potager et les fourneaux.
Toutes les recettes en vogue ou nouvellement imprimées sont alors réalisées avec le maximum de soins et d’appréhension. Et c’est ainsi pratiquement tous les jours pendant au moins trois semaines jusqu’à ce qu’un autre service prenne le relais dans la cuisine : La confection des gâteaux pour l’Aïd ! Mais malgré cette nouvelle vacation dans laquelle sont employées les femmes, les repas seront toujours bien assaisonnés et les gâteaux bien en chair et bien appétissants.
Il faut rendre cette justice à nos femmes, elles ne sont jamais inactives. Après la rupture du jeun quand la table est débarrassée, les hommes en général prennent le chemin du café le plus proche et les femmes s’agglutinent devant l’écran de télévision pour suivre un sketch ou un film turc. Voilà grosso modo comment se déroule une journée de jeun dans les familles.
Pas toutes car dans certains foyers on fait très attention aux prescriptions du Livre Saint pendant cette période : on se rapproche du Coran, on multiplie les pièces, et on évite surtout les interdits. Sans cela, le jeûneur aura jeûné pour rien, il aura eu faim et soif pour rien. On dit que les cinq prières quotidiennes servent à effacer toutes les mauvaises actions de la journée, petites ou grandes. On dit, dans la même veine, que la prière du Vendredi sert, elle, à effacer toutes les mauvaises actions de la semaine et on dit également que le ramadan sert lui à gommer toutes les mauvaises actions de l’année quand il est vécu selon les préceptes du dogme.
Quant au Hadj, il a la capacité exceptionnelle par contre d’effacer toutes les mauvaises actions de la vie. Voilà pourquoi le ramadan est important, essentiel même pour les fidèles en quête de «maghfira».
Contrairement donc à tout ce qu’on croyait, le ramadan est surtout un mois d’engagement spirituel, qui dépasse largement la diète de l’estomac et la «chabaâ» de la rupture du jeun. Sortironsnous meilleurs de ce que nous étions après ce mois de privation ? Absolument si ce ramadan a été profondément vécu à l’intérieur et à l’extérieur de soi-même. Dans le cas contraire, cette période n’aura été qu’un long et douloureux sacrifice qui n’a mené à rien.
Z.M
Le rite va plus loin
nForce est de constater que les commerçants ont fait de nos marchés un enfer, une géhenne, assurés du laxisme ambiant et de l’impunité bureaucratique. Le Ramadhan n’est pas qu’une simple histoire de couffin, de prix des légumes, de hausse des marchés, de tension dans la distribution des produits et de contrôle de la qualité des étals.
Il est plus que cela. Bien plus pour qui désire observer le dogme dans toute sa rigueur au-delà des privations qu’impose le jeûne. Le premier bénéfice du Ramadhan et le plus connu de tous est, bien sûr, la diète du corps et de l’estomac qui sont soumis à une véritable vidange, une cure bienfaitrice que commandent d’ailleurs tous les diététiciens.
Mais là ne s’arrête pas le rite, au contraire il va plus loin et exige l’abstinence non pas seulement du palais mais de tous les sens du corps. L’abstinence de la parole, surtout celle qui dit du mal du prochain, qui diffame, qui sème le doute, qui ment et qui pousse souvent à la discorde. Le Ramadhan est aussi l’abstinence du regard ambigu en direction de ce qu’on désire ou convoite dans un moment de faiblesse ou d’égarement.
Le jeûne permet de corriger le tir et de rétablir les choses dans leur ordre et à leur ordre et à leur véritable place. Même l’ouïe doit être protégée contre les discours médisants que d’incorrigibles impénitents racontent sur la vie des autres comme si la leur était exempte de tout défaut.
En fait, le Ramadhan rapproche les riches des pauvres, les nantis des mal lotis, le peuple qui a faim, qui a soif qui sait donner, pardonner et partager de ce qu’il faudrait bien appeler « Anges ». Il faut reconnaître que pendant cette période si spéciale de notre dogme, les actes de charité et de bienfaisance se multiplient à l’infini comme si le jeûne transfigurait brutalement les fidèles.
Au point que des malheureux sans toit ni logis sont invités à partager le repas dans des familles pendant les 30 jours de jeûne, que des citoyens, au-dessus du besoin, ouvrent à leurs frais des restaurants pour accueillir les voyageurs et les passagers loin de chez eux. Ne diton pas que le Ramadhan est le mois de la rahma ? C’est vrai mais force est de constater que les commerçants ont fait de nos marchés un enfer, une géhenne assurés du laxisme ambiant et de l’impunité bureaucratique.
Z. M